Knockemstiff ∴ Donald Ray Pollock

par Electra
5,1K vues

Tous les Américains sont de l’Ohio. Ne serait-ce que brièvement.       Dawn Powell

En lisant le billet de Marie-Claude sur Une mort qui en vaut la peine, je savais que je n’allais pas m’ennuyer en compagnie de Donald Ray Pollock. J’ai Knockemstiff  dans ma PAL depuis fort longtemps. Souvenez-vous, j’étais allée le premier jour d’ouverture découvrir la libraire La vie devant soi – devenue une de mes librairies préférées, et je m’étais laissée conseiller par l’un des libraires – et il m’avait conseillé ce recueil de nouvelles.

Le temps a passé et il était temps de s’attaquer à ce recueil de 256 pages. Ma surprise fut grande quand rendue à la moitié, prête à m’écrouler, j’ai découvert qu’il me restent encore pas loin de 8 nouvelles à lire, car le recueil en compte 18 ! Chose assez rare, croyez-moi. Mais le talent de Pollock est tel que quelques pages suffisent à vous assommer ! J’ai prévenu mes abonnés sur Instagram : chaque nouvelle est comme un shot de whisky alors lisez avec modération !

La preuve, je me suis arrêtée à la douzième. J’ai hâte de retourner à Knockemstiff, petite bourgade de l’Ohio dont aucun personnage n’arrive à sortir, mais je dois reprendre quelques forces avant.

Car Pollock, c’est du lourd – pas indigeste, non du lourd « coup de poing » – et surtout du noir, très noir ! Âmes sensibles, passez votre chemin ! Ce qui m’a surpris aussi, c’est l’évolution – la première nouvelle vous fiche une claque, la deuxième un coup de poing, la troisième vous met k.o ! La montée en puissance dans l’horreur est impressionnante. Et passionnante.

Knockemstiff existe même si tous ces bars ou magasins sont fermés. Cette petite bourgade de l’Ohio où l’auteur a grandi, semble avoir accueilli sur terres les pires énergumènes que l’espèce humaine peut créer. Et comme si Dieu le savait, il a préféré recouvrir la ville et ses alentours d’une immense coque en verre. Personne n’en sortira. Personne n’en sortira vivant.  Le recueil couvre une trentaine d’années, des années 60 à la fin des années 90.  On s’en rend compte assez facilement, et puis les personnages se croisent : on retrouve la soeur d’untel dans une autre nouvelle, le voisin d’un autre personnage. Tous timbrés. Furieusement timbrés !

Dans quelques minutes, Jimmy et moi, on allait quitter cette taule et trouver quelque part où parquer sa poubelle de bagnole. Il atomiserait un plein sac en plastique de Bactine, et je resterais à l’écouter s’emplir les poumons de brouillard froid. L’odeur me donnerait mal au coeur, et j’entrouvrirais la vitre. (…) Si on avait du pot cette nuit, peut-être qu’il verrait quelque chose qu’il n’a encore jamais vu. Et puis ça serait mon tour.

On va du gosse de ferme, violeur de poupées, qui en grandissant va faire pareil avec de vrais humains, au père bourrant son fils de stéroïdes afin de revivre ses anciens jours de gloire, aux jeunes qui volent des médicaments (détournés en drogue) pour s’enfuir, mais qui finissent par ne jamais quitter Knockemstiff (c’est impossible, ils ne le savent pas encore) aux parents pédophiles… Bref, un panel de personnages extrêmement varié et très fort !

Le talent de Pollock est de dresser le portrait d’une ville et de ses habitants sur trente ans, alors on les retrouve au hasard d’une autre nouvelle, ils nous sont familiers et on est content de les recroiser. Finalement, on finit par vivre avec eux et par en trouver certains attendrissants à défaut d’être aimables. Je pense à ce gars de la station-service pris en photo par des touristes californiens, qui veulent montrer à leurs amis « le visage d’un vrai bouseux » – là on a envie de foutre un coup de poing à ces touristes !

Donald Ray Pollock est vif, percutant dans ses propos. Il réussit à nous attirer dans son piège : car si la population de Knockemstiff est vraiment très particulière, l’auteur sait brillamment écrire. Le style porte ses sujets tous cassés, certains brisés par la vie, d’autres incapables d’avoir le moindre contrôle ou le moindre objectif – comme sauter dans une voiture et rouler. C’est écrit avec intelligence et un regard aiguisé de l’auteur américain sur la société américaine. Celle de tous ces laissés pour compte. Dans une Amérique, où la réussite est le moteur, ces bras cassés sont souvent oubliés et même largement ignorés.

Que dire ? Que Pollock est fou ? Sans doute, un peu comme ces personnages tous déjantés – il aime le trash, il a un ton corrosif, il aime sans doute choquer ses lecteurs mais cache derrière tout cela une profonde sensibilité et humanité. Résultat : il vous prend aux tripes. Et j’adore !

Quand les gens en ville parlent de consanguins, en réalité ce qu’ils veulent dire c’est qu’il arrive de se sentir seul. Enfin, c’est ce que Daniel voulait croire. Il avait besoin de cheveux longs. Sans eux, il n’était qu’un sinistre bouseux mal fichu de Knockemstiff, Ohio – lunettes de vieux, acné en germes, poitrine de poulet. Jamais essayé d’être quelqu’un comme ça ? A 14 ans, c’est pire que la mort.

