À Seattle, un assassin tue des Blancs, les scalpe et dépose deux plumes de hibou sur leur corps : terreur sur la ville, tourmente parmi la communauté indienne que ces crimes désignent à la vindicte générale. Ainsi naît la légende du « tueur indien », justicier pour les uns, psychopathe pour les autres… Voici enfin réédité le roman phare de l’enfant terrible des lettres américaines.
J’ai longtemps croisé ce roman en librairie, avec les petits mots des libraires – je savais que j’avais en face de moi un incontournable de littérature américaine, mais je semblais lui résister. J’ai fini par céder – j’ai eu force envie pendant mes vacances de retourner à mes premières amours : les nations amérindiennes.
Sherman Alexie signe ici une œuvre magistrale où il règle ses comptes avec la société américaine, enterre une bonne fois pour toutes le rêve américain et dissèque la haine et la culpabilité qui rongent la société et isolent définitivement la nation amérindienne du reste de la population.
Sous les traits d’un thriller, le romancier américain fait ressurgir les peurs ancestrales des descendants des immigrants face à la menace indienne : la légende du « tueur indien » est née. Il assassine de pauvres âmes en les scalpant et en déposant deux plumes de hibou. Presque vingt ans après sa parution, le roman n’a pas pris une ride. Il fait écho à une autre peur ancestrale envers les hommes de couleur, comme actuellement envers les hommes de couleur noire (« ils se faufilent la nuit pour violer vos femmes »).
Qu’en est-il de la minorité indienne ? Celle-ci a été largement oubliée de la population américaine, la plupart vivent aujourd’hui dans des réserves et ceux qui ont choisi de s’installer dans les villes sont souvent des marginaux. L’alcool, le chômage et la misère ont eu un effet dévastateur sur ces populations et la perte de leurs repères, leur culture. Depuis quelques années, les amérindiens se sont réappropriés leur culture mais des dégâts irréversibles ont été fait. Des langues perdues à jamais. Des enfants paumés comme ce John Smith (l’ironie du nom du personnage) qui débarque à Seattle, avec ce physique impressionnant, l’Indien du cinéma, aux pommettes saillantes et aux cheveux longs et noirs. Mais John Smith a été élevé par des blancs, riches qui ont cru bien faire en lui faisant lire tous ces livres écrits par des blancs sur les Indiens. John ne sait plus qui il est, il cherche désespérément une identité. Face aux amérindiens, il est incapable de leur dire s’il est Lakota ou Navajo, il ment. Lors d’une manifestation estudiantine, il fait la connaissance d’une jeune étudiante amérindienne, Marie Polatkin qui se bat contre ces programmes universitaires créés de toutes pièces par des profs blancs sur les cultures indiennes dont celui de ce Maher qui s’est créé de toutes pièces un passé dans une réserve.
Toute la fureur du monde a pénétré chez moi. Elle est dans mon placard, dans mon réfrigérateur, dans l’eau, dans les draps, dans mes vêtements. Vous n’en sentez pas l’odeur ? Je ne peux pas lui échapper, elle est dans mes cheveux, je la sens entre mes dents. Vous n’en percevez pas le goût ? Je l’entends tout le temps. La fureur me parle tout le temps (p.209)
La jeune Marie ne cesse donc de s’opposer à ce professeur Maher et à ses propos erronés ou sans fondements. Très vite, elle s’attire les foudres du corps universitaire si fier de présenter ce nouveau cours. Marie est intriguée par John, il parle peu, n’est pas étudiant et se mêle aux manifestations sans pourtant protester… et que pense-t-elle de cet « Indian Killer » qui tue au hasard ? Si vous connaissez les mythes et légendes indiennes, alors vous savez qu’une croyance persiste : un Indien viendra un jour venger tous les siens. Alors lorsqu’on lui demande son avis sur ce tueur mystérieux, Marie répond :
Si c’est un Indien qui tue des blancs, et bien il est tout à notre honneur d’avoir attendu plus de cinq cents ans avant de commencer. Et ce n’est pas tout.
C’est à dire ?
Les Indiens dansent maintenant et je ne crois pas qu’ils soient près d’arrêter (p.414).
John cherche un sens à sa vie, lui dont le regard des autres le rappelle toujours à une identité dont il ne semble porter que l’apparence. Désespéré, il se rattache aux âmes esseulées, ces Indiens sans-abris, alcooliques qui vivotent dans les quartiers mal famés de Seattle et un Indien célèbre disparu dans le désert du Nouveau-Mexique.
