The Vanishing Half · Brit Bennett

par Electra
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J’ai souhaité lire le dernier roman de Brit Bennett car j’aimais beaucoup l’intrigue : deux soeurs noires jumelles originaires de la Louisiane quittent les leurs pour affronter le monde. L’une reviendra, l’autre deviendra blanche.

Je l’ai lu en anglais mais ce livre a été traduit et publié récemment en français sous le titre L’Autre Moitié de Soi aux éditions Autrement.  Je n’ai pas lu le précédent roman de Brit Bennett, The Mothers (Le coeur battant de nos mères) mais j’ai lu son recueil Je ne sais pas quoi faire des gentils blancs sur la question raciale en Amérique. The Vanishing Half exploite le même sujet mais sous un volet fictionnel.

1954 – Mallard.  Mallard n’existe sur aucune carte officielle pourtant cette petite ville de Louisiane existe bel et bien. Elle est le fruit de l’imagination d’Aphone Decuir en 1848, ancien esclave, désormais libre qui a décidé de créer une ville composée uniquement d’hommes et de femmes noirs, qui ne seront jamais acceptés comme Blancs et refusent d’être traités comme des nègres. Car Alphonse est né d’un viol, et sa mère haïssait sa peau très claire. Lui, l’a pris comme une revanche et a épousé une mulâtre à la peau encore plus claire. Lui est venu ainsi l’idée de créer une lignée où chaque génération aurait encore la peau plus claire. Et cent ans plus tard, les jumelles Vignes, descendantes directes de Decuir, lui font honneur. Les deux jeunes femmes ont la peau si claire, les cheveux raides qu’elles peuvent passer pour blanches. Mais pour le moment, leur seule envie est de quitter cet endroit.

Once you mixed with common blood, you were common forever.

Les deux soeurs, Desiree, l’aînée de 7 minutes et Stella, fuguent main dans la main une nuit. Arrivées à la Nouvelle-Orléans, elles tentent de trouver du travail. Le temps passe, et un jour Stella trouve un emploi de secrétaire à la Maison Blanche, un magasin très chic. Mais Stella a du mentir pour être embauchée. Car on n’embauche que des Blancs à l’époque. La journée, la jeune femme devient blanche. Elle marche, parle différemment. Elle surveille ses gestes, son langage. Et le soir, dans le tramway, elle retrouve sa soeur mais quelque chose a changé.

Elle vient de tomber amoureuse de son patron, un Américain blanc originaire de Boston. Un fils de bonne famille. Il ignore tout de Stella. Il la croit orpheline. Et un jour, Stella disparaît.

Les années passent et en 1968, Desiree réapparaît à Mallard, à la grande surprise de tous. Mais encore plus terrible, avec elle, une enfant de huit ans, Jude. A la peau si noire, qu’elle choque tout son entourage ! Comment a-t-elle pu enfanter un enfant dont la couleur est celle du charbon ? Desiree fait face à sa mère, Adèle et à la ville entière :

I just don’t see how nothin that black coulda come out Desiree.

Puis le roman saute dans le temps, on retrouve Jude, jeune diplômée qui part étudier à l’autre bout du pays, où sa noirceur fera moins jaser. Elle tombera amoureuse d’un garçon pas comme les autres. Dans cette même ville, Kennedy, la fille unique de Stella, tentera de percer au théâtre. Quatre femmes, quatre générations. Et un secret écrasant.

En premier lieu, l’ayant lu en anglais, j’ai trouvé intéressant le fait que l’histoire se passe en Louisiane, les noms d’origine française et l’expression même « passer blanc » (se faire passer pour une personne blanche) est utilisée en français (j’ignore si cela est mentionné dans la traduction). J’ai écouté un podcast sur ce roman et en anglais ils s’étonnaient de l’emploi du verbe to pass mais en fait il s’agit du verbe français et non anglais. Pour avoir lu et vu pas mal de documentaires sur la question noire, je sais que de nombreux Américains ont réussi à se faire passer pour blanc, mais le prix était horriblement cher.  J’ai adoré la manière dont Brit Bennett transcrit les sentiments, les craintes de Stella. C’est indéniablement pour moi le personnage le plus intéressant car cette nouvelle vie de femme blanche riche est tellement loin de son enfance. L’entendre tenir des propos racistes est vraiment marquant. Car comme sa mère lui disait :

We always know our own.

De même, le personnage de Jude, petite fille à la peau très noire, dont on se moque pendant toute sa scolarité à Mallard est aussi touchant. La différence n’est jamais acceptée. Comme l’éditeur le précise, ce roman interroge sur l’identité, mais aussi sur la filiation, sur le droit à l’oubli. Le droit de renaître (comme avec le petit ami de Jude) et surtout le besoin fort d’exister.

Je ne sais pas si le fait de le lire sur ma liseuse a joué, mais j’avoue un seul bémol : je n’avais pas hâte comme pour certaines lectures de m’y replonger, sauf lorsqu’au deux tiers, la tension monte (je ne veux pas trahir l’histoire).

