Le ciel de Bay City ∴ Catherine Mavrikakis

par Electra
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Les sportifs vous diront que la lecture n’est pas un sport. Et pourtant, parfois ça y ressemble fort ! Et cette lecture me fait penser à un sport en particulier : la lutte. La lutte pour ne pas jeter ce roman par la fenêtre, la lutte pour ne pas le brûler ou envoyer une lettre à l’éditeur ! Mais au final, je suis fière de ne pas avoir abandonné la partie car j’ai gagné. J’ai lutté jusqu’au bout.

1960 – Bay City, Michigan. C’est dans cette petite ville que naît Amy, fille de Denise. Cette dernière est venue s’installer ici avec sa soeur Babette, l’époux brésilien de celle-ci et son neveu. La maison se situe sur Veronica Lane dans un quartier où toutes les maisons en tôle métallique sont identiques. Un quartier qui va hanter toute sa vie la jeune Amy. Celle-ci grandit, comme le dit l’éditeur, sous un ciel de fantômes, vestige du passé de sa mère et de sa tante.

La maison semblait bien davantage être les vestiges d’une apocalypse qu’une promesse gonflée d’avenir. Avec le temps d’autres tumeurs de fer-blanc jonchèrent notre rue. Le cancer de la domesticité se généralisa, il devint notre environnement, notre fléau tout confort.

Ces dernières sont nées françaises et juives, peu de temps avant la deuxième guerre mondiale. Quand celle-ci éclate, leurs parents préfèrent les éloigner de Paris et les mettre à l’abri chez une famille de bourgeois catholiques en Normandie, les Duchesnay. La guerre se termine. Les parents ne reviennent pas. La famille les adopte et les convertit au catholicisme. Babette est pieuse, fervente catholique, elle et sa sœur décident une fois adulte de remonter à la capitale. Elles reprennent l’officine de leurs parents mais l’effort est insurmontable. Elles décident donc de tout vendre et de s’installer dans le pays du Nouveau Monde où tout est possible.

En refusant d’aborder leur passé, leur judaïcité, elles privent Amy de son identité. La jeune fille déteste l’endroit où elle grandit et ce ciel mauve qui semble sans cesse menaçant. Rongée par ce silence, par ces non-dits, Amy grandit avec la haine en elle. Envers ses parents, et envers la société entière. Elle est à ce point négative qu’elle s’approprie toutes les horreurs de la guerre, en expliquant même qu’elle a mieux connu la guerre que sa famille. Elle rêve des camps de concentration la nuit et dans la journée ce cesse d’en vouloir à tous ceux qui ne comprennent pas son mutisme ou ses crises de colère.

Depuis que je suis toute petite, je ne pense qu’aux détails. Au manteau qu’une petite Sarah portait en descendait du train qui l’emportait vers Auschwitz. A Peter, qui tout au long du trajet infâme, pleurait d’avoir laissé son chat Mutsi sans personne. Aux repousses blanches de cheveux pour lesquelles une de mes grand-mères coquette devait s’inquiéter en passant sa main sous son chapeau.

A Bay City, Amy se sent dépérir – sa mère est repartie à New York, la laissant seule avec ses angoisses. Elle veut quitter cet endroit de malheur et accepte d’aller voir un psychiatre à des heures de route. Celui-ci est étonné de ces rêves que seuls des soldats revenus de la guerre font habituellement. Finalement, elle n’en obtient rien. Jusqu’à cette nuit d’été, de juillet 1979, la nuit où Amy fête ses 18 ans et où sa famille entière part en fumée. Seule survivante, Amy peut enfin se construire un avenir. Même si elle avoue « les avoir tués ».

Que dire ? Je vais citer Martine Laval de Telerama : « Le Ciel de Bay City, fiction qui ne craint ni l’horreur ni la beauté, ni l’indécence ni la douceur, est le roman de l’indicible enfin écrit« .

Car oui, Catherine Mavrikakis possède une plume magnifique, un talent de romancière – j’ai adoré le choix de ses mots, les monologues intérieurs d’Amy sont écrit avec une puissance, une rage qui m’a profondément marqué. Alors oui, rien que pour cela, le roman se vaut d’être lu.

Et oui, l’auteur québécoise se passe de tout ornement, de tout déguisement : ici, la vérité est crue. Violente. Un vrai plaisir de lecture.

