Le 8 octobre dernier, la librairie Coiffard organisait une rencontre avec Joyce Maynard à ma grande surprise. Il était hors de question que je manque un tel évènement ! Une grande romancière américaine à la cité des Ducs 🙂
J’ai découvert l’œuvre de Joyce en février 2015 en empruntant à la BM son livre Et devant moi, le monde.
J’avais croisé son nom à plusieurs reprises en lisant des articles et des livres consacrés à J.D Salinger, mon auteur préféré. J’étais donc curieuse d’en apprendre un peu plus sur mon romancier favori à travers ses écrits. Au final, cette autobiographie fut un énorme coup de cœur et la découverte d’un auteur majeur pour moi : Joyce Maynard.
J’ai découvert une femme intelligente, passionnée et passionnante à l’écriture fluide. Il me tardait de découvrir celle qui m’a ensuite prouvé tout son talent dans L’homme de la montagne , lu en avril 2015, puis Les filles de l’ouragan en juin de la même année. J’adore sa capacité à vous montrer comment fonctionne une famille, ses secrets, ses non parler – et surtout les relations fraternels ou sororales. Un talent immense. Il me reste à lire 3 romans et ses articles publiés au New York Times, écrits à l’âge de dix-huit ans.
Joyce Maynard est venue à Nantes présenter son dernier roman traduit en France, Les Règles d’usage, publié chez Philippe Rey à la rentrée littéraire. S’il s’agit du dernier roman traduit, il a été cependant écrit en 2001 juste après les attentats du 11 septembre et publié aux États-Unis en février 2004.
Ce roman était-il nécessaire après le 11 septembre ?
Lorsque les attentats ont eu lieu, je me trouvais à New-York pour y voir mon fils, étudiant à l’époque. J’avais presque terminé l’écriture d’un autre livre, mais ce roman a cessé d’exister lorsque les tours sont tombées. Il me fallait absolument écrire un roman pour exprimer les émotions du moment, mais on ne peut pas raconter la vie de 3 000 personnes. C’est en voyant exposés dans les rues les visages des personnes portées disparues, que j’ai commencé à chercher l’héroïne de mon roman. Je commence toujours ainsi un roman en cherchant le personnage principal. Puis j’ai lu un article dans le New-York Times consacré à une fille de 13 ans, dont la mère divorcée, était décédée dans les tours. Elle devait quitter sa ville et ses amis pour aller rejoindre un père qu’elle ne connaissait pas dans un autre Etat. Je ne me souviens plus lequel. Moi-même divorcée, j’ai fait le parallèle avec mes enfants et c’est ainsi que ce roman a commencé.
Il ne s’agit pas d’un roman sur le terrorisme, mais d’un roman sur la famille.
Vous travaillez beaucoup sur l’adolescence, cette période où l’on se prend à rêver d’émancipation, de liberté, il n’y a plus de limites. Cela facilite-t-il votre travail en tant qu’écrivain ? Pouvoir laisser ainsi aller partout vos personnages ?
Je n’ai jamais pensé à ça ! Mais c’est très intéressant. C’est vrai que dans le roman, elle est libre, sans contraintes, sans famille, sans école. Mais il y a un revers à la médaille : elle n’a pas quitté volontairement sa mère et elle était en colère contre elle le matin où ont eu lieu les attentats et ce sentiment la poursuit.
Avez-vous recherché la jeune fille de l’article du New-York Times ?
Non. Je ne travaille pas ainsi. Je m’inspire parfois d’un fait divers, mais uniquement d’un morceau (scrap) de la réalité. Je ne veux pas être fidèle à celle-ci.
L’après « 11 septembre » souligne le fait que le peuple américain réalise soudainement que beaucoup de pays ne les aiment pas, un peu comme les adolescents qui se sentent soudainement seuls au monde.
Oui, Wendy, l’héroïne se sent seule au monde. Ses repères ont disparu. J’ai connu la même expérience. Elle a perdu sa maison, son frère, ses amis. J’adore écrire des histoires sur les fratries, je crois beaucoup en ça.
Le « 11 septembre » marque la fin des « règles d’usage », du certaine idée de l’autre et du respect. Qu’en pensez-vous ?
