Je me souviens avoir croisé ce livre à plusieurs reprises lors de mes visites dans cette boutique de livres d’occasion. J’aime particulièrement cette édition chez Points. Puis j’ai lu Canada de Richard Ford et j’ai découvert un grand écrivain. Fort heureusement le livre était toujours là à m’attendre sur son étal. Marie-Claude m’a parlé du personnage phare de l’écrivain américain, qu’il a retrouvé quelques années plus tard : Frank Bascombe.
Franck Bascombe est journaliste sportif. Divorcé, il vit seul dans une banlieue cossue de la côté est des Etats-Unis. Pourquoi, après des débuts prometteurs, a-t-il renoncé à l’écriture ? Quel drame a bien pu détruire son mariage ? Les flashs-back qui parsèment ce roman, dont l’action se déroule sur trois jours, apportent des éléments de réponse. Mais aucune de ces explications ne vient à bout du mystère qui enveloppe le narrateur. Après les exploits pyrotechniques de ses débuts, Richard Ford commence ici un nouveau cycle romanesque centré sur l’intimité, le secret, et le deuil d’une jeunesse à jamais perdue.
Belle présentation, il m’aura fallu quelques jours pour écrire ce billet car ce sacré Frank m’a donné du fil à retordre ! J’ai failli laissé tomber ma lecture (je me souviens j’étais à la centième page). Pourquoi ? Parce qu’il m’énervait profondément. Terriblement. Mais fort heureusement le romancier possède un tel talent d’écrivain qu’il est difficile de ne pas se laisser porter par sa fluidité, par son rythme si naturel que j’ai repris ma lecture. Je l’ai lu assez rapidement, et j’étais, je l’avoue, ravie d’être en vacances, sinon j’aurais pas le laisser choir sur une étagère.
En préparant ce billet, je tombe sur cette présentation de l’éditeur (L’Olivier) qui annonce : « En écrivant ce livre, Richard Ford renouait avec une veine brillamment illustrée par Saul Bellow et John Updike : une tradition d’analyse caustique et parfois comique de la bourgeoisie aisée, de ses travers, et de ses rites désuets qui comblent avec peine le vide pathétique d’existences vouées à la monotonie. ».
Et là, je comprends mieux, enfin disons que je suis plus indulgente. Parce que Frank ne m’a pas séduite, absolument pas. L’homme était marié, trois enfants, une jolie maison dans un quartier bourgeois du New-Jersey et un job de journaliste sportif qui lui convenait. Puis son fils ainé est décédé et deux ans plus tard, sa femme le quitte. Il refuse de lier l’un à l’autre car elle découvre les lettres d’une autre femme dans leurs affaires après un cambriolage. Frank s’inscrit dans un club de divorcés, puis continue de voyager, il rencontre une jeune femme Vicky dont il se dit amoureux et doit aller rencontrer sa famille en ce week-end pascal. Le matin même, il va se recueillir sur la tombe de son fils avec son ex-femme, dont on ne connaître jamais le prénom, un X qui m’a, je l’avoue, assez embêté. Elle n’a donc pas d’existence reconnue. La mère de ses enfants, qu’il aime profondément, nous confie-t-il mais qu’il a trompé « juste 18 fois » pendant son mariage. Bref, un homme, me direz-vous (ah les préjugés sont tenaces !). Il l’aime, comme il aime sa mère.
