Quand vous dénichez un livre encensé qui réunit tout ce que vous aimez : une investigation menée par une journaliste ardue sur plusieurs années et une héroïne indienne membre des 3 Tribus Affiliées du Dakota du Nord, vous croyez rêver.
Lissa Yellow Bird n’arrive pas à expliquer à la journaliste Sierra Crane Murdoch pourquoi elle est partie à la recherche de Kristopher Clarke. La première fois que la journaliste lui a posé la question, elle a eu l’air surprise mais puis a répondu « je ne me suis jamais vraiment posé la question« . Lorsque Lissa est sortie de prison en 2009, elle a retrouvé sa maison, dans la réserve de Fort Berthold transformée par le boom pétrolier. Pendant son absence, le paysage qu’elle connaissait a été considérablement modifié par les compagnies pétrolières venues de tout le pays chercher l’or noir. La transformation est allée plus loin, avec une hausse sensible de la violence et des problèmes de drogues.
En février 2012, Lissa apprend qu’un jeune contremaître qui travaille pour une compagnie pétrolière, Kristopher « KC » Clarke a mystérieusement disparu alors qu’il quittait la réserve pour des vacances bien méritées chez son grand-père en Oregon. Sa voiture a été retrouvée à quelques kilomètres du dernier endroit où il a été vu. Sa disparition semble intéressée peu de monde, exceptée Lissa. La mère de famille devient totalement obsédée et décide de tout faire pour découvrir la vérité.
Mais Lissa ignore que ses recherches vont la mener aussi loin, à l’arrestation de plusieurs hommes mais surtout à la remise en cause de cette course folle à l’argent liée à la découverte de ces gisements de pétrole. Et voilà le formidable travail de la journaliste américaine : raconter l’histoire de Lissa, sa vie personnelle, pourquoi a-t-elle fini en prison ? Comment a-t-elle réussi à rebondir et retrouver la garde de ces cinq enfants ? Tous de pères différents ? Qui est cette femme forte, obstinée et malgré tout victimes de violences conjugales ?
Et puis surtout à travers Lissa, l’auteure montre la coexistence fragile de deux mondes : celui de la tribu, bouleversée par cette fortune inattendue, et celui de ces milliers d’hommes blancs venus puiser l’or noir sur ses terres. Nous sommes en 2008, la crise économique frappe tout le pays et cette découverte incroyable attire de nombreux ouvriers, dont KC Clarke, qui a quitté le Texas pour suivre deux amis.
Comment une réserve, qui ne s’est jamais vraiment remise de la construction d’un barrage avec la disparition de leurs villages il y a soixante ans, va pouvoir gérer ces millions de dollars tombés du ciel ? Comme à Flint dans le Michigan, les autorités indiennes n’ont pas su gérer cette chasse à l’or noir et dont la politique fédérale d’allotissement a largement contribué à ce résultat. Car l’Amérique blanche n’a jamais souhaité que les terres indiennes appartiennent aux indiens. Elle a donc sorti de son chapeau dans les années 30 une loi permettant de découper la réserve en lots (afin soi-disant de forcer les Indiens à devenir propriétaires et donc à s’approprier la mentalité capitaliste) et a permis de vendre ces lots à des fermiers blancs qui ont laissé l’usage aux Indiens. Un imbroglio juridique qui va récompenser les Indiens qui ont réussi à racheter de nombreux lots et priver les autres de toucher une petite part de cette fortune inattendue. Or les Indiens ont longtemps vécu avec le principe d’un partage égal entre les membres d’une tribu. Les voilà donc à voir certains de leurs voisins s’enrichir, et eux à vivre toujours dans leurs maisons délabrées, sans pouvoir s’offrir le minimum vital. Fort heureusement, certains sont généreux. Mais les Blancs ont réussi à diviser les membres.
Quand au conseil tribal qui a autorisé la vente de l’exploitation du pétrole à des compagnies, il n’est pas à citer en exemple. Le chef du conseil a lui-même créé sa propre entreprise et signé un contrat opaque avec la compagnie pour laquelle KC travaille. Tex est un cousin éloigné de Lissa mais il refuse de répondre à ses questions. Il gagne soudainement des millions. Et si une partie de l’argent va à la réserve, il préfère investir dans un yacht que dans la rénovation des maisons ou des mesures de prévention contre la précarité. La drogue est entrée en force dans la réserve et le taux de violence a explosé.
Pendant plus de huit ans, la journaliste va suivre le combat de Lissa pour connaître la vérité. Sa détermination va mettre à mal sa vie de famille, certains de ses enfants ne comprenant pas son intérêt pour un Blanc qu’il ne connaissait pas. Mais Lissa est une mère et elle sait que la mère de Kristopher l’attend. Lissa est une femme très complexe, intelligente, drôle mais aussi, parfois, manipulative qui peut mentir pour obtenir ce qu’elle veut. Elle n’a pas été une mère parfaite, ses enfants ont connu les foyers, les déménagements et l’addiction de leur mère. Mais elle va réussir à entrainer certains d’entre eux. Ils vont creuser dans les Badlands à la recherche du corps et apprendre un peu plus sur leurs croyances.