Le ciel de l’Amérique est multicolore, mais il ne porte que les couleurs d’une peine. Il héberge l’extermination des Amérindiens, abrite les désespoirs et les génocides de tous les exilés venus trouver refuge dans le grand cimetière qu’est cette terre.

Alors pourquoi ai-je parlé de sport ? de lutte ? Parce que j’ai toujours autant de mal avec ce genre de personnages qui s’approprie toute la misère du monde (ici la guerre) alors qu’elle n’en aucune raison (être née dans les années 60 aux USA…) et qui pendant presque 300 pages vous bassine avec le malheur qu’elle a fabriqué et qu’elle entretient ?

Elle chérit sa tristesse dans un écrin depuis son tout jeune âge et la brandit à l’adolescence comme un étendard, « elle » est égocentrique à point que l’envie de vomir n’en était pas loin en lisant certains passages.  Une souffrance qui est réelle chez sa mère et sa tante mais qu’elle a volée et qu’elle affectionne. Je ne comprends pas très bien tout ce cinéma. Oui, les survivants de l’Holocauste ont choisi de tourner la page, de ne pas en parler. Oui, les générations suivantes ont grandi dans le silence. Oui, leurs enfants ont parfois découvert sur le tard ce qui est arrivé à leur famille. Mais jamais ces enfants (je pense à ceux vus dans des documentaires) n’ont osé crier que ce silence avait causé en eux plus de souffrance que celles vécues par leurs parents.

Je sais : la souffrance ne se mesure pas. Mais quand même, en lisant ce roman, on se dit qu’elle aurait pu grandir en choisissant la vie ou en souhaitant comprendre ce qui est arrivé à sa famille, mais elle déteste sa mère et sa tante.

Et puis surtout, à la toute fin du livre, l’auteur livre un chapitre magnifique, sublime. J’ai cru qu’il s’agissait du dernier chapitre et elle avait réussi à me réconcilier avec le personnage ! Et vlan – l’auteur casse tout en livrant deux autres chapitres à nouveau plein de haine et de grossièretés (dans le sens d’absurdité). Mon dernier espoir s’est envolé.

Editions Héliotrope, 2008, 292 pages

 

Et pourquoi pas

20 commentaires

Marie-Claude 23 janvier 2017 - 1 h 07 min

J’ai lu ton billet en oscillant entre «ah oui, intéressant» et «punaise, je ne vais pas perdre mon temps à le lire». La phrase assassine? «pendant presque 300 pages vous bassine avec le malheur qu’elle a fabriqué et qu’elle entretient»
Trop de complaisance me tue. Le grattage de nombril ad nauseam, chu pu capable!
Merci de me libérer d’un livre de ma PAL. Et hop, dans le sac pour L’Échange!
Ici, cette auteure est encensée par la critique (médias intellos s’entend – n’oublions pas que la dame est enseignante et, dans ce petit milieu intello, tout le monde se tient). La populace (à laquelle j’appartiens), est beaucoup plus mitigée.

Electra 23 janvier 2017 - 7 h 24 min

Je me marre en lisant « hop pour départ l’Echange » – profites-en pour récupérer le Vann 😉
Sinon, elle écrit vraiment très bien et si le personnage avait été une vraie survivante de l’Holocauste, alors oui toute cette rage, cette colère en elle – j’aurais totalement adhéré mais au final quand on prend du recul et qu’on réalise qu’elle est née bien des années après dans une famille normale , j’aime bien ton expression « le grattage de nombril » – moi aussi ça ne passe pas.
Pourtant ce chapitre antepénultième était juste magnifique et si cela avait été la fin, mon billet aurait vraiment été différent !
Tu m’en apprends un peu plus sur elle – oui, il y a aussi des auteurs français « intellos » encensés par des critiques qui me laissent totalement indifférentes.
En aparté, j’aime bien le format du livre et la couverture 😉

keisha 23 janvier 2017 - 9 h 23 min

J’adore ton billet. Je feuilletterai peut être le bouquin à la bibli.
Comme toi j’ai peut être trop les pieds sur terre, j’ai du mal avec les personnages qui se fabriquent leur malheur dans leur tête, sans doute les psys ont-ils des choses à dire sur eux, que je me trompe, mais les secrets qui se déversent de génération en génération, en littérature, j’ai du mal.(et je déteste les rêves dans les bouquins, je lis en diagonale ou je saute)

Marie-Claude 23 janvier 2017 - 13 h 42 min

Moi aussi, les rêves dans les bouquins m’ennuient! Je me force à les lire.

