Les variations Sebastian • Emily Saint-John Mandel

par Electra
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Après avoir dévoré Station Eleven, j’ai eu la chance de croiser Emily Saint-John Mandel au Festival America. Lors d’une conférence, elle est revenue un tout petit peu sur ses précédents romans et j’ai eu envie de la découvrir. En allant à la BM, j’ai été surprise de trouver deux de ses précédents livres (j’ignorais qu’elle était déjà si connue). J’ai porté mon choix sur Les variations Sebastian  en lisant la quatrième de couverture.

 

Gavin vit à New-York, journaliste, il traverse une période difficile. Il sait que son temps est compté, la crise économique est passée par là et les journaux ne vendent plus. Sa petite amie l’a quitté et Gavin doit accepter une mission qui le renvoie à Sebastian, dans sa ville natale en Floride. Gavin ne voulait pas revenir mais sa sœur lui a envoyé la photo d’une fillette qu’elle a prise dans une maison dont les occupants, une vieille femme et une petite fille, vont être expulsés. La fillette lui ressemble comme deux gouttes d’eau. Gavin est à moitié asiatique et la petite fille a aussi les yeux bridés. Peu à peu sa jeunesse remonte à la surface : au lycée, il sortait avec Anna qui a subitement disparu à la fin de l’année scolaire. Des rumeurs avaient couru à l’époque sur une possible grossesse mais Gavin ne pensait qu’à intégrer l’université de New-York et à quitter la Floride dont il ne supportait absolument pas la chaleur.

Gavin réalise à présent que l’enfant pourrait être sa fille. Quelque temps plus tard, le jeune homme traverse une crise existentielle et il perd son emploi. Accueilli par sa sœur à Sebastian,  il décide d’enquêter sur la disparition d’Anna. Il se souvient du Lola Quartet (titre original du roman), le groupe de jazz qu’il avait fondé avec ses amis Daniel, Jack et Sasha, la demi-sœur d’Anna. Que sont-ils devenus ? Où est Anna ?

J’avoue que ce roman m’a quelque peu interrogé – catégorisé « thriller » ou « policier », il a un peu des deux mais surtout beaucoup de psychologie. J’ai mis du temps à rentrer dedans. Le personnage de Gavin voit sa vie bouleversée et perd peu à peu pied. Parallèlement, l’auteur suit d’autres personnages, Jack, Daniel et surtout Anna. C’est seulement à la seconde moitié du livre que je me suis prise au jeu et que j’ai eu envie d’en savoir plus. En à peine dix ans, leurs vies ont été bouleversées. Daniel a grossi et est devenu policier à Sebastian, Jack, le tombeur de la bande, a été sombré dans la drogue et Anna a enchainé les rencontres avant de devoir à nouveau se cacher, poursuivie par un homme chez qui elle a brièvement vécu.

Jack pensait à un film qu’il avait vu naguère. Il ne se souvenait pas du titre, mais l’histoire se passait au XVIIIe siècle sur un navire : un marin qui avait déçu ses compagnons sautait par-dessus bord, un boulet de canon dans les bras. Fermant les yeux, Jack vit le matelot s’enfoncer, pâle silhouette dans l’eau sombre, un nuage de bulles argentées autour de lui, le poids du boulet l’entraînant vers les grands fonds. « La vérité, déclarait le capitaine lors des funérailles du marin, c’est que nous ne devenons pas toujours les hommes que nous avions espéré devenir. »

Le rythme du roman est plutôt lent et je me suis demandée où l’auteur voulait en venir. Il y a du suspense mais on sent très vite que l’auteur préfère analyser les émotions de ses personnages à l’histoire. Que deviennent nos rêves ? Amoureux du jazz, de la musique, Gavin a tout quitté pour devenir journaliste à New-York. Pourtant, il revient au pays sans rien. Ses parents ne sont plus que des connaissances lointaines, et seule sa sœur semble se soucier de son bonheur. Tout est flou. Le jeune homme fait des malaises à répétition.