En Amérique, nous avons une expression « The usual rules don’t apply » – il nous était impensable d’imaginer quelque chose en dehors de ces règles d’usage. Les attentats ont bouleversé nos croyances. Quand j’ai commencé à écrire ce livre, j’ignorais tout de la fin. Mais j’avais envie d’un fin optimiste, une voie pour survivre à la tragédie. De l’espoir.
Vous avez publié vos premiers textes très jeune à l’âge de 18 ans. Êtes-vous devenue l’écrivain que vous vouliez être ?
Aujourd’hui, je m’endors l’esprit tranquille. C’est l’avantage de l’âge. On oublie, on ne se pose plus tant de questions. Je suis satisfaite de la personne que je suis devenue. Je suis comme je suis. Lorsque j’ai écrit Et devant moi, le monde, je vivais à l’époque avec une pression énorme de créer des choses importantes et je ressentais une forte obligation vis-à-vis de ma mère. Aujourd’hui, je n’ai plus aucune obligation !
Je n’ai pas fait ce métier pour être riche ou célèbre, même si avoir de l’argent, ce n’est pas désagréable (rires). En vérité, j’écris ce qui me passionne : des histoires qui émeuvent les gens. Je suis fière de pouvoir aller dans un pays étranger, être confrontée à une culture étrangère et voir que nous sommes tous émus par les mêmes choses.
Quelle distance mettez-vous entre vous et les évènements ?
Pour Et devant moi, le monde la distance a été cruciale – la vie a été formatrice, j’ai attendu 25 ans pour l’écrire. Et lorsqu’il a paru, les critiques américaines ont été assassines, contrairement aux critiques françaises. Je suis reconnaissante de ce qui s’est passé : je n’avais pas la maturité nécessaire à 19 ans pour faire face à J.D Salinger. Il ne reconnaissait pas ma propre valeur et moi non plus. J’ignorais qui j’étais.
Ce fut totalement différent lorsque j’ai écrit Les règles d’usage, j’ai commencé en octobre 2001 et je l’ai terminé fin novembre 2001, il a été écrit en moins de deux mois. Il fallait capturer l’émotion du moment. La distance n’était donc pas la même.
Pensez-vous qu’un écrivain a un rôle à jouer dans la société ?
Je ne prétends pas être une sociologue, cependant j’essaie de transmettre quelque chose à travers mes romans, avec une petite histoire dont la signification est nettement plus grande. J’espère écrire une bonne histoire, mais je ne délivre aucune leçon, ni morale.
Dans le roman, Wendy se rend dans une librairie où elle achète trois livres qui vont l’aider. Et vous, avez-vous eu des livres qui vous ont aidé en temps difficile ? Lors de votre adolescence ?
Oui, adolescente : Le journal d’Anne Frank, Le lys de Brooklyn et Frankie Addams de Carson McCullers. Et un classique de la littérature enfantine intitulé Goodnight Moon. J’étais surprise de découvrir que personne ici ne le connaît.
Avez-vous des auteurs préférés ? Si oui, lesquels ?
Je lis beaucoup de poésie : Jane Kenyon, Mary Oliver. Le rythme de la prose compte beaucoup à mes yeux. J’adore les nouvelles d’Alice Munro.
Votre roman est écrit comme une partition musicale. Quel instrument êtes-vous Joyce Maynard ?
Le violon. Je le vis comme une tragédie personnelle de ne savoir jouer d’aucun instrument.
Vos romans traitent principalement des relations familiales compliquées. Dans ce roman, Wendy a un chouette beau-père, un petit frère qu’elle aime et une mère qui ne souffre d’aucun défaut ou est-ce du au fait qu’elle est décédée ?
Wendy a 13 ans à l’époque des faits, l’âge où l’on s’oppose naturellement à nos parents. Elle a besoin d’être en conflit avec sa mère mais on lui arrache soudainement cette transition. Elle doit soudainement faire le deuil d’une mère avec qui elle ne pourra jamais régler ce conflit.
J’ai perdu ma mère à l’âge de 35 ans. Elle est décédée subitement à l’âge de 66 ans. Je croyais encore que j’avais du temps pour reconstruire une relation saine et durable. Je n’ai pas pu le faire. Je me suis retrouvée seule. Je l’aimais tellement.
