J’avoue qu’en voyant la couverture, il m’était impossible de reposer le livre ! J’avais envie de découvrir l’auteur avant le Festival America, qui avait été généreusement comparé à Faulkner, Twain et McCullers avec cet ouvrage.
Puis, j’ai eu un peu peur de partir à la rencontre d’Early Taggart, surnommé Gueule-Tranchée (G.T) – pourquoi ? En premier, parce que baser un roman sur un seul et même personnage – l’idée m’effrayait et puis la vie de ce G.T semblait trop foisonnante. Il fallait en effet oser pour vous raconter les 108 années de Taggart – de 1903 à nos jours – et Glenn Taylor a réussi son pari !
Cet homme, nous dit la quatrième, résume à lui seul l’âme et l’histoire de l’Amérique – et on n’en est pas loin ! Né en 1903, Early n’a pas deux mois quand sa mère, bigote, devient folle et croyant avoir donné naissance au fils du diable le jette à la rivière. Par miracle, le nourrisson, porté par les eaux de Virginie-Occidentale survit et est recueilli par une veuve, bouilleuse de cru (l’alcool est à cet époque interdit) à la gâchette facile. Cette femme a déjà recueilli une petite fille, Crissilda. Malheureusement, Early est atteint d’une drôle de maladie : ses gencives lui font affreusement mal et ses dents pourrissent en poussant. Sa mère adoptive calme ses douleurs en lui passant tous les soirs un peu de gnôle dessus. Le garçon grandit vite, il parle peu – cachant cette horrible dentition. On le prend rapidement pour un idiot or G.T est tout sauf stupide. Sa mère lui apprend à lire et dès son plus jeune âge, il dévore les livres et journaux. Il est doué, en tout, ingénieur avant l’âge et doté d’un physique impressionnant, il apprend très vite à manier couteaux et fusils et acquiert le respect en se battant ou en battant aux jeux les autres garçons.
« Je m’appelle Gueule-Tranchée Taggart » dit-il en tendant la main. Arly tourna la tête vers lui. Il ne répondit, ni ne changea son regard, lequel était si calme qu’il laissait aussi bien présager un uppercut qu’une poignée de main.
A l’école, il fait la connaissance d’une gamine dont il va s’enticher et qui va l’amener vers une congrégation d’illuminés qui vénèrent les serpents. G.T les attire et les laisse pénétrer dans sa bouche – croyant avoir trouvé l’enfant de Dieu, le prédicateur l’engage. Le garçon en profite pour y faire ses premières expériences sexuelles auprès des femmes mariées. A 13 ans, il mesure 1m80 et peut aller travailler à la mine comme nombre des garçons en âge de travailler à l’époque. Il se fait un ami – un Noir, chose rare à l’époque avec qui il commence à faire les 400 coups.
J’ai découvert dans ce roman l’histoire à proprement parler des exploitations minières à l’époque – et surtout des mutineries sanglantes. A l’époque, on faisait peu cas de la sécurité et des centaines d’hommes et enfants périssaient enterrés vivants. Réunis autour de quelques hommes, les mineurs menèrent des grèves qui furent toutes cassées violemment – les exploitants embauchant des casseurs de grève ou faisant appel à la police. L’histoire est très connue en Virginie-Occidentale et je vous laisse en fin d’article deux liens vers cette partie de l’Histoire américaine méconnue (les photos sont impressionnantes).
Devenue hors-la-loi et activement recherché pour le meurtre d’un homme (son ami sera arrêté et condamné à sa place), G.T va disparaitre dans les bois, non sans avoir eu la chance qu’on lui pose 8 dents en or avant. Le sourire ravageur de Gueule-Tranchée ! Mais ce dernier part pour ne réapparaitre qu’un quart de siècle plus tard.
Ainsi le montagnard oublia-t-il tout ce qu’il avait appris en vingt-quatre ans. Tout ce qu’il savait désormais, c’est qu’il avait une soif perpétuelle de gnôle, et qu’il était prêt à suivre le premier venu pour l’étancher.