Le tueur fredonne un nouveau chant qui ressemble à un ancien. Pendant qu’il chante, un hibou se pose silencieusement sur une branche d’arbre. Le hibou secoue ses plumes et les lisse. Il écoute, le tueur continue à chanter, et un deuxième hibou vient se percher au côté du premier.
Mon ami amérindien m’avait déjà dit qu’il n’aimait pas les hiboux (car je lui avais dit qu’ils me fascinaient). Même dans sa tribu (Paiute), la vision d’un hibou est encore annonciatrice d’une mort à venir. La lecture de ce livre m’a rappelé à quel point la question amérindienne me passionne depuis mon enfance. Mon ami m’a conseillé des lectures publiées par leurs sages qui sont passionnants (non traduits en français) mais aussi des films qui sont loin de montrer la vision idyllique de l’Indien. Ainsi, son film préféré est Skins, sur deux frères vivant sur la réserve de Pine Ridge, l’un est policier et l’autre un alcoolique notoire. L’humour indien est vraiment excellent, noir et ironique. Mon film préféré reste Thunderheart (Coeur de Tonnerre), qui date pourtant de 1992 mais que j’ai revu pendant mes vacances et qui me fait toujours le même effet. Depuis, j’ai lu d’autres romans traitant du sujet.
Mais retour au livre, le journaliste du Monde avait dit à sa sortie : « Indian Killer est le roman manifeste de la reconquête. » et presque vingt ans après sa parution, sa remarque est toujours pertinente. Le Bon Sauvage est mort, comme le rêve américain. A lire très vite pour ceux dont la question amérindienne les passionne ou pour ceux qui s’interroge sur la réalité du fameux rêve américain.
♥♥♥♥♥
Editions Albin Michel, trad. Michel Lederer, 420 pages
25 commentaires
Quel beau billet, Electra…
Le sort réservé aux peuples amérindiens me touche autant que toi. Parqués dans des réserves, les autochtones sont laissés à eux-mêmes, n’ayant trop souvent que l’alcool et les vapeurs d’essence pour rêver. En ville, ils tendent la main devant les supermarchés. Le mal est fait. Mais il y a de l’espoir. Certains arrivent à marcher droit, à lever la tête et à bomber le torse, fiers de leur origine.
Il me tarde de lire les romans pour adultes de Sherman Alexie. Jusqu’à maintenant, je n’ai lu que « Le premier qui pleure a perdu », un roman pour ado. Lu il y a plusieurs années, il m’habite encore…
« Indian Killer » est commandé. Il me tarde de faire un bout de chemin auprès de John Smith!
J’ignorais que la vision d’un hibou était annonciatrice d’une mort à venir!
Merci ma belle ! Oui, et que ce soit au Canada ou aux USA, la perte de leur identité a eu les mêmes effets dévastateurs mais ce que j’aime c’est qu’ils possèdent toujours un sens de l’humour et un regard sur eux-mêmes .. Le film préféré de mon ami est à la fois triste et très drôle, tout ce qui les définit.
J’ai aussi prévu de lire ses autres romans, dont le célèbre Reservation Blues 😉
Oui, moi aussi, j’adore les hiboux .. j’ai revu à Noël le film Coeur de Tonnerre et devine qui apparait avant qu’un personne ne meurt ?? Un hiboux !
Il est dans ma Wish-List depuis très longtemps !!! <3
Oui, pareil pour moi – cela faisait des années et je le voyais encore à la librairie, il était toujours là à me faire de l’oeil .. ce livre a 20 ans et sa réédition est une bonne idée – une chance que ma BM ait craqué aussi 😉
je pensais que je l’avais dans la PAL pour mon challenge : les carnets de routes US de François Busnel mais non, c’est Indian Blue que j’ai. Un billet qui donne envie en tous cas, je l’ajoute à ma Wish-list.
Indian Blue est en fait Reservation Blues, le roman le plus connu d’Alexie donc tu as aussi du bon ! Ils sont tous les deux très différents sauf pour la question indienne 🙂
Bon dimanche !