Votre passé vous poursuit-il ? Vos émois adolescents ont fait la une du New-York Times puis votre relation avec J.D Salinger. Comment vous définissez-vous aujourd’hui ?
Oh, je suis une émotive. Je ressens profondément les choses et j’exprime très facilement mes émotions. Je n’ai pas de filtre aussi cela pose souvent souci. Écrivain n’est pas mon identité, c’est quelque chose que je fais. J’aime beaucoup la vie, je suis une optimiste de la vie. J’ai la chance de pouvoir faire ce que j’aime, raconter des histoires.
Je me suis mariée puis j’ai eu des enfants. J’ai divorcé et j’ai été seule pendant 25 ans. A l’âge de 57 ans, j’ai rencontré mon nouveau compagnon, Jim. C’était il y a 5 ans. Six semaines après notre rencontre, nous étions à Paris. Nous nous sommes mariés il y a 3 ans et sommes revenus à 4 reprises en France. Juste à notre retour de notre dernier voyage, en septembre 2014, on lui a découvert un cancer pancréatique. Il s’est battu pendant deux ans et est décédé en juin. Ce roman est significatif pour moi, il parle de la survie. Comment survivre ? Son édition française est un hasard curieux, non ? Car il a fallu que je revienne en France, seule cette fois-ci. J’ai eu peur et au final ce voyage me fait grand bien. Je suis heureuse.
Cet été, j’ai noirci sur papier nos cinq années ensemble. Mon prochain voyage en France sera pour leur publication.
Dans le roman, l’héroïne prend le train pour parcourir le pays et non l’avion, cela prend plus de temps mais en avion on manque tout. Une métaphore sur la vie ?
Oui, et cela résonne particulièrement vrai en moi. Ce roman est précieux pour moi. Il ne parle pas de politique, ni de terrorisme mais de l’amour de la vie.
Puis Joyce Maynard répond à une question sur le « don de la vie » et sur cet capacité à « rebondir » après un évènement traumatique :
Je l’ai mais je sais que certaines personnes ne l’ont malheureusement pas. Ma mère était compliquée mais elle avait, comme vous le dîtes si bien en France « la joie de vivre ». A l’âge de 66 ans, elle était heureuse, elle avait un amant, une vie agréable et comblée. J’ai du lui annoncer, j’avais 35 ans, qu’elle avait une tumeur du cerveau inopérable. Ma mère m’avait éduqué en me disant que la vérité était importante, même si elle était douloureuse. Aussi, je lui ai dit qu’elle avait un cancer et que les docteurs ne pouvaient rien faire. J’ai aujourd’hui 62 ans, elle en avait 66. Elle m’a répondu : « alors je vais mourir ». Puis elle a ajouté : « La vie n’est-elle pas intéressante? ». Ça, c’était ma mère. Ma mère adorait la vie, les autres, les autres cultures, elle adorait la France et j’ai grandi en écoutant les chansons de Patachou que ma mère se repassait inlassablement.
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Je lui ai pour ma part parlé de Joan Didion, une autre écrivaine américaine que j’affectionne qui écrit aussi sur sa vie et sur ses traumatismes (L’année de la pensée magique, Le bleu de la nuit) et elle m’a dit qu’elle l’avait lue et que ses mots l’avaient beaucoup aidé. Je lui ai dit que j’admirais son écriture fluide et toute son oeuvre.
Elle a signé toutes les dédicaces sans broncher. Une femme très simple, douce et souriante. Encore mieux que je me l’étais imaginée ! Je comprends pourquoi elle n’a pas laissé J.D Salinger insensible. Un vrai coup de coeur et encore un immense merci à la librairie Coiffard.
Je ne peux que vous conseiller ses romans si vous ne la connaissez pas.
25 commentaires
TRÈS intéressant. J’avais l’impression d’y être. Merci, miss. Tu as eu de la chance… La Québécoise est un tit peu jalouse! De connaître la genèse des « Règles d’usage » apporte une autre perspective sur ma lecture (que je termine ce soir). Et d’en apprendre un peu plus sur son vécu donne un autre visage à l’ensemble de son oeuvre. Merci encore.