Electra 23 janvier 2017 - 15 h 38 min

Finalement, on a quand même nos « bémols » 🙂

Electra 23 janvier 2017 - 14 h 54 min

Merci ! je me relis avant de te répondre, disons qu’elle a bien réussi à m’énerver ! si c’était le but, c’est réussi. Oui, moi aussi, j’ai peu de patience avec ces gens-là, j’avoue ! la vie est trop courte et souvent ceux qui ont souffert sont ceux qui en savent profiter. Enfin, bref, il vaut mieux que je choisisse mieux mes lectures mais l’objet m’avait attiré de suite en librairie.

Eva 23 janvier 2017 - 11 h 42 min

j’ai lu ce roman il y a plusieurs années (à sa sortie, en fait) et je m’en souviens peu, mais il m’avait mis vraiment très mal à l’aise.
En ce qui concerne le fait qu’Amy est perturbée alors qu’elle n’a pas vécu directement la guerre ou la déportation, c’est une réalité psychologique. Marceline Loridan-Ivens en parle dans son livre « Et tu n’es pas revenu », les dommages collatéraux de la Shoah : son frère et sa soeur qui eux n’ont pas été déportés ont été « malades des camps », la soeur s’est suicidée, le frère est devenu fou… C’est ce qu’on appelle le syndrome du survivant.
http://www.psychologies.com/Planete/Societe/Articles-et-Dossiers/La-Shoah-en-heritage

Electra 23 janvier 2017 - 14 h 56 min

Oui, mais tu parles des frères et sœurs qui étaient donc VIVANTS au moment de la guerre et qui ont vu leurs familles disparaître – ici la fille est née en 1961 aux USA… elle aurait décrit sa mère et sa tante avec ce syndrome, je l’aurais cru facilement, le syndrome du survivant est connu (même dans un accident banal de la route, ou une catastrophe aérienne il se manifeste .. pourquoi moi ? et eux?) mais là on saute une génération et quand elle dit d’elles qu’elles ne peuvent pas comprendre la guerre alors qu’elle si.. là ça dépasse l’entendement !

Eva 24 janvier 2017 - 10 h 52 min

oui les exemples que je donne sont des gens qui ont vécu la guerre, mais dans l’article le journaliste parle bien de descendants qui sont nés bien après la guerre, et de traumatismes « hérités », donc c’est un trouble psychologique reconnu.
il n’empêche que ce livre était quand même très glauque – à l’époque je n’avais peut-être pas les bonnes clés pour l’aborder mais il ne m’avait pas du tout convaincue, et depuis je n’ai pas eu du tout envie de lire d’autres romans de l’auteure.

Electra 24 janvier 2017 - 10 h 59 min

Oui très glauque ! elle déteste tout : sa famille, l’Amérique, la vie .. difficile de l’apprécier !

La Rousse Bouquine 23 janvier 2017 - 13 h 20 min

Aaah ces livres avec des gens dépressifs pour rien – enfin si, pour des choses auxquelles ils ne peuvent pas faire grand chose ? J’en ai déjà assez dans mon entourage, pourquoi me déprimer encore avec un bouquin, aussi fantastique soit-il ?

Electra 23 janvier 2017 - 14 h 57 min

Oui, il est très bien écrit et certains passages, comme ce fameux chapitre prouvent indéniablement un talent d’écriture mais le sujet, comme toi, ne me parle pas. Pourtant je lis des romans noirs, très noirs !

