Acheté il y a un an, il attendait sagement la nouvelle tenue du Non Fiction November challenge pour que j’y m’attèle. L’histoire de Marya Hornbacher, de son combat contre l’anorexie et la boulimie est devenue célèbre et a été traduite en français. J’avais envie de mieux saisir ce qui se passe dans la tête de ceux et celles qui un jour deviennent soudainement prisonniers de ces maladies.
Je n’ai jamais eu de souci particulier avec la nourriture ou avec mon poids. Mais je sais aussi que la société actuelle met une pression énorme sur l’apparence physique et que la discrimination liée au poids est aujourd’hui reconnue. Les petites filles lisent les magazines féminins et voient à la télévision ces défilés où de jeunes femmes très minces défilent. Mais cela n’est qu’une des multiples raisons qui vont pousser des jeunes femmes (et des garçons, moins nombreux) à vouloir perdre du poids à tout prix. Le récit de Marya Hornbacher est à la fois éprouvant et terrifiant, mais aussi très bien écrit. Car Marya a toujours écrit et a toujours eu ce talent. Ce qui lui permet de produire ce récit, parfois si effrayant, qu’on préférait qu’il soit né de son imagination. Mais non tout est réel.
“Soon madness has worn you down. It’s easier to do what it says than argue. In this way, it takes over your mind. You no longer know where it ends and you begin. You believe anything it says. You do what it tells you, no matter how extreme or absurd. If it says you’re worthless, you agree. You plead for it to stop. You promise to behave. You are on your knees before it, and it laughs.”
Marya a commencé toute petite à être très consciente de son poids, comme beaucoup d’enfants, elle avait de bonnes joues, elle n’était pas mince. Petite, elle n’était pas grosse, ni bien en chair, mais son ossature et sa stature lui valaient des petits surnoms qui l’ont agacé très vite. Sa mère, une femme exigeante et distante, n’aimait pas l’allure de sa fille. Alors, à l’âge de huit ans, Marya, sans en avoir parlé avec personne, ni rencontré qui que ce quoit qu’il l’avait fait avant elle, est allée vomir son repas. Aussi simple que cela. Elle s’est sentie soulagée. Enfin, elle prenait le contrôle de son corps. Une fois par semaine, puis deux, puis tous les jours, Marya vomissait. Elle ne perdait pas de poids mais ne grossissait pas non plus. Malgré les douleurs liées à l’acte (problèmes gastriques, dentaires, acidité de l’estomac, problèmes aux jointures des doigts), Marya continue. Dès l’âge de douze ans, elle a aussi goûté à l’alcool, aux drogues et aux hommes. Ses parents, trop occupés à se haïr, se déchirent à travers leur fille unique. Le collège n’aide en rien Marya. Cette dernière est, comme beaucoup d’autres anorexiques, une overachiever – elle est douée à l’école, première de sa classe, veut devenir médecin, scientifique, rentrer à l’université à quinze ans. Elle est perfectionniste et ne se pardonne aucun écart. Contrôler son corps est important. Mais les drogues, l’alcool, le sexe plongent la jeune fille dans une profonde dépression. Et surtout, elle ne perd pas le poids qu’elle souhaite. Alors, elle décide de réduire ses repas, et très vite elle en saute. Boulimie puis anorexie.