Ce récit est passionnant de bout en bout, et surtout il offre un portrait impressionnant, comme le livre de Joshua Whitehead, de la nation Indienne contemporaine. Fini les préjugés, les stéréotypes ou la vision parfois tronquée des Européens. David Treuer a conclu la même chose que moi après sa lecture. Un portrait sans fard de la réalité des réserves aujourd’hui, avec en fond de toile, ce legs (génétique?) de la violence systématique sur les tribus et sur leur guérison.
Fort Berthold est une réserve qui accueille les trois tribus affiliées : les Arikara (le garçon dans le film The Revenant est membre de cette tribu et Di Caprio a appris leur langue) , les Mandan et les Hidatsa. Ces derniers ont souvent été les ennemis des Arikara. L’histoire de cette réserve est passionnante. Poussés par les Blancs, ces trois tribus ont quitté leurs terres d’origine (l’Iowa) pour le Dakota du Nord et ont du s’installer autour d’un lac. Très vite, ils ont réussi à s’auto-alimenter. Cette réserve était un exemple d’autogestion. Ils cultivaient, chassaient et pêchaient. Mais les Blancs ont eu souhaité alimenter en eau les grands propriétaires blancs et ont décidé de construire un barrage. Les Anciens parlent du temps d’avant et d’après. Leurs villages historiques ont été noyés et les tribus ont du se réinstaller sur ces Badlands, ces terres arides. Ils sont redevenus dépendants du gouvernement avec un taux de chômage important. Comme beaucoup de ses compatriotes, Lissa s’est installée en dehors de la réserve. Elle vit à Fargo mais ses parents et grand-parents vivent sur la réserve. Elle possède envers elle un document officiel établissant son appartenance à la tribu avec le quantum suivant :
Arikara Blood Quantum: 23/64
Mandan Blood Quantum: 1/4
Hidatsa Blood Quantum: 3/16
Sioux (Standing Rock) Blood Quantum: 1/8
Total Quantum This Tribe: 51/64
Total Quantum All Tribes: 59/64
Un jour, la journaliste regarde ce document et demande à Lissa “Que sont les 5/64ths qui ne sont pas identifiés ?”
“Je ne sais pas” a répondu Lissa, “mais quelqu’un a déconné”.
Cette lecture entre dans mon challenge #nationindienne et dans mon challenge 50 états en 50 romans – Dakota du Nord.
Random House, 2020 (2019 Kindle), 400 pages
18 commentaires
Tu le sais, quand on me parle journalisme d’investigation… Je viens d’ailleurs de finir « Dévorer les ténèbres ». Bref, je note celui-ci qui m’a l’air effectivement passionnant!
Oui, il est passionnant ! Je l’ai lu il y a plus d’un mois mais j’ai adoré. Ravie de connaître une autre Fan de journalisme d’investigation !
Je suis allée vérifier, ça a l’air dans mes cordes, mais pour mettre la main dessus, ça va être coton. C’est récent?
Oui il est récent. Il faut le lire en numérique.
Pfff, mais c’est un lieu de perdition ici ! Je me demande où tu déniches tous ces titres dont je n’ai jamais entendu parler, et qui ont l’ai si passionnants… il est traduit en français ?
Non pas encore, mais tu arrives à lire en anglais ? comment je les déniche ? oh je cherche … parfois le hasard, parfois je persévère hihihi
Non, je ne lis pas en anglais, mes bases ne sont plus assez solides.. je note tout de même, en espérant une traduction prochaine..
Je traîne encore par ici (je ne travaille pas aujourd’hui, alors faute de me promener dehors, je me ballade sur la toile…) et je viens d’aller visiter ta PAL, que je n’avais pas dû consulter depuis un moment car je constate que nous avons 3 titres en commun : Danseur d’herbe de Susan Power, Martin Eden de London et Le Joe Meno (Prodige et miracle). Du coup, si une voire plusieurs LC te tentent…
Ah super ! J’étais persuadée que tu avais déjà lu Martin Eden, Danseur d’herbes, le Caribou a adoré et le Joe Meno, pareil c’est de sa faute. Je suis partante pour les trois ! avec grand plaisir !
si je me trompe pas, en juin on a prévu de lire Balzac, tu es partante ? et là tu as d’autres LC en cours avec Augsut et le Caribou ??
