Unreconciled · Jesse Went

par Electra
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C’est en cherchant 25 livres à sortir en 2025 que mon regard s’est posé sur le livre de Jesse Went acheté à Montréal à la librairie Down & Quaterly il y a deux ou trois ans. J’ai lu quelques extraits et j’ai su qu’il serait ma prochaine lecture, je n’avais pas encore fini Death of a salesman.

Je ne connaissais pas Jesse Wente, un critique de cinéma Ojibwé vivant à Toronto au Canada. Ce dernier a connu une carrière plutôt mouvementée et qui l’a mis au devant de la scène. Pour un autochtone né en ville, loin de la réserve de Serpent River d’où est originaire sa mère, il lui a aura été difficile de comprendre son identité, et de l’embrasser. Jesse Wente a grandi dans une famille avec un père autochtone américain et une mère Ojibwé canadienne. Ces derniers ne parlent pas leur langue, car leurs parents et en particulier sa grand-mère maternelle ont été envoyés dans les fameux pensionnats où on a effacé en eux toute trace de leurs racines indiennes. Les parents de sa grand-mère avaient juste réussi à cacher la plus jeune mais leurs ainés ont été envoyés de force dans ces écoles où leurs cheveux étaient rasés et où on leur interdisait de parler leur langue.

Jesse grandit à Toronto et ne réalise ses origines que par les remarques racistes qu’il reçoit à l’école primaire. Il se rend plusieurs fois par an à la réserve de Serpent River où il retrouve tous ses cousins. Sa soeur et lui sont bien accueillis, même s’ils ne parlent pas la langue. Ses grand-parents paternels (originaires de Chicago) acceptent de payer pour une école privée et le jeune Jesse découvre soudainement le monde des riches blancs. Si son éducation est de fait excellente, il comprend rapidement à quel point la société canadienne a tout fait pour éradiquer les autochtones et lorsqu’il décide d’étudier le cinéma, il devient le seul et unique critique autochtone. Il travaille d’abord pour la radio où on lui confie les sujets liés à ses origines, mais Jesse en a marre d’être un token. Un jeton. Cette expression désigne une personne que l’on engage, non pour ses compétences, mais pour ce qu’il représente : il est l’indien de service. A la faculté, il avait soudainement rencontré d’autres jeunes étudiants autochtones et avait décidé de laisser pousser ses cheveux.

When we don’t have to expend emotional energy defending the undeniable fact that we »re human beings, when we don’t have sacrifice any more lives waiting for people to care about our missing and murdered women and girls – only then we will be able to move on to acting against these injustices.

Dans le livre, il raconte ces années où soudainement il est immédiatement identifié et vu uniquement comme l’indien- aux yeux des touristes (apparemment les Allemands) et de la police montée qui ne avoir de cesse de l’arrêter. Avec ses cheveux, il n’est plus qu’un symbole. Il finira par les couper. Plus tard, alors que les autorités racistes continuent d’arrêter et de violenter des autochtones, que des dizaines de jeunes femmes disparaissent ou sont retrouvées assassinées, que des traités sont encore non respectés, la population indigène finit par se rebeller avec plusieurs faits divers qui vont secouer le pays, comme Rastigamouche ou Oka. La mort de George Floyd coïncide avec la mort de deux personnes autochtones sous les coups de la police montée canadienne. Jesse Wente ne peut plus se taire.

Cultural appropriation is an emotional issue for Indigenous people. We live forever in its shadow and feel its effect. (…) Cultural appropriation is an act of immaturity. Canada needs to grow out of it.

Dirigeant d’un cinéma, il va finir par quitter les lieux lorsqu’on lui impose lors du festival les films autochtones à diffuser. Jesse Wente offre ainsi son avis sur plusieurs films, la plupart réalisé par des blancs. Qu’est-ce que l’appropriation culturelle ? Il descend ainsi en flèche plusieurs films, dont Hostiles avec C.Bale (je partage entièrement son avis) et même Avatar. Il est vraiment intéressant de le lire comme lorsqu’il raconte leur bataille pour que des équipes sportives comme les Toronto Eskimo ou les Washington Redskin changent de nom.

J’ai surligné tant de passages. Tout le livre est éducatif.  Enfin, il aborde la politique de Trudeau et cette campagne de « réconciliation » qui ne peut en être une, comme il l’explique très intelligemment :

..But it requires first, the acknowledgement that reconciliation is the wrong word for both the situation and the goal.(..) No such thing has ever meaningfully existed between Indigenous nations and the state of Canada, so reconciliation is impossible here, as it is impossible in any colonial state.

Jesse Wente illustre parfaitement ses propos avec des anecdotes sur sa propre vie mais aussi en revenant sur ses faits divers qui ont secoué le Canada et la tentative de ce pays de cacher la réalité de la situation des autochtones au Canada, en revenant par exemple sur l’Indian Act (le statut d’indien dénié soudainement à des milliers d’autochtones, autre tactique de suppression).

Comme il revient aussi sur sa propre histoire, celle d’un indigène qui a grandi hors d’une réserve, loin de sa culture, mais qui peu à peu a fini embrasser ses origines et a engagé un combat de longue haleine pour faire reconnaître leur existence. Un récit passionnant, entre mémoire et manifeste. Si je partage depuis longtemps ses opinions, j’ai beaucoup aimé l’angle qu’il a choisi et comment il a illustré ses propos.

This is how we will heal – over generations. This is how we will get back everything – over time. We were here long before you, Canada. We will be here long after you.

Il faut lire Jesse Went.

♥♥♥♥♥

Penguin Canada, 2021, 198 pages

 

 

Et pourquoi pas

1 commentaire

Sunalee 3 février 2025 - 16 h 19 min

Tu me convaincs: je vais lire Jesse Went.

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