Il m’a l’air bien dur, dis donc. On verra (la bibli n’a rien en adulte, de cet auteur)
Le hibou derrière chez moi te salue (houhhou)
Oh dommage pour ta librairie ! Dis-leur de remédier rapidement à cette erreur monumentale ! Lors de ma virée hier en librairie, deux de ses romans (en anglais) étaient bien là – un auteur donc majeur.
et mdr en lisant ta dernière phrase, j’adore les hiboux ! Mon amie Paiute n’a qu’à bien se tenir !
Je vais regarder à la médiathèque s’il y est car il semble passionnant.
Pour le hibou ça m’a fait penser à une nouvelle de Russell Banks où un homme entend un hibou et est persuadé que la fille des voisins va mourir…(c’est dans Un Membre Permanent de la Famille)
Ah je l’ai lu mais j’avais oublié cet épisode .. Oui, le hibou ou la corneille – porteurs de mauvaises nouvelles ! Ma bibli l’avait, j’espère que tu vas le trouver également.
en fait je me suis trompée ce n’est pas dans le recueil de Russell Banks, c’est dans Incandescences de Ron Rash!!
(à ma décharge, j’ai lu les deux recueils au même moment, donc parfois je mélange un peu!)
Ah merci ! je n’ en avais pas souvenir pour Banks mais parfois j’oublie ! Je dois encore lire Incandescences d’ailleurs 🙂
Quel plaisir de voir Sherman Alexie ici ! C’est pour moi un des plus grands auteurs américains actuels, j’ai tout lu de lui, même ses poèmes. Indian Blues reste mon roman préféré, le premier qui pleure a perdu est un fabuleux roman jeunesse et ses nouvelles sont d’une qualité incroyable (Phoenix, Arizona par exemple). Bref, je suis un fan absolu de ce grand monsieur 😉
Tu risques de le voir plus souvent car je compte bien tout lire de lui 😉
Indian Blues est sur ma liste – pour les nouvelles, j’ai hâte de les lire moi qui suis fan du genre ! J’ai adoré le film Phoenix Arizona, que j’ai vu et revu donc maintenant j’ai très envie de lire ses écrits 🙂
Le premier livre que j’ai lu de lui. Je l’avais trouvé très dur. Je ne me suis jamais décidée à lire Reservation Blues parce que The Lone Ranger and Tonto m’avait un peu déçue.
Je note les titres de films que tu donnes. Le sujet m’intéresse beaucoup.
Pourtant on me cite souvent Reservation Blues ! comme quoi .. The Lone Ranger et Tonto ne me tentent pas beaucoup non plus.
Pour les films, ajoute Phoenix Arizona à ta liste !
Comme Reservation Blues est un roman, ce sera peut-être plus « digeste ».
Phoenix Arizona est déjà sur ma liste, mais sous le titre Smoke Signals. (Déja pou voir Adam Beach avec les cheveux longs.)
J’ai vu le film 3 fois et oui il est très beau ainsi 😉
Je veux lire Sherman Alexie depuis un bon moment et ton billet me dit que je devrais m’y mettre là! L’histoire et les amérindiens m’intéresse et me touche beaucoup, pour beaucoup de raisons. Merci de ton billet.
De rien! Jérôme a tout lu de cet auteur et je comprends mieux pourquoi à présent, j’ai prévu de lire son recueil de nouvelles prochainement (et son livre phare Reservation Blues).
Contente de te croiser par ici ! Il fait froid ces jours-ci mais comparé par chez toi, ça devrait te faire rire si je te dis qu’on gèle parce qu’il fait 5°C !
Il fait -28°c chez moi alors forcément ton « on gèle à 5°c » me fait un peu rire 😀
MDR en lisant ta réponse ! Je me doutais bien que j’allais passer pour une midinette 😉
[…] avoir découvert Sherman Alexie dans Indian Killer, il me tardait de retrouver son style et surtout son monde. Cette fois-ci, il prend le visage de […]
Je crois que je vais aller emprunter « Le premier qui pleure a perdu » pour me faire une idée de cet auteur que je ne connais pas encore (la honte… ) et ensuite pourquoi pas attaquer avec celui-ci!
Pas de honte à avoir ! Moi je n’ai lu presque aucun classique français (des profs en guerre contre l’éducation nationale ont refusé de suivre le programme) résultat je ne connais ni Dumas, ni Corneille, ni ni…
Sherman Alexie est un auteur engagé, en colère contre la situation de son peuple mais il réussit à aller au-delà. Je compte lire tous ses romans donc on se retrouvera !
Les commentaires sont fermés