J’ai bien noté pour le Balzac, oui, je serai bien au RDV du 15 ! Et nous avons en effet calé avec Marie-Claude une LC d’A l’est d’Eden pour le 10 juillet, à laquelle se joindra peut-être The Autist Reading, et tu es bien sûr la bienvenue si cela te tente. Pour les titres que nous avons en commun, tu veux caler ça pour quand ? On pourrait en programmer un pour juillet, un pour août et un pour septembre, par exemple..
Alors, j’ai déjà lu A l’Est d’Eden, il y a pas longtemps et j’ai adoré ! Du coup, je ne vais pas le relire mais j’avais donné envie au Caribou. Super pour Balzac !
Bonne idée, on peut dire Martin Eden en juillet, Danseur d’herbes en août et Joe Meno en septembre ?
J’ai acheté mes livres hier soir, dois-je encore attendre 24h avant de pouvoir les toucher ? ce virus m’énerve…. je ne pense pas qu’on puisse du gel ça va les abîmer …
J’ai commencé Le père Goriot ce matin, et je suis déjà emballée, c’est féroce à souhait, j’adore ces descriptions si joliment tournées qui pourtant éreintent !
Pour les LC, j’ai regardé celles que j’ai déjà et espérant partir en vacances fin août (à condition de pouvoir dépasser les 100 kms…), je te propose le 20/07 pour Martin Eden, le 05/08 pour Danseur d’herbes et le 10/09 pour le Meno, dis-moi si cela te convient (comme d’hab, on peut toujours changer même au dernier moment en cas d’incapacité de l’une ou l’autre..).
Pour les livres à « désinfecter », cela dépend de la couverture, si elle est un peu plastifiée tu dois pouvoir passer une lingette dessus, ou un peu de gel, oui, mis sur une éponge ou un chiffon.. J’avoue que je ne me pose pas toutes ces questions, je suis sans doute inconsciente, mais cela compense avec mon conjoint qui est complètement flippé et qui met tout ce qui vient du dehors en décontamination dans le couloir pendant 24 h !!
oh tu as commencé ? bon tu me rassures !
j’attends l’Ascension pour m’y plonger. Okay pour les dates, ah oui dépasser les 100 km.. c’est déjà mieux que le fameux 1km LOL
Moi je suis contente car les plages ont réouvert donc je pourrais aller prendre l’air cet été (mes prochaines vacances sont hors période estivale, en septembre)
Merci pour les livres, oui on se pose dix mille questions. Une amie est aussi moins regardante, j’avoue que je suis plus comme ton conjoint, les courses c’est carrément 3 jours ! (sauf le frais) donc là les livres.. je ne veux pas les abîmer, les acheter neuf exprès !!!
Super, je bloque les dates de LC… Oui, j’ai vu, chanceuse, que les plages étaient ouvertes par chez toi (qui est aussi mon chez moi d’origine, puisque je suis nantaise, à la base, même si maintenant j’ai vécu plus longtemps sur Bordeaux, mais mes parents sont toujours dans la région, au sud de Nantes).. Nous on doit se contenter de lorgner le sable !! .. on en avait tellement marre de se balader dans notre quartier, que nous sommes quand même allés pique-niquer hier soir, par 13° et vent du nord, au bord de l’eau. Il n’y avait personne c’était magnifique !!
Ça m’a l’air passionnant, cette histoire. A la fois différent de et semblable dans l’esprit à Killers of the Flower Moon, de David Grann (dis-moi si je me trompe).
Sinon, voilà encore un exemple de livre toujours pas traduit que beaucoup aimeraient pourtant lire… Je dis ça, je dis (toujours) rien…
Oui ! En plus c’est une véritable étude sociologique donc il faudrait vraiment qu’il soit traduit, mais les éditeurs français sont parfois frileux … enfin sauf les Editions du Globe. J’espère que l’un d’eux se lancera !
Super, je bloque les dates de LC… Oui, j’ai vu, chanceuse, que les plages étaient ouvertes par chez toi (qui est aussi mon chez moi d’origine, puisque je suis nantaise, à la base, même si maintenant j’ai vécu plus longtemps sur Bordeaux, mais mes parents sont toujours dans la région, au sud de Nantes).. Nous on doit se contenter de lorgner le sable !! .. on en avait tellement marre de se balader dans notre quartier, que nous sommes quand même allés pique-niquer hier soir, par 13° et vent du nord, au bord de l’eau. Il n’y avait personne c’était magnifique !!
Désolée si tu as 2 fois ce commentaire, j’ai fais une mauvaise manip’, du coup le précédent s’est mis en approbation…)
courageuse ! Mais je comprends ! Moi j’ai hâte de pouvoir aussi retourner au bord de la Loire ou de l’ordre mais là c’est pris d’assault par les joggers qui attendaient depuis longtemps la réouverture des parcs et des berges. Je pense que ce week-end beaucoup vont filer à la mer 🙂 Moi, j’ai eu une énorme facilité à me passer de l’attestation pour sortir mon chien !
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