Et voilà Glenn Taylor qui nous entraine dans une nouvelle partie, le Siècle défilant sous nos yeux – G.T était parti presque 25 ans, le monde a évolué et il ressuscite dans la peau d’un bluesman de génie mais qui va s’attirer de gros ennuis ! De retour à Mingo, sa ville natale, sous une fausse identité, il revoit une dernière fois sa mère adoptive et sa sœur adorée. La peau ridée, dure comme du cuir, cache un être sensible et il passera ses dernières années en compagnie d’être chers.
Lorsque sa route croise celle d’un candidat aux élections présidentielles, l’auteur en profite pour défendre les habitants de cette région oubliée de tous – qui faisait peur aux autres et attira même des scientifiques venus étudier ces êtres, nés de relations interraciales (Blancs d’origine irlandais ou écossaise, Noirs et Indiens). Gueule-Tranchée en est un exemple. On leur a donné un nom et on les étudie comme des bêtes. Pourtant ces ploucs des montagnes, ces hommes et femmes pauvres, sont des êtres aimants et fiers et Glenn Taylor leur redonne ici cette dignité qui leur a été longtemps refusée.
Qui était Gueule-Tranchée ? Sa vie est-elle un conte ? Celui qui fut recherché pour meurtre et dont a consacré une ballade, était-il un grand mystificateur devant l’Éternel ? Question que se pose le journaliste venu interroger ce vieillard de 108 ans et pour le lecteur, à vous de voir ! Moi, j’achète !
Johnnie et Willie s’agenouillèrent près de lui, le giflèrent un peu. lls tendirent l’oreille pour capter sa respiration, ils l’entendirent enfin,puis ils le transportèrent dans la rue au moment précis où Jimmy le faux-cul annonçait aux auditeurs de WHIS « C’était les Quatre de Mingo avec la Ballade de Gueule-Tranchée ».
Une ballade étonnante, déroutante – si au tout début, j’ai un peu freiné des quatre fers (une tendance chez moi), j’ai été à mon tour attrapée et je n’ai pas pu reposer le livre. Glenn Taylor est un conteur né, comme Mark Twain, il a ce dont de vous montrer l’autre Amérique – et de vous rendre attachant les personnages les plus tonitruants ! Ils sont énormes, vivants – mais si exaltants et si attachants ! Glenn Taylor livre ici un personnage digne du « panthéon du folklore américain » nous dit-on. Je valide !
♥♥♥♥♥
J’ai lu ce roman dans le cadre du challenge 50 États 50 romans, État de la Virginie Occidentale.
Éditions Grasset, The Ballad of Trenchmouth Taggart, trad. Brice Matthieussent, 352 pages
Photos : Mining Artifacts & WV Mine Wars
16 commentaires
Cela me rappelle un peu l’histoire de Little big man (chouette roman d’ailleurs) Bon, encore une tentation festival america.
oui ! j’aime bien car on peut le prendre comme un conte et décider de croire à tout – mais tu as raison Little Big Man c’est aussi l’histoire de l’Amérique .. tiens y aussi Forrest Gump !
J’ai beaucoup aimé ainsi que son dernier roman ^^
Je pense l’acheter au Festival
J’avais beaucoup aimé cette ballade, même si certains passages m’ont paru un peu too much. Pour un premier roman c’est en tout cas une belle réussite;
Pour le too much, moi c’est un conte, d’ailleurs, il en joue – sur la ballade, le vrai du faux .. à nous de démêler le tout ! mais oui, un premier roman encore impressionnant ! comment font-ils ?
Je survole, car je compte le lire. Je retiens les 5 coeurs. Je reviendrais!
survole ! oui, tu devrais le lire – je crois que tu l’as acheté, non ?
Ca me fait beaucoup penser à Forrest Gump ton histoire… Mais rien que pour ça, tu me donnes très envie !
Je l’ai pris comme tel : un conte.
Je le note aussi . Je vais au festival America avec des amies et avec la thème amerindien on va faire le plein. Quel jour y vas tu ?on se croisera peut être ..
j’y serai vendredi et samedi 🙂 et je serai à la conférence sur la question indienne !
Il a l’air superbe ce roman. Tu donnes envie de se laisser embarquer !
Merci ! Il est un peu à part pour son thème.
Wow lu en diagonale car dans mes projets de lecture pour bientôt.
bonne idée !
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