Croire aux fauves · Natassja Martin

par Electra
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Si j’avais entendu parler du fait divers, j’ignorais que l’anthropologue française avait ensuite publié un livre à ce sujet et qu’il avait été traduit en anglais (In the Eye of the Wild). Mais c’est bien la version anglaise que j’ai vue en premier sur Booktube. J’ai eu envie de me procurer la version originale en français.

25 août 2015 – une ourse attaque l’anthropologue française dans les montagnes du Kamtchatka en Russie. La jeune femme est grièvement blessée (en particulier au visage, à la mâchoire). Après un premier séjour dans un hôpital russe, Natassja Martin est rapatriée en France où l’attendent encore de nombreuses opérations réparatrices. Dans ce long parcours vers la guérison, Natassja attrape un staphylocoque mais refuse de revenir sur Paris. Au fond d’elle, elle le sait, le sent : elle doit retourner en Russie.

Natassja raconte ici, l’attaque (brièvement sur deux pages) mais surtout la rencontre entre l’humain et la bête, et revient sur son parcours personnel qui l’a mené dans ces montagnes reculées. Elle admet avoir longtemps couru après les mythes qui entourent cet animal puissant et redouté. En vivant d’abord en Alaska, puis en Russie – elle espérait, dans ses rêves, mais aussi dans son inconscient, cette rencontre avec l’animal. Elle ne pouvait pas évidemment imaginer cette issue.

Pourquoi ne m’as-tu pas écouté quand je t’ai demandé de ne pas partir ? Pourquoi es-tu partie là-haut alors que tu pouvais rester avec nous à Tvaïan ? Même réponse intraduisible dans aucune langue. Je devais aller au-devant de mon rêve.

Elle explique ici les mythes des Evènes, Koriaks, Itelmènes entourant l’animal font d’elle une « miedka » – ainsi les autochtones croient que les personnes qui survivent à des attaques d’ours sont à jamais à moitié humaines et moitié ourses et sont souvent craintes par la suite.

C’est aussi le temps du mythe qui rejoint la réalité ; le jadis qui rejoint l’actuel ; le rêve qui rejoint l’incarné explique l’éditeur. Et je le rejoins car l’autrice croit fermement à ce lien qui l’unit désormais à cet animal et à cette partie du monde. Elle y retourne.

Si j’ai aimé le récit et la réflexion, j’ai par contre eu du mal avec l’autrice elle-même. Son accident ayant profondément abîmé et modifié son visage, elle rencontre une psychologue à Paris mais elle refuse en bloc son explication. La psychiatre lui dit qu’elle ne devrait pas projeter sur l’animal ses propres peurs et fantasmes. La scientifique rejette ces propos pour ensuite croire aux mythes des indigènes, qui projettent aussi toutes leurs croyances sur les animaux. Or j’ai toujours eu le discours des anthropologues en tête : qu’il ne faut pas confier d’émotions humaines aux animaux.

Il y a trois ans, Daria m’a raconté l’effondrement de l’Union Soviétique. Elle m’a dit Nastia un jour la lumière s’est éteinte et les esprits sont revenus. Et nous sommes repartis en forêt.

Je pense qu’ayant vécu plusieurs années avec ces peuples, elle a naturellement trouvé du confort dans ces croyances et c’est son plus grand droit, mais j’aurais aimé alors qu’elle reconnaisse que son discours n’est pas forcément le seul valide. De même, elle parle tout du long comme si elle était la seule à avoir été confrontée à ce genre d’attaques, or elles arrivent, malheureusement tous les ans, et le terme miedka est la preuve que c’est arrivé suffisamment souvent pour qu’on lui attribue un nom. J’ai aussi, pour ma part, immédiatement, pensé au film The Revenant, sorti en 2015 aux USA et en janvier 2016 en France. Mais je sais en lisant ce récit, que la scientifique ne vit que pour ses recherches et repart de suite dans ces terres éloignées où le monde occidental n’existe plus.

Je note aussi les phrases russes écrites en alphabet latin phonétique, assez troublant au départ, mais en lisant à voix haute, j’ai compris. J’aurais, je crois préféré qu’elles soient écrites en russe avec une traduction en bas de page.

Reste une description des ces paysages et de ces peuples méconnus, magnifique. Et l’ours.

♥♥♥

Editions Les Verticales, 2019, 152 pages

Photo by Danika Perkinson on Unsplash

Et pourquoi pas

8 commentaires

Sunalee 23 février 2022 - 8 h 50 min

Le sujet me tente, mais tes bémols me refroidissent un peu…. On verra ! (je vais d’abord aller m’occuper de la panthère des neiges, tout à l’heure – le film, donc).

Electra 24 février 2022 - 8 h 12 min

ce sont juste mes bémols, d’autres peuvent au contraire tout à fait partager ses propos – mais l’histoire reste au demeurant fascinante et effrayante

Virginie 23 février 2022 - 20 h 02 min

Je l’ai vu passer, et puis j’ai zappé ! à trouver en poche ?

Electra 24 février 2022 - 8 h 12 min

je ne sais pas s’il est sorti en Poche, je l’ai trouvé dans cette édition (à 12 euros je crois)

uneviedevantsoi 24 février 2022 - 21 h 33 min

Je n’ai pas eu ce ressenti ou je ne l’ai certainement pas analysé autant. Je l’ai lu au début du premier confinement, au sortir de plusieurs mois de maladie, et je me souviens d’une immersion totale avec son récit.
En bref, il m’avait apporté un réconfort que je ne peux expliquer, la résilience, sa vision des choses si différente justement. Je ne savais rien du peuple Évène avant cette lecture.

Electra 25 février 2022 - 8 h 30 min

oh moi j’avais vu Rdv en Terres Inconnues avec le peuple Evène du coup je les connaissais – ah oui tes conditions de lecture sont différentes des miennes, moi j’ai pensé au film The Revenant et surtout au discours que j’ai entendu en étant bénévole auprès d’une association (qui s’occupait d’ours) d’anthropologues disant qu’il faut arrêter de projeter des émotions humaines ou des comportements humains sur des animaux. Je comprends qu’on cherche toujours un sens à ce qui nous arrive et elle le trouve avec ces croyances, mais en rejetant les mots du psy, elle se fourvoie un peu et elle est anthropologue 🙂 Mais sinon, c’est dépaysant comme récit c’est certain !

Marie-Claude 25 février 2022 - 5 h 20 min

Tout de même… je suis tentée. Pour la découverte du peuple Évène, surtout. Staphylocoque ? Je frémis…. 🙈

Electra 25 février 2022 - 8 h 23 min

si tu veux je te le garde, et je te l’apporte en janvier (sinon il va partir …)

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