Savage Conversations · Leanne Howe

par Electra
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Si le nom d’Abraham Lincoln a été régulièrement cité ces derniers temps avec l’attaque sur le Capitole, le mouvement Black Live Matters, j’ignorais qu’il avait ordonné l’exécution par pendaison des 38 Indiens Dakota en 1862. Et j’ignorais que son épouse, peu de temps après sa mort, allait être internée car elle avait déclaré que chaque nuit, un « indien sauvage » venait l’attaquer et la scalper…

Connue sous plusieurs noms, la Guerre des Sioux ou La révolte des Dakota est un conflit armé qui opposa plusieurs tribus indiennes Dakota au gouvernement américain en 1862. Elle commença le 17 août 1862 lorsqu’un jeune Dakota et trois de ses amis tuèrent cinq colons en revenant d’une expédition de chasse. Cette nuit-là, un conseil réunissant plusieurs tribus décida d’attaquer les Blancs présents dans toute la vallée du Minnesota.  Pourquoi ? Aucune raison n’est avancée sur les sites or il me paraît essentiel de dire les choses : les colons ont chassé les Dakota de leurs terres et depuis plusieurs décennies, ils tuent les bisons par centaine, faisant mourir de faim les Dakota qui survivent aux longs hivers en asséchant la viande de bison.

Le conflit allait durer plusieurs mois et se terminer par le reddition et la capture de plus d’un millier d’indiens, et la mort (chiffre jamais vérifié) de plusieurs centaines de colons. A l’issue d’un procès, l’exécution collective de 38 Dakota par pendaison eut lieu le 26 décembre 1862. Cette exécution est la plus grande exécution de masse de l’histoire américaine et eut lieu à la demande du Président Lincoln, Chef des Armées. Mais le gouvernement américain ne s’arrêta pas là et en avril de l’année suivante, les Dakota encore présents furent expulsés du Minnesota vers le Nebraska et le Dakota du Sud.

Le Président Lincoln fut assassiné le 15 avril 1865. Peu de temps après, sa veuve, Marry Todd Lincoln commença à montrer des signes de maladie mentale. Elle fut internée au sanitarium de la Bellevue Place à la demande de son unique fils encore en vie. Mary Todd eut quatre fils avec Abraham, mais seul Robert, l’aîné a vécu jusqu’à l’âge adulte.  A ses médecins, Mary Todd avait déclaré que chaque nuit un « indien sauvage » pénétrait sa chambre, s’attaquait à elle physiquement jusqu’à la scalper.  Leanne Howe a décidé de s’emparer de ce récit pour rapprocher l’exécution masse des Dakota, ordonnée par Abraham Lincoln, et les visions nocturnes de sa veuve.

Est-elle hantée ? Et que dire de plusieurs livres à son sujet, qui l’ont soupçonnée d’être à l’origine du décès de ses trois autres fils ? Certains la soupçonnent en effet d’avoir précipité la mort de ses enfants. Ce roman met en scène Mary Todd la nuit, hantée par cet indien et par un troisième personnage qui s’invite dans leurs échanges, la corde. Celle qui a exécuté les 38 indiens et serait ravie d’être de nouveau utilisée …

Que dire ? Sinon que ce livre va vous hanter longtemps à votre tour. Dans ce récit en versets, ressortent ces voix qui crient leur agonie, leur douleur – que ce soit celle de Mary ou celle du Dakota. Chacun a vécu un traumatisme profond. Il est difficile de traduire ce récit, de traduire l’horreur qui a eu lieu et l’intensité qui se dégage de ces échanges.

The Savage Indian : Woman be still ! He moves in close, gently caresses her face. Takes the smallest sharp flint from his leather pouch, slits the soft skin above each eyelid, sews it firmly open with a a thread of silver filigree, then cuts out her left cheeckbone.

Mary Todd Lincoln – Ecstatic : Oh ! At last I can see the world as it truly it is.

LeAnne Howe appartient à la nation Chocktaw de l’Oklahoma, poète, écrivaine, dramaturge et réalisatrice, elle réalise ici ce qui pourrait être mis en scène sous forme de pièce de théâtre (avec une voix off pour la corde). Elle a reçu plusieurs prix. En relisant ce texte pour préparer ce billet, je plonge à nouveau dans ce récit glaçant, que ce soit les mots de la corde (the rope) ou ceux de l’Indien sauvage, et de la détresse de Mary – en colère contre son fils aîné, pour l’avoir fait interner.

The Rope : Two down. Thirty-six more to go.

Savage Indian : In Dakhótha Land, they are pulling down the last of our dead

Bodies of men and women hanged by a rope of lies.

(..)

When I look at your world, I weep

Because in the end, even your life is a captivity account

Maybe we are all captives of one sort or the other.

Ce texte ne laissera personne indifférent et je suis contente de l’avoir relu à nouveau pour rédiger ce billet. Il transmet toute l’horreur de cette exécution massive, la destruction d’un peuple et parle aussi de la culpabilité des survivants. Ce récit met aussi en avant que ce pays s’est construit sur le sang, sur des crimes contre l’humanité, celui des Indiens, des esclaves ensuite, des colons exterminés.  Quand je repense au discours présidentiel qui chante à nouveau à la gloire d’une terre promise, j’ai mal au coeur en pensant que cette terre fut volée aux Indiens. Et que même de nos jours, lorsqu’un Président démocrate prend le pouvoir, on continue de crier à cette « Manifest Destiny ».

The Rope :

I know the secret thrill of taut,

Tying up, tying down,

Binding tight,

Strapping hard,

Lashing knot to payload – for kicks,

I am a collar,

A strangler,

I float in the wind like a flag on holidays,

I inspire national pride.

Ce livre a été lu dans le cadre de mon challenge #nationindienne

Editions Coffee House Press, 2019, 144 pages

Et pourquoi pas

2 commentaires

Marie-Claude 22 avril 2021 - 16 h 17 min

Fascinant et… désespérant. Quand l’histoire rejoint l’Histoire…

Electra 22 avril 2021 - 21 h 43 min

oui, en fait on admire des gens sans tout savoir d’eux ! la maison d’édition est très intéressante par contre !

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