Un roman que j’ai trouvé émouvant et touchant et toujours d’actualité.  Un roman qui vous apprend que la liberté, hélas, est lié à votre couleur de peau.

♥♥♥♥

Editions Dialogue Books, 2020, 308 pages

Photo by Fallon Michael on Unsplash

Et pourquoi pas

18 commentaires

Eva 19 octobre 2020 - 14 h 00 min

Un roman qui est sur ma liste. Sur le même sujet, j’ai lu « Africville » de Jeffrey Colvin chez HarperCollins – intéressant, mais j’avais pas mal de bémols…

Electra 19 octobre 2020 - 19 h 10 min

Ah zut ! Ici peu de bémols, et le personnage de Stella est très intéressant …

Sunalee 19 octobre 2020 - 14 h 59 min

Celui-là était déjà sur ma PAL 😉

Electra 19 octobre 2020 - 19 h 10 min

Bien ! Je l’ai vu pas mal sur les réseaux et il mérite bien notre attention 🙂

Jackie Brown 19 octobre 2020 - 19 h 17 min

Je suis curieuse à propos de ce podcast. Américain ou d’un autre pays anglophone ? Le terme passing est utilisé depuis longtemps, cf le roman de Nella Larsen, Passing, est sorti en 1929.

Electra 19 octobre 2020 - 19 h 42 min

Oui, mais ici ils disent « passer blanc » (en vo) donc on sent bien l’influence française … Le podcast est australien et elles ne connaissaient pas ce verbe 😉 Tu as déjà du lire ce roman il y a longtemps, je suis un peu perdue .. et là je suis en pleine Angleterre victorienne ! Mais le mois de novembre va être l’occasion de se pencher sur de la non fiction et j’ai hâte, tu vas y participer ?

Jackie Brown 19 octobre 2020 - 20 h 50 min

Je pensais que le terme « passing » serait compris dans le monde anglophone, puisqu’il ne se limite pas au fait de se faire passer pour blanc pour un noir. On l’utilise aussi pour dire se faire passer pour un riche, se faire passer pour une femme/un homme… C’est bizarre qu’elles ne connaissaient pas le mot.

Jackie Brown 19 octobre 2020 - 20 h 51 min

J’ai oublié de te répondre pour le mois de novembre. S’agit-il d’un challenge non fiction ?

Electra 19 octobre 2020 - 22 h 46 min

Oui, apparemment elles ne l’utilisent pas de ce côté-là de l’océan ! Elles ont clairement dit qu’elles ne l’avaient jamais entendu. Pour le mois de novembre, il s’agit d’un challenge oui. Assez connu, il me semble. Je prépare un billet à ce sujet, j’ai déjà préparé une pile à lire si tu veux te joindre à moi 🙂

Jackie Brown 19 octobre 2020 - 23 h 45 min

J’attends ton billet alors. En revanche, je ne sais pas si j’aurai le courage de reprendre mon blog d’ici là.

Sunalee 20 octobre 2020 - 8 h 05 min

Un challenge non-fiction ? ça m’intéresse, même dans ma vieille PAL, j’ai deux candidats: un récit de voyage et un David Grann (conseillé par toi, il me semble).
J’ai plein de livres d’histoire aussi, mais je les classe ailleurs sur ma PAL 😉

Electra 20 octobre 2020 - 18 h 39 min

j’adore Grann donc oui ça devait venir de moi … bon alors tu es prête pour le challenge ? Je publierai mon billet le 2 novembre !

Sunalee 20 octobre 2020 - 18 h 43 min

je viens de finir le pavé et je crois que je suis d’humeur pour un récit de voyage au Japon (on compense comme on peut !), ou alors j’intercale encore un roman, on verra tout à l’heure.

Electra 20 octobre 2020 - 19 h 13 min

Ah oui, moi qui voyage toujours à l’étranger, je souffre de rester en France mais pas le choix ! Du coup, pourquoi pas le Japon ? Tu me diras si tu es repartie en voyage ou dans un autre roman !

Sunalee 21 octobre 2020 - 7 h 40 min

Je suis partie en voyage 😉
Je viens de mettre goodreads à jour.

Mes échappées livresques 26 octobre 2020 - 11 h 26 min

Je n’étais pas emballée par son précédent donc à voir…

Electra 26 octobre 2020 - 19 h 39 min

Tu as lu The Mothers ? Moi uniquement son essai du coup j’hésitais à le lire mais ton avis refroidit mon enthousiasme ! Ici je pense que le sujet vaut le détour.

La Rousse Bouquine 27 octobre 2020 - 10 h 49 min

Il me tente beaucoup ! J’avoue que la couverture française a fait que je ne m’étais pas du tout arrêtée sur le livre jusqu’à maintenant (superficialité, quand tu nous tiens…), mais j’ai écouté l’auteure vendredi dernier sur France Inter et j’ai adoré ce qu’elle disait de son livre et de l’Amérique.
Je me laisserai peut-être tenter !

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