Publiée et produite pour la première fois en 1959, la pièce de théâtre de Lorraine Hansberry, m’avait, pour quelle raison, encore échappée or celle-ci constitue une pièce majeure de la dramaturgie américaine.
J’ignorais qui était Lorraine Hansberry jusqu’à ce que le titre de l’une de ses pièces de théâtre, A raisin in the sun, parviennent à mes oreilles. Jouées de nombreuses fois, elle a remporté de nombreux prix avant d’être oubliée. Ecrite par une jeune femme noire, elle dresse un portrait très réaliste de l’Amérique à la veille des années 60. Cette pièce aborde des sujets majeurs et pourtant largement ignorés à l’époque : la représentation de la communauté noire, l’identité, le racisme, mais aussi les droits civiques et l’émancipation des femmes.
Nous voici à Chicago, dans un quartier populaire noir, chez les Younger. L’apparement, exigüe, appartient à Ruth (« Mama ») et à son époux décédé récemment, Walter Lee Sr. Elle y vit désormais avec son fils Walter, sa fille Beneathea, sa belle-fille Lena et son petit-fils, Travis. Walter est chauffeur et Lena fait des ménages. Les Younger vivent chichement mais Ruth va toucher un énorme chèque (10 000 €, on peut multiplier la somme par 10 de nos jours) suite au décès de son époux. Cet argent a mis son fils Walter en émoi.
Car Walter ne supporte plus d’être pauvre, il veut être respecté et réussir et surtout, il en a marre de voir que les siens, son peuple, préfère être employé qu’employeur. Il veut être entrepreneur et a déjà plein de projets dans la tête avec deux de ses amis, avec qui il fréquente un peu trop souvent les bars. Mais ce n’est pas son argent, c’est celui de sa mère. Beneatha étudie à l’université. Elle rêve d’être médecin et l’argent de sa mère pourrait lui permettre de réussir à atteindre cet objectif. Elle fréquente les milieux intellectuels. Un jeune étudiant noir fortuné ne cesse de la séduire mais elle ne lui trouve rien dans la tête, elle préfère la compagnie de Joseph Asagai, un étudiant nigérian. Ce dernier la questionne sur son assimilation au monde des Blancs. Pour lui, elle devrait porter fièrement sa négritude. Comment ? En arrêtant de lisser ses cheveux par exemple…
De son côté Lena, ne reconnaît plus son mari qui ne pense plus qu’à l’argent et se méfie de ses mauvaises fréquentations. Elle-même se sent mal et découvre bientôt qu’elle est enceinte, or leur fils Travis n’a déjà pas de chambre et dort dans le salon. Comment vont-ils y arriver ? La pièce qui se déroule sur l’espace de quelques jours est passionnante. La construction est maîtrisée et les dialogues intenses et profonds.
Ce récit montre le lavage de cerveaux subi par ces petits-fils et petites-filles d’esclaves qui se voient inférieurs à l’homme blanc, Ruth ne dit-elle pas à son fils que l’homme noir est fait pour travailler et non diriger ? Walter blâme ainsi les siens de refuser de se lancer dans les affaires et de se contenter de cette vie. Il reproche même à sa femme son absence de soutien car c’est une « colored woman » :
That is just what is wrong with the colored woman in this world. Dont’ understand about building their men up and making’em feel like they somebody. Like they can do something.
Mais Lorraine Hansberry s’attaque également aux préjugés sexistes, ainsi les rêves de « grandeur » de Beneatha énervent son grand frère qui en l’espace d’une phrase résume parfaitement la pensée masculine de cette époque :
Who the hell told you you had to be a doctor ? If you so crazy about messing ’round with sick people – then go be a nurse like other women or just get married and be quiet
Mais le sexisme se manifeste aussi dans les relations amoureuses, ainsi lorsque Joseph, l’étudiant nigérian fait part à Benny de ses sentiments pour elle et qu’elle lui répond que ce n’est pas réciproque malheureusement, il lui rétorque (là j’avoue avoir failli m’étrangler) :
For a woman it should be enough
Le racisme est aussi présent, ainsi même si les Younger ont quitté le Sud pour le Nord et une grande ville comme Chicago, le racisme est devenu plus poli, déguisé. On ne l’exprime plus à voix haute mais il est bien là. Je ne veux pas raconter toute la pièce, mais à la fin, Hansberry donne la parole à un homme Blanc qui vient voir Ruth et lui explique gentiment qu’il n’a rien contre eux .. tant qu’ils restent chez eux ! La pièce regorge de petites phrases assassines, ainsi lorsque Lena se sent faible (sa grossesse) Ruth lui dit de rester à la maison et prétexter avoir la grippe. Pourquoi la grippe ? Parce que lui répond-elle, c’est quelque chose que les Blancs ont aussi donc ils seront plus amènes à y croire …
J’ai aussi beaucoup aimé le débat entre Mama et Walter, elle qui a fui le Sud ségrégationniste pour connaître enfin la liberté voit son fils dévoré pas des rêves de richesses.
In my time we was worried about not being lynched and getting to the North and how to stay alive …
J’ai noté tellement de passages. Une lecture passionnante et qui forcément m’a donné très envie de lire ses autres pièces et ses essais ! Lorraine Hansberry avait un talent immense. Elle a écrit ce chef d’oeuvre à l’âge de 29 ans et a du se battre pour que la pièce soit finalement jouée. Elle est malheureusement décédée trop vite à l’âge de 34 ans. A raisin in the sun a été adapté au cinéma deux fois, en 1961 avec Sidney Poitier (cf.affiche) et en 2008 avec Sean Combs (sic).
♥♥♥♥♥
Editions Vintage, 2004, 160 pages
16 commentaires
Je viens de l’ajouter à ma wish-list. Reste plus qu’à le trouver en français.
Oui, et moi de lire ses autres pièces !
Très très tentant !
Oui ! je l’ai dévoré ! Elle pourrait être montée en France ou Arte pourrait rediffuser l’adaptation (avec S. Poitier) ?
Merci pour le partage de cette découverte car je ne connaissais pas non plus cette dramaturge.
De rien ! Idem je ne connaissais pas – elle nous a été enlevée trop vite !
C’est très tentant même si je pense me tourner plutôt vers ses essais.
Oui, je veux bien évidemment les lire 🙂
J’ai entendu parler de Lorraine Hansberry pour la première fois pas plus tard que la semaine dernière en regardant le documentaire I am not your negro sur James Baldwin et le racisme aux USA. Elle était une amie de Baldwin et le film lui consacre un passage assez important.
Oh merci pour l’information !
Ah, tu le vends bien, aussi bien qu’en direct lors de notre dernière parlotte! Tu te doutes bien que je le cherche en français!
Oui je comprends sinon regarde le film, avec Poitier – il a eu de bonnes critiques, je vais aussi chercher à le voir 🙂
Ah oui, excellente idée!
Evidemment ! LOL
Je ne la connaissais pas du tout et c’est très tentant mais la traduction française semble compliquée à trouver. Je vais essayer de visionner le film.
oui ! pourtant depuis quelques années tout est de nouveau publié en anglais, les éditions du Globe ? au boulot !
Les commentaires sont fermés