Une année dans la vie de Johnsey Cunliffe ∴ Donal Ryan

par Electra
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L’avis très enchanté de Marie-Claude sur le premier roman de l’auteur irlandais Donal Ryan, Le coeur qui tourne, m’avait poussé à le demander au Père Noël. Et la chance me souriant, est arrivé dans ma boîte aux lettres, son second roman.

Johnsey est un jeune homme d’une vingtaine d’années qui vit à la ferme, avec ses parents. Le garçon travaille à la coopérative du village comme manutentionnaire. Il est né différent,  pas très intelligent, gauche, naïf. Johnsey est ce que l’on appelle « un simple d’esprit ». Pourtant, Johnsey pense tout le temps. Il est le narrateur de sa propre histoire et se sent enfermé, prisonnier de de ce corps, de ce cerveau, qui l’empêchent d’être comme les autres, d’avoir de la répartie, de pouvoir s’exprimer, plaisanter, draguer ou défendre un point de vue.  Et tous les soirs, il croise la route d’Eugene Penrose et de sa bande. Enfants, ils étaient amis puis les années ont passé. Au chômage, Eugene passe son temps à boire et à se défouler sur le pauvre Johnsey qui se laisse toujours faire.

Johnsey est pourtant aimé par ses parents, et leurs amis dont Paddy Rourke, un homme bourru et peu bavard, et surtout les Unthank, boulangers, qui lui fournissent tous les jours son déjeuner. Quand son père décède du cancer, ils sont là pour aider sa mère, Sarah, à organiser les funérailles. Le choc est grand pour Johnsey qui se souvient de cet homme qui l’a toujours aimé et soutenu malgré sa différence. Mais sa mère n’est plus la même, elle se laisse dépérir. Johnsey n’a plus qu’elle lorsqu’elle décède subitement. Le voilà seul, orphelin.

Johnsey Cunliffe est soutenu par les Unthank mais la solitude lui pèse énormément dans cette ferme où tout lui rappelle ses parents. Lorsque les McDermott, qui louent les terres depuis des années viennent lui parler de rachat, Johnsey ignore quoi répondre. Le sort s’acharne contre lui : un consortium promet la prospérité au villageois en échange du rachat de leurs terres, dont celles des Cunliffe. Mais Johnsey ignore quoi faire. Il n’a toujours connu que la ferme, cette maison, cette grange. Incapable de se résoudre à vendre – il croit trahir ses parents – il s’attire peu à peu la haine des villageois.

Et le sort semble s’acharner sur Johnsey lorsqu’il croise un soir à nouveau la route d’Eugene, dont le groupe s’est affublé d’un jeune de la ville (il porte « un bas de jogging avec les chaussettes par-dessus »). Les insultes crachent, sur ses prétendues richesses de fermier, Johnsey ne dit rien, ne se défend pas mais les coups cette fois-ci sont beaucoup plus violents. Hospitalisé, Johnsey va trouver un refuge dans cette chambre double. Aveugle pendant plusieurs semaines, il va tomber amoureux de la voix douce de l’infirmière qui s’occupe de lui et va faire la connaissance de Dave, un ouvrier qui s’est gravement blessé en chutant d’un échafaudage. Petit mais fort en gueule, Dave parle pour les deux. Il a l’humour grivois mais Johnsey, élevé par une mère pieuse et très croyante, en fait son affaire, trop content d’avoir enfin un ami.

Une fois guéri, Dave vient souvent chez lui – ce dernier l’emmène même dans un bar, le fait boire et surtout lui parle des femmes, et Siobhan, l’infirmière, fait même une apparition. La vie de Johnsey semble peu à peu prendre un sens jusqu’à un fameux article dans la presse, et le voilà de nouveau au centre de l’attention, et de la haine.

Donal Ryan livre ici un portrait de l’Irlande d’aujourd’hui sombre mais réaliste. Un pays déchiré entre modernité et tradition, entre cupidité et valeurs morales, et le récit bouleversant, plein de nuances, d’un jeune homme, différent, qui paie le prix fort. Tout au long du roman, Johnsey ne cesse de chercher un sens à sa vie, de se poser les bonnes questions – de se mordre les doigts, de se haïr pour cette paralysie verbale et physique qui le contrôle. Surprotégé par son père, selon Paddy, ou tout simplement incapable de faire autrement, Johnsey ne sait ni répondre, ni se défendre face à la haine des autres. Il encaisse les coups comme un boxeur acculé au fond du ring.

Johnsey voudrait tant appartenir à ce monde, qui sous la plume de Donal Ryan, n’a plus de sens.

Une année dans la vie de Johnsey Cunliffe raconte en douze mois, de janvier à décembre, le combat quotidien de ce jeune homme pour trouver sa place dans ce village, pour trouver un sens à donner à cette vie. Un portrait très touchant et qui vous prend à la gorge.

Je ne connaissais pas encore la plume de Donal Ryan, j’ai beaucoup aimé. J’ai trouvé ma lecture parfois pesante car les pensées de Johnsey sont si sombres, si noires qu’il est difficile de ne pas sentir à son tour, écrasé par tout ce poids. Mais le talent de Donal Ryan est de ne pas céder à l’attrait du mélodrame.

J’ai à présent, hâte de lire son premier roman, qui m’attend sagement dans ma pile de lecture.

♥♥♥♥

Editions Albin Michel, 2017, The thing about December, trad. Marina Boraso,304 pages

Et pourquoi pas

10 commentaires

keisha 22 mars 2017 - 8 h 21 min

Je passe, je passe, j’aurais pu le lire, oui, mais là je croule!

Electra 22 mars 2017 - 8 h 22 min

Morte de rire ! Que t’arrive-t-il ?

Virginie 22 mars 2017 - 17 h 44 min

Je l’ai trouvé très réussi (certes sombre mais quelques sourires ici et là) mais j’ai préféré « Le coeur qui tourne » (tu peux le trouver sur mon blog aussi, je l’avais lu à sa parution…)

Electra 22 mars 2017 - 17 h 46 min

Oui, Marie-Claude avait aussi préféré son précédent roman – je vais aller voir ta chronique. Il est dans ma PàL (et plus petit) donc je compte bien le lire !

Marie-Claude 23 mars 2017 - 2 h 36 min

Je ne le sais pas encore, je n’ai pas lu son deuxième (qui figure dans mes 5-6 prochaines lectures). Mais j’ai très hâte. J’ai survolé de très haut ton billet. J’y reviendrai, tu t’en doutes bien!

Electra 23 mars 2017 - 6 h 59 min

Ah je croyais que tu l’avais lu ! Bon je sais que tu avais beaucoup aimé son premier !

gambadou 22 mars 2017 - 21 h 19 min

Très tentante avec ce post

Electra 22 mars 2017 - 21 h 20 min

Merci

Jerome 23 mars 2017 - 13 h 01 min

Son premier roman m’était inexplicablement tombé des mains, je n’étais même pas allé au bout et je me demande encore bien pourquoi. Mais je lui redonnerai bien sa chance avec celui-là.

Electra 23 mars 2017 - 13 h 54 min

Oh très étrange ! car je n’ai lu que des critiques très enthousiastes mais parfois on n’a pas l’esprit à ça. Là, l’histoire est différente – je pense, te connaissant un peu, qu’elle pourrait effectivement plus te correspondre !

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