Frank Bascombe est bourré de préjugés, c’est un homme de son temps, me direz-vous. Nous sommes au début des années 80, Reagan est au pouvoir. Mais, moi j’ai cru que nous étions en 1970 au vu des propos qu’il tient sur les personnes noires, les Italiens (flics ou mafieux), ainsi les citoyens noirs sont souvent domestiques mais « enfin propriétaires de leurs maisons » (en 1983….), ils sont menaçants, que ce soit sur un terrain de football ou dans une ruelle à Détroit. Frank Bascombe est un petit bourgeois blanc, un WASP comme l’Amérique en a tant porté. Il est pétri d’idées qui me font grincer, je l’avoue. Impossible pour moi donc de succomber à son charme comme cette midinette à la fin du roman. Qu’à-t-il donc à offrir ? Ce fut, je pense mon gros problème avec ce roman. Mais je n’ai pas pu le lâcher, j’avoue, j’ai eu une grande bouffée d’air frais lorsqu’il part chez les parents de Vicky, et que le romancier laisse moins parler Frank et s’intéresse à d’autres personnages, comme lorsqu’il va interviewer Herb, cet ancien joueur de footballeur handicapé. Tout était bon à prendre pour sortir du discours si égocentrique du personnage.
J’ai été également rassuré par l’évolution du personnage, dont les contradictions entre son comportement et ses discours (principes) sont tellement énormes qu’elles m’avaient presque fait fuir au début du récit. Ainsi, Frank tourne-t-il à toute vitesse les pages de son enfance (doit-on rappeler que son père est décédé alors qu’il avait 14 ans, sa mère quand il était étudiant, et qu’il a été envoyé dans une école militaire). Mais il dit qu’il n’en a aucun souvenir. Bascombe ne croit pas au passé mais il ne cessera par la suite de nous bassiner avec. Comme pour carrière d’écrivain avortée. Il explique très vite avoir embrassé la carrière de journaliste sportif avec entrain et toujours aimer son métier. Il a remisé son projet de roman au grenier, incapable, l’avoue-t-il, de se projeter dans un roman (on le comprend mieux quand on découvre son caractère) et pourtant, tout au long du roman, Bascombe ne cesse de revenir sur ces évènements. Tout au long de ces 491 pages, l’homme qui ne croit pas au passé, ne fait que ruminer sur son passé (et le jour où X découvre le pot aux roses). Ce monologue intérieur m’aura parfois profondément ennuyé (comme son histoire avec Vicky). Les passages les plus touchants restent ceux où il parle de son fils décédé et lorsqu’il papote avec son fils Paul. Moments trop rares, malheureusement.
Autre exemple : il vante au début la vie parfaite dans cette petite ville banlieusarde du New-Jersey (il descend en flèches le Colorado, la Californie ou la Nouvelle-Orléans), mais fort heureusement à la fin, la réalité le rattrape : on y déprime à fond dans sa petite ville. Le talent de Ford c’est évidemment la puissance des mots :
Il n’y a rien de plus encourageant que de savoir que, quelque part, une femme que vous aimez ne pense qu’à vous. A l’inverse, rien n’est plus déprimant que de savoir qu’aucune femme ne pense à vous nulle part. Ou pis encore : qu’à cause d’une bêtise, on a quitté cette femme qui vous aimait. C’est comme regarder par le hublot d’un avion et découvrir que la terre a disparu. Aucune solitude n’est plus douloureuse que celle-là. Et le New Jersey, discret et feutré, est le paysage idéal de cette solitude-là, malgré tous ses autres agréments. Le Michigan le talonne, avec ses immensités tristes, ses couchers de soleil désolés au-dessus des maisons trapues, ses forêts de reboisement, ses autoroutes plates, ses villes sinistres comme Dowagiac ou Munising. Mais le Michigan ne surpasse pas le New Jersey, qui détient le record absolu de la solitude la plus pure.
Depuis, je comprends mieux que le personnage de Bascombe, créé par Ford, est à l’image de l’Amérique de cette époque : cynique et fortement désabusé. L’homme traverse une crise existentielle, on lui a promis le bonheur à travers des choses simples : la voiture, la maison et la famille. Mais la réalité est tout autre, la tragédie a frappé, sa femme l’a quitté et Frank ne croit plus en ses chroniques sportives.
