Le communisme s’est écroulé. Le rapport de Guéo l’aurait peut-être sauvé. Les messages de mes paupières gardent leur secret, mais j’ai la vie sauve.
Tout commence à l’hôpital du gouvernement bulgare où Alba a été admise pour une paralysie galopante. Elle a dix-sept ans et rencontre Guéo, cinquante-cinq ans, membre du Politburo. Conscient de la déroute communiste, il ne cesse de travailler sur un rapport. Là, dans ce sanatorium, puis de Sofia à Varna sur les rives de la mer Noire, ils vont s’aimer. Passionnément, absolument. Surveillés par les services secrets, dans ces jours anciens que sont les dernières années du communisme juste avant que ne tombe le mur de Berlin. Trois ans, peut-être quatre… jusqu’au moment où Guéo va trop loin : l’étau se resserre et Alba doit fuir. Ils se donnent rendez-vous à Paris pour un premier dîner en français.
J’ai reçu ce livre dans le cadre du challenge Prix littéraire auquel je participe. Je ne connais pas la dramaturge Albena Dimitrova qui livre ici un premier roman « charnel et bouleversant » et qu’elle a choisi d’écrire en français, et non en bulgare, sa langue natale. Un premier roman qui m’a envoûté au deux-tiers pour malheureusement me perdre quelque peu en chemin à la fin.
Il y a l’histoire d’amour, magnifique, intense, bouleversante portée par la romancière avec force et grand talent. Car Albena est une vraie poétesse. J’ai adoré, malgré la différence d’âge, la situation maritale de l’homme, lire comment la passion a bouleversé ses deux êtres, emportant tout sur son passage. Une passion qui coïncide avec la fin d’un monde. Un monde qui s’écroule et deux êtres qui s’accrochent l’un à l’autre comme des naufragés sur un bateau en dérive.
La force d’Albena Dimitrova c’est d’offrir au lecteur un immense plaisir de lecture car la poétesse possède un lien physique, sensuel avec le français, une langue qu’elle a appris sur le tas, en débarquant en France en 1989, ne connaissant que quelques mots.
Le matin il me dépose un baiser sur le front, me caresse un moment les cheveux. Avons-nous dormi cette nuit-là? Quelques minutes peut-être, nos mains jointes, nos jambes emmêlées. Le jour est déjà sur les montres mais sa lumière tarde encore dans l’hiver. Au loin, un bruit de porte arrache une première attention au silence. Les draps ont gardé l’odeur de Guéo, l’oreiller ses larmes et la transpiration de nos fronts. Je les hume.
« J’écris en français des histoires vécues en bulgare. J’en ai gardé l’accent. » – Albena Dimitrova
Mais les histoires d’amours finissent mal, en général. Et tandis que leur monde s’écroule, leur fuite ne peut plus durer. Albena a 20 ans en 1989, trois ans d’amour fort mais contrarié (une grossesse interrompue), une liaison dangereuse. Son amant est suivi, espionné. Alba est en danger. La romancière offre ici un regard sans complaisance sur sa liaison avec cet homme nettement plus âgé, qui collectionnait les maîtresses (officielles et officieuses) et refuse de remettre un rapport au Politburo, alors que la fin du régime communiste approche. Ici, nous assistons à la naissance d’une passion et à la mort d’un régime. Et la romancière s’en sort très bien, elle y parle du désir entre deux êtres face à l’absence de désir dans ces régimes politiques qui nient l’individu. Cependant, je dois apporter un bémol qui m’a freiné dans ma lecture et gâché la fin du roman.
Avec le recul, il s’agit sans doute de nostalgie de la part de l’auteur. L’amant d’Alba et né très pauvre et c’est grâce au régime communiste et au KGB qu’il grimpe dans la hiérarchie et devient une figure incontournable du régime communiste bulgare. Il obtient un poste d’ambassadeur en Syrie, au Liban. Il possède une culture immense et Alba est en admiration totale. Et si le régime communiste a permis pendant une trentaine d’années au peuple bulgare de connaître la paix, le plein emploi – il n’en reste qu’Alba en garde une vision parfois trop romancée. Sans doute lie-t-elle ce régime à cet homme, qui pourtant, en cette fin 1989, sait que ce régime a perdu de son sens, que le goût du pouvoir a supplanté le bien du peuple (avec le culte de la personnalité) et qu’il faut changer de système.
De plus, la dramaturge bulgare critique férocement le régime capitaliste – qui, j’en suis d’accord, possède d’immenses défauts, mais je ne peux pas, comme elle, encenser le régime communiste quand on sait le mal qu’il a fait pendant des années (les goulags, la torture, les assassinats, etc.). Le fameux rapport de Guéo qui mettra en danger la jeune Alba résume d’ailleurs assez bien la nécessité de quitter ce régime communiste qui s’est transformé en une dictature déguisée. Pourtant Alba au fond d’elle le sait. Ainsi lorsqu’elle décrit ces sanatoriums dédiés aux pontes du pouvoir, où le « petit peuple » ne peut accéder.
Il en reste cependant une passion magnifiquement racontée, des passages entiers que j’ai adorés.
♥♥♥
Editions Galaade, 2015, 216 pages
14 commentaires
Ces non francophones d’origine qui écrivent des romans en français (et très bien, même) ça me sidère (et me réjouit) toujours!
Oui, impressionnant et surtout de pouvoir maîtriser non seulement la langue mais pouvoir en jouer comme elle fait dans ses poésies !!!
Je suis attirée par le sujet, et aussi par le fait que l’auteur n’aie pas le français pour langue maternelle. Je note ton bémol toutefois.
Un bémol sur ses idées politiques, mais l’histoire d’amour et le style sont magnifiques.
Malgré ton bémol, je serais assez curieuse de découvrir ce roman, et je trouve toujours intéressant de voir comment des étrangers investissent notre langue, qui devient ainsi la leur. C’est souvent très touchant.
Dans ces cas-là, fonce car elle maîtrise notre langue comme peu de nos concitoyens ! Les passages sur l’histoire d’amour sont magnifiques.
il fait partie de ceux qui me tentent dans cette rentrée et que je n’ai pas encore eu le temps de lire!
Si tu aimes les histoires d’amour « impossibles » et la langue française, tu seras comblée avec ce roman 😉
Moi aussi j’aime beaucoup quand un auteur écrit dans une langue qui n’est pas sa langue natale. L’espagnol Agustin Gomes Arcos le faisait magnifiquement.
Oui, c’est toujours impressionnant – leur vocabulaire est immense !
Comme Keisha je suis admirative des auteurs qui arrivent à écrire (et si bien à te lire), dans une langue qui n’est pas celle de leur naissance.
Pour autant je ne suis pas attirée par le sujet, peut-être parce que j’ai lu pas mal d’auteur des pays de l’ex bloc soviétique, sur ce sujet, je ne sais pas. Mais pas in the mood, si j’ose dire.
Dommage ! Car vu ton amour de la poésie, et s’agissant d’une poète, tu aurais aimé le style – mais l’histoire oui, ça peut effectivement te sembler redondant 😉
Ton billet pique ma curiosité ! Vu la proximité entre le prénom de l’auteur et celui du personnage principal, je me demande si le roman est en partie autobiographique ?
Oui, je pense qu’il l’est – enfin en partie, quoique .. elle glisse ce fameux rapport à la fin de son livre mais je le trouve « trop succinct » 😉 J’aimerais bien avoir ton avis dessus, en tout cas, elle écrit magnifiquement et l’histoire d’amour est vraiment troublante. Elle lui pardonne tout.
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