Sans Sagan, la vie serait mortelle d’ennui – Bernard Franck
Il ne m’aura fallu que deux jours pour lire le livre d’Anne Berest consacré à François Sagan – et plus particulièrement les mois qui précédèrent et suivirent la parution de son premier roman, Bonjour Tristesse, quand Françoise s’appelait encore Quoirez.
La jeune fille, âgée d’à peine 18 ans (donc mineure à l’époque en 1954, la majorité étant fixée à 21 ans), a comme meilleure amie Florence Malraux (la fille d’André), et adore ses parents, Pierre et Marie qui lui offrent une vie très confortable, Boulevard Malesherbes dans le 8ème arrondissement parisien. La jeune fille est la dernière d’une fratrie de trois ans, choyée par ses parents et frère et soeur. Elle a écrit son roman en six semaines au côté de son père qu’elle adore.
Anne Berest commence à travailler à son troisième roman (après La fille de son père et les Patriarches) lorsque Denis Westhoff, le fils de Françoise, lui demande d’écrire ce livre. Sagan est décédée il y a presque dix ans et son roman Bonjour Tristesse a été publié il y a près de soixante de 60 ans, un double anniversaire à marquer. Mais l’ouvrage ne sera pas totalement biographique, puisqu’il repose en partie sur l’imagination de la romancière, qui sur la base de nombreux témoignages (dont celui de Florence, de Denis et d’amis) va tenter de replacer Françoise à cette période charnière de sa vie : le jour où naît Françoise Sagan.
Voici pour la première fois de sa vie son nom écrit sur la couverture d’un livre – couverture si souvent rêvée, imaginée, qui soudain est là, sous nos yeux, elle existe. Je crois qu’il n’est pas un écrivain qui n’ai ressenti, à cette vision, un violent sentiment, mélange de dégoût et de fascination, car si la couverture n’est qu’une image, elle est néanmoins une image qui a la puissance d’un acte. C’est une image qui agit pour dire : « Celui qui a écrit est désormais un écrivain ». Avant, il était écrivant, maintenant, il est écrivain. Bon écrivain ou mauvais écrivain, ce n’est pas la question. Qu’importe. La couverture d’un premier roman est un sacrement, elle est la réalité visible d’une désignation mystérieuse, l’appartenance à la communauté dont l’auteur a rêvé toute la vie, souvent depuis l’enfance.
Anne Berest traverse elle-même une période charnière de sa vie : son conjoint l’a quitté, déprimée, elle a quitté le domicile conjugal. Elle accepte la proposition de Denis. En effet, dès qu’elle prononce le nom de Sagan, les visages s’illuminent. Elle va donc se plonger corps et âme dans la vie de la jeune romancière : d’une part, lire tous les romans, essais ou documentaires qui lui ont été consacrés et d’autre part, rencontrer ceux qui l’ont croisée. Le journal de Françoise est aussi le journal intime d’Anne. Ce n’est pas donc une biographie à proprement parler, mais le roman est passionnant. Anne Berest nous ramène en 1954, quelques années après la guerre, deux stars sont nées : Sagan et Bardot, deux jeunes femmes qui vont choquer par leur insolence, leur mode de vie, deux jeunes femmes issues de la bourgeoisie, avec des parents néanmoins dotés d’une légèreté qui vont guider leurs pas. L’année précédente, une voyante a prédit à la jeune Françoise : « vous écrirez un livre qui passera les océans », la jeune femme va alors déposer trois manuscrits dans trois maisons d’édition différentes. Anne Berest imagine l’attente, l’angoisse et puis les premiers mois et le succès qui ne quittera plus la romancière.
Les quelques touches de témoignages personnels sur les parents de Françoise sont vraiment émouvantes, étonnantes et drôles, ainsi lorsque son père, invité avec son épouse à un diner chez des amis, se trompe d’étage et entre dans l’appartement du dessous » (…) en criant « J’arrive au galop, au galop, au galop, au galop ! » en imitant un cavalier sur son cheval. Mais arrivé au bout du couloir, devant les figures stupéfaites d’un couple en pyjama, il a fait le chemin inverse en criant encore plus fort « Et je repars au galop, au galop, au galop !« ».
Anne Berest va vivre ces quelques mois avec la jeune effrontée, Françoise, qui va l’aider à faire le deuil d’une vie pour s’ouvrir à une autre. J’ai appris beaucoup de choses sur Françoise Sagan, dont je me dois encore de découvrir l’œuvre, en particulier ce Bonjour Tristesse (titre emprunté à Paul Eluard).
J’ai hâte de retrouver Anne Berest pour son prochain roman, j’apprécie la personne que j’ai découverte ici. J’ai par ailleurs beaucoup aimé son premier roman (beaucoup moins le second).
Françoise, je le crois, est bien venue l’accompagner dans l’écriture de ce livre. Comme un ange elle s’est posée délicatement sur son épaule et l’a rassurée : c’est bien en écrivant, qu’on devient écrivain.
♥♥♥
Editions Stock, 2014, 198 pages