This is the very boring part of eating disorders, the aftermath. When you eat and hate that you eat. And yet of course you must eat. You don’t really entertain the notion of going back. You, with some startling new level of clarity, realize that going back would be far worse than simply being as you are. This is obvious to anyone without an eating disorder. This is not always obvious to you
Marya revient longuement sur ses errances psychiques, sur son mal-être, sur son premier internement, qu’elle déteste au départ mais qui lui sauve la vie et lui fait comprendre, en partie, ce qui se passe dans sa tête. Mais elle est malade depuis si longtemps qu’elle ne sait plus comment faire. Marya décrit la boulimie et l’anorexie, l’une provoquant des sensations physiques, tandis que l’autre, maladie mentale, veut vous faire disparaître. Et puis la perversion de cette maladie : elle sera la plus mince. Elle aime lorsqu’on lui dit qu’elle a perdu du poids. Elle invente toutes sortes de ruses pour cacher son anorexie. Si elle est forcée, elle mange puis se fait vomir. Vivre chez sa belle-mère en Californie va aggraver son état, l’internat va la plonger dans l’enfer. La descente aux enfers est impressionnante. Sa solitude aussi. Le désarroi de ses parents lorsqu’il la retrouve et qu’elle pèse à peine trente-cinq kilos est touchant. Que faire ? Elle ne mange qu’une pomme, ou des yogurts à 0% de matière grasse. Marya explique bien que les anorexiques sont des menteurs. Ils mangent bien évidemment, ils connaissent par coeur le nombre de calories, protéines par aliment. Elle découpe en vingt morceaux ses mini carottes pour allonger la durée de ses repas…. Elle calcule tout.
Le corps humain se bat continuellement pour survivre, elle parle d’une forme de suicide lent. Et sait que son corps fera tout pour la combattre. Mentalement, elle change, son humeur, son caractère, ses peurs. Elle n’est plus la même personne. Sa maladie a pris le contrôle. Son corps lui crie sans cesse « j’ai faim », elle ne cesse de faire des malaises. Sa vue se brouille, ses propos sont incohérents. Une pilosité, réaction du corps face à ce corps incapable de lutter contre le froid, lui recouvre le dos et les joues. Elle n’a plus ses règles. Et surtout elle se noie dans le travail. Toujours. La fac, même constat. Des heures à travailler. Elle boit des litres d’eau pour tenir et tricher sur sa perte de poids (on pèse plus lourd à la pesée quand on boit deux litres d’eau). Elle court pour perdre du poids…. Marya ne racontera pas comment elle s’en est sortie. Pour elle, chaque maladie est unique. Chaque histoire est unique. Elle ne raconte que la sienne. Un jour, le verdict tombe : les médecins pensent qu’elle sera morte dans une semaine. Mais Marya a un esprit de contradiction …
He leaned down and whispered to me: No matter how thin you get, no matter how short you cut your hair, it’s still going to be you underneath. And he let go of my arm and walked back down the hall.
Il y a tellement à dire. Il existe de nombreux témoignages, j’avais regardé un documentaire sur Netflix sur une jeune fille atteinte de cette maladie. Une des mes collègues l’était et est décédée il y a peu. Au lycée, je croisais cette fille dont les os des bras saillaient. Je n’ai jamais su quels mots ou attitudes à adopter envers elles. J’ai vu ce matin un reportage sur une jeune fille et sur le désarroi de son petit ami face à cette maladie. J’ai pensé à Solenn Poivre d’Arvor. Je me sens moins impuissante aujourd’hui, je sais qu’il ne faut pas hésiter à parler. Certains propos sont à éviter, mais ils ont besoin de nous. Son récit est disponible en français sous le titre « Piégée ».
♥♥♥♥
Editions Fourth Estate, 1997, 298 pages
6 commentaires
Ouh là, voila un sujet qui ne m’attire pas du tout.
Non il n’attire pas et c’est bien normal ! toi qui a trois filles, ça doit te faire encore plus peur !
C’est un sujet qui m’intéresse de près! Mais j’ai beaucoup lu à ce sujet, fiction ou non. Donc j’hésite.
J’hésite à regarder le doc sur Netflix (j’ai vu des extraits)
si tu as déjà beaucoup lu, en même temps, elle écrit terriblement bien ce qui change et sa détermination (à se laisser mourir) est effrayante … à toi de voir ! le doc sur Netflix m’avait fait beaucoup moins peur
Tu me fais hésiter du coup! 😊
Je crois que c’est un des livres les plus honnêtes sur la maladie, elle distingue bien l’anorexie de la boulimie (le mental vs. le physique), et elle explique sa détermination qui paraît pour nous autres totalement irraisonnée. Je pense qu’il te plaira si tu veux vraiment en savoir plus sur cette maladie
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