C’est au gré de mes pérégrinations au rayon BD de la BM que mon regard s’est posé sur ce livre. Le dessin m’a plu et moi qui connais assez mal (les grandes lignes quand même) de cette partie de l’histoire française coloniale, j’ai emporté Petit-fils d’Algérie dans mon sac (très chargé).
Le dessinateur Joël Alessandro a souhaité ici raconter l’histoire de sa famille, immigrée en France dans les années 60, originaires de Constantine en Algérie. Joël ne connaît que des bouts d’histoire et décide d’aller à la rencontre de son passé en s’embarquant dans ce périple, qu’il raconte dans ses carnets de voyage.
Le hasard va le mener à la rencontre d’un vieil homme qui connaissait bien la famille Alessandro – le grand-père du dessinateur était architecte et a construit la plupart des bâtiments les plus célèbres de Constantine, dont un cinéma, aujourd’hui menacé de destruction.
J’ai beaucoup aimé le volet familial – l’histoire de cette famille française, totalement intégrée à la ville de Constantine, bâtisseurs de renom, qui doivent malheureusement fuir précipitamment le seul pays qu’ils ont connu. Le dessinateur raconte l’arrivée catastrophique en France – j’ignorais ainsi que les « Pieds-Noirs » furent très mal accueillis lors de leur arrivée. Souvent envoyés aux quatre coins de la France, regardés de haut par les Français métropolitains, souvent étiquetés « colons », ils sont parqués comme des mal propres.
Il est vrai qu’en lisant cette bande-dessinée, on découvre que si tous les exilés n’étaient pas des colons fortunés, les Alessandro jouissaient d’un statut privilégié qu’ils ont perdu en quittant l’Algérie. Grande famille bourgeoise, ils sont redevenus de simples citoyens de la classe moyenne. Joël Alessandro n’avait que pour référence que les dialogues entendus, enfant, dans sa famille avec des paroles parfois très violentes à l’égard du peuple algérien.
Le dessin est magnifique et Joël Alessandro rend un bel hommage à cette ville rarement exposée dans les médias. Cette ville est devenue très pieuse, et alors qu’il dessine au gré de ses déambulations, il remarque bientôt l’absence totale de femmes dans les rues, passée une certaine heure. Et j’avoue, que pour moi, lectrice femme, la visite m’a paru un tant soi peu compromise, mais non. C’est cependant le signe d’un changement dans la société algérienne ainsi le cinéma a été fermé par mesure disciplinaire. Les films sont interdits. Une société qui s’est peu à peu renfermée sur elle-même. Une vision plutôt alarmante d’un pays magnifique.
Ayant été accueillie par le passé dans des familles de l’Atlas au Maroc, j’ai gardé un très joli souvenir de ces séjours. Les familles étaient très pauvres mais très accueillantes.
Puis l’auteur s’inquiète de savoir si sa famille, dont le fameux grand-père qui tenait des propos très violents, était raciste. J’ai trouvé cette démarche étrange. Le dessinateur est soulagé lorsqu’il se rend dans l’ancienne propriété de famille, immense villa bourgeoise, divisée aujourd’hui en appartements et qu’il trouve l’ancienne domestique de ses grands-parents. Elle remercie les grands-parents de Joël qui lui ont confié les clés de la maison avant de fuir. Elle n’a pas pu la conserver en entier et la demeure familiale des Alessandro a été divisée en appartements dont un qu’elle occupe aujourd’hui.
C’est comme si les simples mots de cette vieille femme venaient à effacer des siècles de colonisation, ou devrais-je dire plutôt, qu’en effaçant ici l’inquiétude du dessinateur, on pouvait ainsi repartir avec une vision du « gentil colon« . Je comprends cependant la position de l’auteur, découvrir que ses grands-parents, j’imagine étaient collabos ou colons doit être difficile. Je pense que ses grands-parents ont effectivement aidé au développement d’une ville, mais ils ne l’ont jamais fait « gratuitement« . Soyons honnêtes avec nous-même, les Français, qu’importe la colonie où ils se trouvaient, en Asie ou en Afrique, bénéficiaient d’un statut privilégié. Ils n’étaient pas, fort heureusement, pour la grande majorité, violents, xénophobes mais ils ont rarement remis en cause le système dans lequel ils vivaient et dont ils profitaient. Après, je comprends qu’avoir vécu toute sa vie dans un pays, avoir une histoire familiale remontant à cinq ou six générations, et devoir quitter précipitamment ce pays est un déchirement intense. Je n’oserais imaginer ma réaction si je devais quitter la France ! Bref, j’ignore si je suis juste dans mes propos.
Joël Alessandro livre en tout cas un magnifique témoignage d’amour envers l’histoire familiale de sa famille. Ses dessins sont comme des peintures et j’ai beaucoup appris sur l’histoire de cette ville. Même si j’aurais souhaité que l’auteur fasse ressentir au lecteur que ce sentiment d’exclusion était partagé. Une bande-dessinée d’apprentissage, donc !
♥♥♥
Éditions Casterman, 2015, 104 pages
4 commentaires
Connais pas… Mais si, les ‘pieds noirs’ n’ont toujours été accueillis à bras ouverts, et envoyés là où on pouvait les accueillir… La France des années 60 heureusement avait moins de problèmes de chômage, donc au moins ce problème de trouver un travail là existait sans doute moins, pour ce que j’en imagine.
Oui c’était l’époque du « plein emploi » disparu la décennie suivante …
je lirai volontiers cette Bd dont j’aime le dessin, je me souviens bien de l’arrivée des « pieds noirs » en France, oui, ils étaient mal-vus, et cela pour plusieurs raisons, avec eux arrivaient aussi l’OAS et la peur des attentats (déjà) contre des gens qui étaient pour l’indépendance de l’Algérie. C’est le début en France d’une prise de conscience anticolonialiste et eux représentaient les vaincus et ceux qui étaient du mauvais côté, il a fallu beaucoup de temps pour accepter qu’eux aussi étaient victimes.
Oui ! Ici il raconte l’histoire d’une famille dont il est le seul à retourner sur place donc ce sont tous ses souvenirs d’enfance qui lui reviennent et puis la ville qui apparait, très belle .. Le dessin est très beau et j’aurais adoré voir de vraies photos de ses fameux carnets 😉
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