Et peu à peu, on est touché par le désarroi des personnages – l’avenir auquel ils aspiraient semble s’être volatilisé. Et la magie opère. Comme pour Station Eleven, l’auteur éprouve de la tendresse pour ses personnages, on est touché par Jack et ses rêves de musicien disparus, on est touché par Gavin qui voit soudainement son univers basculé, on est touché par Anna qui s’enfonce dans les mensonges pour sa fille.

L’émotion est palpable, les personnages sont à fleur de peau. Fragilisés, on a peur de les casser. Emily Saint-John Mandel est une auteure vraiment déroutante, elle écrit un thriller mais très vite détourne le sujet. Elle évoque à nouveau la nostalgie – ici de l’adolescence où tout était encore possible.

Elle n’oublie pas d’évoquer cette crise économique et la manière dont les banques, tels des vautours, s’acharnent sur leurs proies. Mais il y a toujours de la douceur et de la compassion dans son regard. Une sobriété dans ses propos, même dans les scènes de violence. On se surprend à entendre la musique lorsque Gavin va écouter un duo de jazz dans un petit club à New-York. Un roman écrit tout en finesse et très mélodieux, loin des grandes villes bruyantes où règne la cacophonie.

Un auteur vraiment à part que je suis ravie d’avoir découvert, même si j’ai été vraiment déroutée par ma lecture. Au final, j’adore ça!

J’ai maintenant envie de découvrir son roman On ne joue pas avec la mort, récompensé par le prix Mystère de la critique en 2014.

♥♥♥♥

Rivages, Thriller, The Lola Quartet, trad.Gérard de Chergé, 320 pages

 

Et pourquoi pas

8 commentaires

Marie-Claude 9 novembre 2016 - 3 h 46 min

Je suis curieuse de voir comment elle se débrouille dans le policier. Un de plus que je note. Idem pour « Dernière nuit à Montréal », forcément! 4 coeurs, c’est encourageant, d’autant plus s’il t’a à ce point déstabilisée…
Mais avant, il y a trois-quatre polars que je veux lire (« Dodgers », « Le verger de marbre », « L’homme qui tue les gens » et un petit Craig Johnson! De bons souvenirs pour toi, hein?!)

Electra 9 novembre 2016 - 8 h 08 min

Oui, un autre genre – à chaque fois, elle me surprend car elle y laisse une empreinte très forte.
Les amateurs de polars « basiques » risquent d’être déçus.
Et je te rejoins: ceux que tu cites à lire avant son quand même meilleurs : « Dodgers » – « Le Verger de marbre » – et puis Craig …
J’ai hâte de lire la suite de « L’homme qui tue les gens » 🙂

EVA 9 novembre 2016 - 16 h 30 min

Ton billet donne vraiment envie ! c’est drôle, je me disais justement il y a quelques jours que je tenterais bien un autre Emily StJohn Mandel après avoir adoré Station Eleven! Bon, je vais commencer par celui-là alors 🙂

Electra 9 novembre 2016 - 17 h 53 min

Ah ! Je l’ai préféré, pourtant disponible, à l’autre parce que l’histoire m’attirait plus – l’autre partait plus dans l’abstrait mais oui, on retrouve bien sa patte et si tu as aimé Station Eleven – ici elle s’intéresse moins au « crime » (qui n’en est pas un au départ plus un délit) qu’aux personnages. 🙂

keisha 9 novembre 2016 - 16 h 43 min

Exact, elle a fait allusion en effet à sa catégorisation ‘polar’ et voulait passer à un autre domaine.

Electra 9 novembre 2016 - 17 h 54 min

Oui, alors que quand on lit son polar, c’est bien loin de ceux qu’on croise au même rayon ! Encore la psychologie et l’humanité des personnages avant l’enquête. Un style particulier mais que j’ai finalement aimé !

Océane 13 novembre 2016 - 15 h 53 min

Je n’ai pas lu tout ton billet, pour ne pas m’influencer car j’ai ce livre en attente ! Comme toi je suis tombée sous le charme de Station Eleven et dans la foulée de ma lecture j’ai couru acheter son premier roman.
Je reviens après ma lecture 🙂

Electra 13 novembre 2016 - 15 h 58 min

Ah je comprends ! Hâte de te lire alors ! On retrouve bien sa patte !

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