De rien ! J’ai été chanceuse – j’aurais pu la louper et m’en mordre les doigts longtemps ! J’ai modifié légèrement une question car sinon je risquais d’en dire trop sur le l’intrigue – mais c’était difficile ! Oui, ça change notre lecture – je l’ai lu avec ses réponses en tête et savoir qu’il a été écrit juste après les attentats et puis quand elle se confie à la fin, c’était très émouvant – elle était émue forcément. Un très joli moment !
Exact, belle rencontre. Elle a eu aussi une vie pas si facile, mais semble en paix et pleine de peps.
oui, elle nous a dit qu’elle avait toujours eu cette flamme qui la pousse à aller en avant malgré les épreuves 🙂
Merci bien pour cette rencontre, j’avais l’impression d’y être…
merci ! 😉
super ton compte rendu, effectivement on a l’impression d’y être
connaitre le contexte et l’état d’esprit dans lequel elle a écrit ce roman donne encore plus de force et de densité au récit. Et elle semble être une personne chaleureuse et vraiment très intéressante, j’aimerais beaucoup la rencontrer.
Oui et moi la revoir – j’avais du mal à réaliser qu’elle était en face de moi 🙂 Les Américains ont une facilité à parler de leur vie, ce n’est pas trop dans nos habitudes.
Cette facilité à parler de leur vie je l’ai aussi ressentie lors de la rencontre avec Bruce Holbert, qui est pourtant d’un naturel plus réservé que Craig Johnson, par exemple !
Oui, au Festival America, j’ai eu la même impression. A l’inverse, mon auteur préféré détestait les interviews (J.D Salinger) et pourtant il était américain 😉
Salinger peut être considéré comme un cas à part, n’est-ce pas ?
Totalement 🙂
Ooh la chance, j’aimerais beaucoup la rencontrer, elle fait partie de mes auteurs préférés! 🙂
Oui ! Je l’ai su deux jours avant – parfois je me pince pour y croire !
Sympa cette retranscription ! Merci 🙂
De rien ! un moment fort agréable ! 😉
Merveilleuse rencontre et un superbe compte-rendu que j’ai lu sans ciller 🙂 C’est une auteure que j’adore, l’une de mes préférées. Les règles d’usage est l’une de mes plus belles lectures de 2016, il est tellement riche, son regard sur la famille, les relations fraternelles, la résilience. C’est une dame positive, malgré les choses qu’elle a pu traverser dans la vie. Tu me donnes très envie de découvrir Joan Didion que je ne connais pas du tout! Merci pour ce partage en tout cas!
De rien et je suis ravie que tu aies aimé mon compte rendu et pareil, j’adore cette auteure et si tu aimes la résilience, il faut lire ABSOLUMENT Joan Didion ! Une écriture fluide et une manière de regarder la vie malgré les épreuves – bref, fonce !
Je ne sais pas si je lirai son dernier titre (je n’avais pas adoré Les filles de l’ouragan), mais la dame semble être quelqu’un de bien … Et j’adore le mélange robe – santiags, juste génial !
J’ai moins accroché aux filles de l’ouragan mais as-tu l’homme de la montagne ? celui-ci est bien meilleur que les filles de l’ouragan 😉 Oui, j’ai adoré sa tenue !
Merci Electra pour ce compte-rendu. J’aime apprendre les premiers pas d’un roman et cette histoire de photo et de témoignage de la jeune fille me plait beaucoup.
Je continue ma découverte avec « L’homme de la montagne » que j’ai terminé 🙂
Ah j’espère que tu as aimé ! Oui, j’aime bien en savoir plus sur leur processus de création – ce qui déclenche le départ d’une histoire, le début d’un roman 😉
J’aime énormément cet auteur, quelle chance de l’avoir rencontrée !!! « Long week-end » est mon favori, et je suis plongée dans « Les règles d’usage »… Merci d’avoir partagé cet entretien !
De rien ! j’ai pensé que ça ferait plaisir à toutes ses fans 🙂
[…] rencontre car elle adore Nantes. Lors de sa venue précédente en octobre l’an dernier (cf. ma chronique), Joyce parlait déjà français mais une traductrice était présente lors des échanges avec le […]
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