C’est grâce à sa novella Zikora l’an dernier que j’ai mis fin à presqu’un mois sans pouvoir ouvrir le moindre livre. Chimamanda Ngozi Adichie sait toujours me parler. Ici, elle livre sa douleur immense après la perte soudaine de son père.
James Nwoye Adichie avait 88 ans. Il était invincible. Aux yeux de ses enfants. Chimamanda a toujours vénéré son père, un célèbre professeur de statistiques. Un homme respectable et respecté. Nigériane, Chimamanda respecte les Anciens et son père était un homme lettré, sachant et reconnu à l’Université du Nigéria où il enseignait. Pour l’autrice nigériane, son père était donc plus fort que tout, même la mort. Ses problèmes de santé, il en faisait fi. Il était suivi et confiant. Mais la veille d’un rendez-vous avec un spécialiste, il s’est écroulé. C’était l’été dernier, 2020 – au milieu de cette pandémie. Seul un de ses fils était à ses côtés, les autres vivant à l’étranger, à Londres ou en Amérique.
Chimamanda adorait leur réunion hebdomadaire avec leur père, organisé par son frère ainé sur Zoom. Mais ce jour-là, c’est le corps inanimé de son père qu’elle a regardé. J’ai toujours aimé l’acuité de l’autrice nigériane, le choix précis de ses mots. Et ici j’aime l’analyse qu’elle fait de ce deuil. Un deuil qu’elle ressent physiquement, et que sa fille de 4 ans imite plus tard. Elle s’écroule au sol et hurle sa douleur. Un text court (67 pages) et percutant.
How do people walk around functioning in the world after losing a beloved father ? For the first time in my life, I am enamored of sleeping pills, and, in the middle of a shower or a meal; I burst into tears.
Grief is not gauzy ; it is substantial, oppressive, a thing opaque. (..) For the rest of my life, I will live with my hands outstretched for things that are no longer there.
Ce qui m’a marqué, c’est qu’elle réalise, avec le recul, l’idée qu’ils se croyaient tous invincibles – comme protégés de la mort. Après tout, ses parents approchaient 90 ans et aucun malade, ni décès dans la famille. De quoi se sentir comme surhumains. Mais ce n’est pas un, mais trois décès qu’elle a du gérer en l’espace d’un seul et unique été. Leur monde s’est écroulé.
Elle réalise que cela la différenciait alors peut-être des autres, ceux qui comme moi, ont connu très tôt des disparitions tragiques. Ceux qui ont appris, très vite à vivre avec la mort. J’en échange parfois avec ma soeur ou l’une de mes meilleures amies, qui a aussi connu le même parcours. Et nous évoquons notre réaction adulte face à la mort comparée à celle d’amis qui affrontent cela pour la première fois. Et qui comme, Chimamanda, s’écroule. Qu’ils sont finalement chanceux.
We have been so fortunate, so happy (…) Until now, grief belonged to other people. Does love bring, even if unconsciously, the delusional arrogance of expecting never to be touched by grief ?
Reste un texte qui respire l’intelligence, la bonté et l’amour de ses proches. L’ouvrage a été publié en français chez Gallimard sous le titre Notes sur le chagrin.
♥♥♥♥
Editions A.Knopf, 2021, 71 pages
Photo by Adeyemi Emmanuel Abebayo on Unsplash
6 commentaires
Je ne pense pas que je le lirai, c’est trop compliqué: mon papa est décédé aussi l’été passé.
Mais ce n’était pas une surprise, je savais qu’il n’était pas invincible, et j’ai appris assez tôt aussi ce qu’était la mort…
Oui je comprends ! Je pense que ça peut être intéressant pour ceux qui vivent encore dans l’insouciance, mais aussi pour ceux qui ont perdu un proche, j’ai perdu mon père quand j’étais très jeune et d’autres proches, du coup je me sens différente de ces gens-là
Depuis ma lecture du formidable Americanah, je souhaite vraiment relire cette romancière. Plusieurs sont tentants dont celui-ci.
Oui, et elle écrit toujours aussi bien ! Sa nouvelle et cet essai sont excellents – elle sait vraiment écrire et viser juste !
Comme Céline, je compte poursuivre ma découverte de cette auteure!
Excellente idée !
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