Laurence 23 janvier 2017 - 15 h 29 min

Mon premier commentaire sur ce blog que j’aime énormément car beaucoup d’affinités littéraires et une plume que j’apprécie. Je n’ai pas lu le livre. En revanche, la sincérité du billet et du commentaire m’ont beaucoup plu et je voulais le dire ! Il arrive que la souffrance « saute une génération », voir, entre autres, à ce sujet « Un secret » de Paul Grimbert (récit autobiographique) dont le personnage principal vit une enfance marquée par la souffrance, enfermé dans un corps rachitique et des nuits peuplées de cauchemars jusqu’à ce qu’il découvre la vérité sur sa famille et son passé…
Grande adepte du nature writing, passionnée de l’Amérique indienne et de ses étendues sauvages, je me permets de partager quelques coups de cœur : « Lucy in the sky » de Pete Fromm qui saisit si bien cette période floue et unique qui va du début à la fin de l’adolescence, « Little » de David Treuer, qui suit, avec une grande poésie, les habitants du village de Pauvreté sur plusieurs générations, « Dalva » qui me semble être le plus abouti et le plus émouvant des livres de Jim Harrison, « Mille femmes blanches » de Jim Fergus que j’avais lui aussi dévoré d’une traite à l’époque, « Le pique-nique des orphelins » de Louise Erdrich, un roman à plusieurs voix qui m’a interpellé dès les premières lignes et ne m’a pas lâchée, l’envoûtant « Désert solitaire » d’Edward Abbey, un hymne aux grandes étendues sauvages et plus particulièrement au parc d’Arches, la trilogie amérindienne de Joseph Boyden et plus particulièrement « Les saisons de la solitude », le récit très vif de son épouse Amanda situé à la Nouvelle Orléans « En attendant Babylone », et plus près de chez nous un magnifique portrait de femme signé Gaëlle Josse « Les heures silencieuses ».

Electra 23 janvier 2017 - 16 h 02 min

Merci ! Toujours un plaisir de découvrir les lecteurs de mon petit blog ! J’ai en fait lu Le Secret de Patrick Grimbert et j’avais adoré ce livre (à l’époque je n’avais pas ce blog), je m’en souviens bien. Ce que je reproche à ce roman, ce ne sont pas ses souffrances mais le fait qu’elle ne cesse de les comparer à celles de sa mère et sa tante et de dire qu’elles sont plus fortes, supérieures si je suis claire dans mes propos.
Pour le nature writing, pareil ici ! J’ai rapporté un exemplaire dédicacé de « Lucy in the Sky » du Festival America – j’ai hâte de le lire. J’ai échangé quelques mots avec Pete Fromm car j’ai habité à Great Falls 😉
« Little » est aussi dans ma PAL (au Québec chez une amie, car ma valise explosait de livres) et j’adore David Treuer – son essai Indian Roads est un must en la matière sur la question indienne 😉
Dalva ! Un de mes livres préférés, je l’a lu à l’âge de 14 ans – j’ai tous ses livres (encore beaucoup à lire) mais celui-ci – ravie de voir que nous partageons autant de points communs !
J’ai lu Louise Erdrich (pas de billets) et je vois souvent celui-ci, il faut donc que je me le procure rapidement !
Je suis aussi allée voir Joseph Boyden en conférence et j’adore ses romans, il faut aussi lire son recueil (Là-haut vers le Nord), un de mes chouchous ! Je n’ai pas lu « En attendant Babylone » – je note (ma wishlist augmente !) et si j’ai lu Gaëlle Josse pour son roman sur les émigrés à NY, je ne connaissais pas « ‘les heures silencieuses » – hop dans la wishlist !
Merci pour tous ces titres !

noukette 23 janvier 2017 - 16 h 09 min

Tu m’as convaincue… de ne pas lire ce roman… Mais je crois avoir déjà lu quelques chose de l’auteure… mais quoi…?

Electra 23 janvier 2017 - 16 h 27 min

Ah ! la pauvre, si elle voyait le mal que je lui fais ! bon, elle a publié 4 romans je crois donc oui tu dois déjà l’avoir lue et cela ne semble pas t’avoir beaucoup marqué !

Virginie 23 janvier 2017 - 19 h 40 min

Un ratage alors ? Dommage pour ce chapitre que tu as trouvé si bon !

Electra 23 janvier 2017 - 19 h 45 min

Oui malgré un talent indéniable d’écriture et un chapitre magnifique mais cela ne suffit pas à sauver le roman

athalie 25 janvier 2017 - 9 h 38 min

Moi aussi j’ai beaucoup lutté avec ce roman, pour ne pas le jeter par la fenêtre … mais pourquoi diantre ne l’ai-je pas fait d’ailleurs ? même le chapitre dont tu parles m’a laissée coite ! C’est malsain, lourd et n’apporte rien.

Electra 25 janvier 2017 - 9 h 41 min

Ah ravie de voir que je ne suis pas la seule, Eva aussi a eu du mal (« glauque ») ! Je trouve aussi que ça n’apporte rien. Bref, passons à autre chose !

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