Hédoniste et éternelle amoureuse, Eve Babitz possède une voix sans égale qui nous entraine à travers une ville frénétique comme un studio de cinéma et pétillante comme une coupe de champagne.
J’ai dévoré ce livre – l’artiste possède un style personnel raffiné, suranné et sucré. Un plaisir de lire ses mots, ses divagations et ses rêves éveillés. C’est une enfant de son temps. Eve sort beaucoup, avale les Quallude comme des M&Ms et sniffe de la cocaïne. Elle reste néanmoins lucide et contrairement à tous ses amis, qui finissent par se suicider, elle garde une magnifique joie de vivre et un sens de la curiosité qui lui permet de prendre suffisamment de recul pour ne pas sombrer dans cette mélancolie californienne. Car le vide n’est jamais loin. Ou le creux. Eve Babitz ne cesse de décrire ces immenses haciendas ou « espaces » (terme à la mode) d’un blanc immaculé – antichambre de la mort où ces stars viennent ici s’isoler et finissent par en mourir. Le blanc est l’ennemi du bonheur à en croire Eve.
« N’ont-ils pas conscience qu’ils vivent en plein dedans ? (..) ou est-ce qu’une partie de ce qu’ils paient correspond à la prétention que ça n’existe pas ? Enfin, même un roi et une reine apprécieraient le paysage. Mais ces gens-là font comme si ce n’était simplement pas trop mal. Tout est verrouillé et d’un poli parfait, et ils ont les yeux fixés sur combien tout est impeccable plutôt que sur la baie ou sur le coucher de soleil« . (p.184)
La jeune femme cite ici ces maisons d’Emerald Bay ou de Palm Springs. Elle n’a pas tort, toutes les femmes qu’elles croisent finissent par se foutre en l’air. Drôle d’époque. Elles « ont tout » et pourtant n’ont rien. Esseulées, elles trimbalent leurs maux de tête et leurs dépressions à travers les continents et reviennent toujours à Los Angeles pour en terminer.
Eve Babitz n’a rien de commun avec elle. En premier lieu, le poids. Eve n’a rien de la brindille qui sautille sur les genoux de Mick Jagger ou de George Harrison. Elle a des formes – et ça plait aux hommes. Elle est intelligente et spirituelle. Elle connaît ses atouts et ses faiblesses (les hommes très beaux) et surtout elle retranscrit parfaitement ce monde où tout le monde joue un rôle, les échanges sont futiles et mondains. L’ennui mortel mais Eve s’y sent bien, légère et pétillante.
Son secret ? Peut-être l’amour qu’elle porte à cette ville – un regard unique alors que les autres n’y sont que pour le business.
« Pas un nuage, vingt-cinq degrés, pas d’explication, mais il plut. Il plut sur le chaud et le gras de l’asphalte chaud et huileux et cela fit sentir la pluie. Il plut le gris du paysage, comme ça, en un clappement de sa fausse manoeuvre. Le grand bleu de là-haut nous fondit dessus comme un zoom alcoolisé opérant sa mise au point à la vitesse de l’éclair. C’était comme si Dieu s’était décidé à changer de décor sans prévenir personne. Los Angeles vit d’immenses rais jaune vif de lumière solaire surgir par les fenêtres des bureaux. Les jonquilles vinrent à l’esprit. Les violettes ». (p. 114)
Un vrai plaisir que cette lecture, parfaitement estivale – achevée dans un transat, le sourire aux lèvres.
Je finis sur les mots du New York Times qui livre pour moi la meilleur critique : « Sensuel, raffiné, spirituel, un phrasé au charme lumineux digne de Fitzgerald » et moi qui suis fan de Fitzgerald, j’approuve !
14 commentaires
J'avais entendu une critique plus mitigée sur ce livre, comme quoi, justement, il y avait trop "d'anecdotes". Mais en tout cas, ta chronique me convainc entièrement. C'est le genre de livre que je suis quasi certaine d'apprécier. Je crois.
WL, donc. Merci Electra 🙂
J'avais levé le nez sur ce roman, le pensant trop clinquant. Mais ton billet et les extraits me font changer d'avis. Et comme c'est publié chez Gallmeister (aucune déception à ce jour), je sens que je ne vais pas résister longtemps…
Je vois qu'il y a dans ton sac Retour à Watersbridge… Tu connais mon avis!!!
Connais pas cette personne! Mais le bouquin chez totem, déjà vu.
Elle raconte ses aventures amoureuses mais toujours en parallèle avec le Los Angeles de l'époque, la scène artistique, la ville et la nature. Elle m'a beaucoup appris sur cette ville qui peut, malgré ses millions d'habitants peut vous procurer un sentiment d'isolement. Sur un ton léger, elle aborde des sujets plus graves.
Oui, je l'ai commencé tout juste ce matin mais il me plaît beaucoup (j'ai avalé un livre en entier hier) – je parle du Scott.
Pour Eve Babitz, j'avais aussi peur du côté clinquant mais sous la couche de paillettes et de soirées, Eve montre la réalité beaucoup plus dure sur la vie artistique tout en déclarant son amour pour une ville, souvent décriée. Gallmeister ne s'est pas trompé !
Gallmeister a fait le bon choix – un genre totalement nouveau mais une excellente étude sociale de Los Angeles à cette époque et puis ça fait du bien de voir une fille si libre !
Il a rejoint ma pile à lire… son tour va venir !
J'espère que tu aimeras ! Loin des western mais une autre vision de Los Angeles !
Pour une fois, voila un titre de Gallmeister qui ne m'attire pas plus que cela (et malgré ton enthousiasme convaincant ! )
Oui, je ne pense que ce soit ta "tasse de thé" même si l'étude "sociologique" de cette période pourrait t'intéresser 😉
J'ai adoré l'aspect féminin dans ce livre, il donne confiance en soi 🙂
Oui ! Gallmeister s'éloigne un peu de sa ligne éditoriale mais fait toujours le bon choix en nous livrant encore une nouvelle facette de l'Amérique !
J'ai entamé ce livre il y'a quelques jours (et 4 autres avec, ma rupture avec l'équipe de Lonesome Dove est encore trop récente, je n'arrive pas à me projeter dans une relation sérieuse), je suis quasi certaine qu'il va me plaire.
Oui, bon tu t'éloignes des cowboys mais la découverte du Los Angeles de cette époque et la manière dont cette femme raconte sa vie de jeune femme indépendante est passionnant.
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