J’ai beaucoup aimé mais il était temps de faire une pause dans ma lecture, car 18 nouvelles de rang, non ! En fait, c’est comme un bon verre de whisky (que je n’aime pas…), il faut le déguster tranquillement installé dans son fauteuil, par un soir de pluie. Et là, c’est excellent ! (du vin ça marche aussi).

La vie en vrai  ♥♥♥♥
Dynamite Hole  ♥♥♥♥
Knockemstiff  ♥♥♥♥♥
On achève bien les cheveux  ♥♥♥♥
Speed ♥♥♥♥♥
Gigantomachie   ♥♥♥
Schott’s Bridge  ♥♥♥♥
Lard  ♥♥♥♥♥
Poisson pané ♥♥♥♥
Bactine  ♥♥♥♥
Discipline ♥♥♥

Editions Libretto, trad. Philippe Garnier, 2013, 256 pages

Et pourquoi pas

20 commentaires

Marie-Claude 20 janvier 2017 - 3 h 29 min

Il est dans ma PAL et… je vais me régaler! Cette idée de «claque», «coup de poing» puis «k.o»… J’ai hâte! Et de retrouver un même personnage plus loin, j’aime beaucoup. Je vais peut-être y venir plus vite que prévu! Super billet et citations.

Electra 20 janvier 2017 - 7 h 58 min

Merci je dois y retourner bientôt Et c’est sympa de savoir qu’ils m’attendent tous !

keisha 20 janvier 2017 - 8 h 50 min

Aie, j’avais dit ‘non, pas cet auteur’, mais là tu me donnes envie de tenter, peut-être qu’en nouvelles la dose est moins forte?

Electra 20 janvier 2017 - 8 h 54 min

Tu peux effectivement lire à ton rythme et doser à ta guise ! Je pensais que tout le monde le lisait

Eva 20 janvier 2017 - 11 h 09 min

hmmm alléchant ! ça a l’air du même acabit que Le Diable tout le temps !

Electra 20 janvier 2017 - 18 h 35 min

Oui, je pense qu’il est « fidèle » à lui-même, je comprends mieux le succès et les chroniques de ses romans. Et comme tu as aimé, tu devrais prendre plaisir à venir dans cette petite ville qui a vraiment existé et qu’il connaît bien 🙂

noukette 20 janvier 2017 - 18 h 41 min

Tous ces cœurs, ça donne envie de relire Pollock d’urgence !

Electra 20 janvier 2017 - 21 h 08 min

Très bien !

gambadou 21 janvier 2017 - 20 h 15 min

J’ai du mal avec les nouvelles, je veux toujours en avoir plus. Mais là, tant de coeur, ça va me faire craquer !

Electra 22 janvier 2017 - 12 h 23 min

Oh oui et puis ici tu retrouves les mêmes personnages (pas tout le temps quand même) donc ça te devrait te faire plaisir !

athalie 22 janvier 2017 - 10 h 32 min

Je rejoins complètement ton avis, je n’aime pas non plus le whisky, mais j’imagine que ça doit faire un truc comme cela comme effet shut ! Mais je dois être gravement atteinte parce que j’ai lu les 18 à suivre, sans pause, alors que dès la première, j’étais KO. Rien qu’une de ses nouvelles, et j’étais à terre. En même temps, j’avais déjà lu « Le diable tout le temps », alors j’étais entraînée …

Electra 22 janvier 2017 - 12 h 25 min

courageuse ! lire les 18 d’affilée ! Moi il me faut un break, parce qu’ils sont complètement tarés, non ????? oui une de ses nouvelles (le grand et la poupée) m’a foutu à terre aussi ! Il faut maintenant que je lis ses romans – mais je suis parée 🙂

krol 22 janvier 2017 - 14 h 53 min

Il faudrait que je lise cet auteur un jour ! A travers des nouvelles, pourquoi pas ?

Electra 22 janvier 2017 - 15 h 25 min

Oui, c’est un bon moyen de voir s’il ne t’écoeure pas 😉

Jerome 23 janvier 2017 - 10 h 21 min

Que du bon dans ce recueil ! La première est celle qui m’a le plus marqué, même si je suis bien incapable de dire pourquoi !

Electra 23 janvier 2017 - 15 h 00 min

Celui du grand frère et de la poupée de la petite sœur ? elle te met par terre effectivement .. et tu crois que ça s’arrête mais non c’est pire 🙂
la première de Dead Boys, le recueil de Richard Lange que TU DOIS lire est sublime (elle était dans le recueil 20+1 stories) – rien à voir avec Pollock mais souvent les premières sont magnifiques

Laure 23 janvier 2017 - 20 h 35 min

Je ne lirai pas le Ciel de Bay City, je vais m’éviter du sport inutile ;-), en revanche, ce recueil de nouvelles, j’ai bien l’intention de m’y plonger un jour, je suis certaine que je vais adorer !

Electra 23 janvier 2017 - 20 h 40 min

Oui du sport inutile ! Ce recueil est nettement plus intéressant mais là c’est un verre d’alcool qu’il te faut

AMBROISIE 27 janvier 2017 - 10 h 27 min

J’avais lu Le Diable, tout le temps du même auteur l’année dernière et je me souviens encore de toute l’histoire comme quoi ce roman a été un profond coup de coeur. J’ai trouvé les personnages tellement travaillés que je note ce titre !

Electra 27 janvier 2017 - 11 h 55 min

Oh donc j’ai raison de vouloir enchainer avec le Diable 😉 Ici aussi, même s’ils sont bizarres, ils sont très présents et ne nous quittent pas pendant la lecture.

Les commentaires sont fermés