Ford y insère quelques touches d’humour (souvent noir), bienvenues comme le personnage de Walter qui va mettre à mal les perceptions de Bascombe. Malgré ce choc, l’homme reste fidèle à lui-même. Ainsi lorsqu’il rentre précipitamment chez lui pour identifier la victime, Bascombe le dit : cet évènement lui a fait prendre conscience de ses responsabilités, envers sa famille, ses enfants (il lui en reste 2 , peu présents dans le roman, enfin la fille, citée une seule fois). Ne dit-il pas à plusieurs reprises qu’il compte passer l’été au Lac Erié avec eux ?
Et bien non, ce cher Frank, toujours aussi centré sur sa petite personne, prend donc ses responsabilités .. en allant s’installer seul en Floride. Enfin seul, je relativise, avec les visites de cette petite stagiaire de vingt ans. Tant pis pour les enfants, il en parle furtivement dans un paragraphe, ils s’en remettront. Frank s’est d’ailleurs très bien remis de la mort de ses parents, donc il peut tout à fait disparaitre, ils ne lui en tiendront pas rigueur.
Voilà, ma chronique, le personnage, vous l’aurez compris, m’aura passablement énervé, son monologue intérieur parfois profondément ennuyé mais le talent de Ford est tellement immense qu’il compense grandement ces bémols (tout à fait subjectifs). Il peint un portrait sans fard de l’Amérique de cette époque, de ces petits bourgeois blancs, de ces banlieues (brillamment décrites) qu’il est impossible de ne pas aimer le roman pour cela. Comme pour Limonov, il est clair qu’un roman peut-être réussi même avec un héros imbuvable, il suffit d’avoir le talent de Ford ou de Carrère.
Le deuxième opus de cette trilogie, Indépendance, publié en 1995, lui a valu le Prix Pulitzer, aussi je suis curieuse de le lire. Mais je compte prendre un peu de distance avec Bascombe pendant quelques temps, si vous le voulez bien 😉
J’ai lu ce roman dans le cadre du challenge 50 États 50 romans, État du New Jersey
♥♥♥♥♥
The sportswriter, Editions de l’Olivier et du Seuil, Points, trad. Brice Matthieussent, 490 pages
8 commentaires
J’aurais peut être dû le lire avant, mais la bibli ne l’a pas (ou fouiner chez emmaus?) bref j’ai independance sur mes étagères depuis un bout de temps…
Ah je vais chez Emmaus cet après-midi, je vais donner une bonne centaine de livres (tri printanier du siècle), je peux regarder s’il y est. Bizarre que ta bibli ne possède pas cette trilogie car on le suit ..
Moi je n’ai pas Indépendance par contre !
Independance vient d’Emmaüs justement. Tiens, je n’arrive plus à ranger mes livres, donc je vais aussi passer au désherbage…
Oh toi aussi ?! On trouve parfois plein de bonnes choses mais là pas vraiment, pas mal de policiers mais beaucoup d’auteurs que je ne lis pas (qui publient un livre tous les trois mois…).
Oh! Que je te comprends! « Un week-end dans le Michigan » m’a donné du fil à retordre. Stop ou encore? Le «encore» l’a emporté. Franck Bascombe n’est pas le plus sympathique ni intéressant des hommes. MAIS, tout l’intérêt de cette «série» provient de sa durée et de son évolution, et de tout le portrait social qui transpire de ces pages. Pour arriver au final, grandiose: « En toute franchise ». Ça vaut le coup de persévérer et de poursuivre!
Ah merci ! Tu me rassures – fort heureusement le style de Ford l’emporte – j’aime beaucoup sa fluidité, son regard sur son pays et je compte bien lire les deux autres opus surtout comme tu le dis de l’évolution du personnage et surtout de son pays !
Donc, je compte bien lire les deux autres volets mais tranquillement hein ..
Tranquillement, absolument. Ford se déguste à petites doses!
Noté ! Je vais vieillir un peu pour voir la suite (il faut que je la déniche aussi)
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