Il y a des romans qui vous demandent du travail, de ne pas les lâcher trop tôt, de ne pas les abandonner. Et Wunderkind en est un. J’ai bien failli déclaré forfait au bout de la trentième page, lassée par les sempiternelles discours anti-communistes de son héros, Konstantin. Mais fort heureusement, le hasard a bien fait les choses en me laissant le loisir de prendre mon temps en prenant le train deux jours de suite. L’esprit plus libre, prête à vagabonder, j’ai accepté de ne pas lâcher la main de Konstantin et bien m’en a pris.
Sofia, Bulgarie – 1987.
Konstantin a quinze ans et il bout de l’intérieur. Pianiste surdoué, il a intégré la plus grande école de musique de la capitale bulgare et apprend auprès de son professeur bien aimé à maîtriser ce talent exceptionnel. Mais le jeune homme traverse une véritable crise, d’adolescence avec ses multiples émois amoureux, et existentielle : Konstantin étouffe dans ce régime communiste. Il étouffe dans cet horizon gris, froid et ne supporte ni la rigueur ni l’autorité de cette école.
Konstantin est un personnage qui demande beaucoup de patience, il n’est pas aimable de prime abord, plutôt l’inverse ! Comme tous les génies, son orgueil et son arrogance le rendent difficilement attachant – il regarde avec mépris le reste de la société, les élèves moins doués et que dire des simples mortels ? Il ne semble trouver l’apaisement que dans la musique.
Il y a des moments où tu sens venir l’automne dès le début de l’été : au bout de tes doigts, sous ta langue. Des moments où le destin te tend une échelle et te laisse jeter un coup d’oeil de l’autre côté. Des moments où tu sais combien il est facile de te débarrasser de ce fardeau – avec sa géographie, sa chimie, ses lois de la gravité et de plonger dans les eaux tièdes de l’éternité.
En colère contre le monde entier, dont ses parents, Konstantin abandonne peu à peu la maison et préfère dormir sous les toits du conservatoire ou chez ses meilleurs amis qui se comptent sur les doigts de la main. Il y a Irina dont il se sent très proche et dont il se croit amoureux, mais qui en réalité sort avec Alexander, qu’il aime aussi beaucoup. Et le mystérieux Vadim, qui à l’inverse de Konstantin, n’a jamais besoin de répéter, il s’approprie chaque sonate, chaque concerto avec une sensibilité unique qui force l’admiration, même celle de notre jeune pianiste. Car Konstantin est doué mais il a toujours besoin de travailler ses partitions. Avec deux ou trois autres élèves, ils tentent de résister à leur façon à la pression familiale et éducative en s’oubliant dans l’alcool et le sexe et en perturbant les cours.
Mais en 1987, le régime communiste est toujours au pouvoir et Konstantin sait que ses jours au conservatoire sont comptés s’il refuse de rentrer dans le rang. Ceux qui osent se rebeller contre ce système autoritaire sont renvoyés. Mais notre héros, comme tous les adolescents, est tout autant attiré par le vide que par la gloire. Déchiré entre son désir d’être reconnu pour son talent et celui de crier à la liberté en quittant tout, le jeune homme est en permanence tourmenté.
L’auteur, Nikolaï Grozni débute chaque chapitre en citant une oeuvre classique de musique qui sera jouée ou étudiée par Konstantin ou un autre élève (pianiste, violoniste ou autre). Chopin étant le maître à penser du héros – on suit chaque répétition et chaque concert, avec la tension qui monte et qui s’empare du héros. Les amoureux de musique classique ne pourront que se réjouir en lisant ce roman qui ne cesse de vous bousculer et auront de surcroît immédiatement en tête la partition.
Konstantin est comme dévoré de l’intérieur et le lecteur ne peut que le regarder se fracasser la tête contre le mur. J’avoue que le héros commençait sérieusement à m’énerver par son arrogance mais fort heureusement l’auteur a su reprendre la main et surtout lui mettre en travers de sa route, un élément essentiel : la vie. Lorsque Konstantin comprend qu’il n’a pas le contrôle de tout, que le monde n’est pas uniquement tel qu’il se l’imagine et qu’il ne tourne pas autour de sa petite personne, il redescend parmi les humains. Régulièrement, il retrouve un vieil homme, envoyé au goulag pendant presque trente ans pour avoir voulu s’opposer au régime, condamné pour ses mots et ils échangent sur la vie.
En lisant le roman, le lecteur réalise qu’on s’approche tout doucement de 1989 et de la chute du mur de Berlin et de la chute du régime communiste bulgare. Ce qui m’a marqué dans ce roman, c’est la vision terrible de sa ville, Sofia, où tout se meurt. Les fontaines ne coulent plus. Les murs sont gris, les rats ont envahi la ville. Les arbres sont mornes. Le ciel est gris. Il n’y a plus d’espoir.
Mon jeu avait pris l’odeur des vieux immeubles d’habitation de la rue Serdika, des caves humides, des interrupteurs en bakélite des cages d’escalier, des rangées de boîtes aux lettres en bois vermoulu, de la poussière âcre qui s’insinuait dans les interstices des fenêtres sales, du linge fraichement étendu dans les cours intérieures. Et puis il y avait la lumière, cette lumière oppressante de novembre, piégée entre les bâtiments ; les masses d’un gris profond (…)
Konstantin est plein de paradoxes, orgueilleux, insensible, émouvant, passionné – il requiert donc au lecteur de la patience mais une fois passé un cap, il est impossible de reposer ce livre. Le style est totalement maitrisé, et j’ai vraiment adoré sa manière d’écrire et de transcrire cette époque à travers le regard de ses adolescents dont on attendait trop.
Je dois citer une de mes auteures préférées, Patti Smith, qui en laissant ce mot sur le roman m’a donné envie de l’acheter :
« Wunderkind réveille tous les sens. La prose miroitante et viscérale de Nikolai Grozni déferle telle une symphonie, avec un piano à queue pour machine à écrire infernale. »
Et cette critique qui résume dix fois mieux ce que j’essaie de vous dire : « Ce livre résonne, souffle, chante, fracasse, virevolte et court, ralentit, s’emporte, c’est un concert, une rhapsodie. Dont on guette les variations comme autant de rebondissements. À travers cette écriture survoltée et ardente, Nikolai Grozni porte un regard vibrant sur cette période sombre, ce laminage. Et donne la mesure d’un talent époustouflant, véritablement virtuose ».
Je découvre en cherchant le titre original que ce roman a été écrit en anglais et non en bulgare, mais l’auteur est bien né en Bulgarie même si il a étudié l’écriture aux Etats-Unis et où il a publié un essai basé sur ses quatre années passées dans un monastère bouddhiste en Inde. J’apprends également qu’il a appris le piano dès l’âge de quatre ans et a remporté son premier prix en tant que pianiste professionnel à dix ans. Intéressant, non ?
♥♥♥♥♥
Éditions 10-18, Wunderkind, trad. France Camus-Pichon, 408 pages
6 commentaires
OK, je cède, un pianiste, forcément ça m’attire! ^_^
oui tu ne peux qu’aimer ! la musique classique y est à l’honneur ! tu l’apprécieras énormément 😉
ça a l’air génial! (et j’adore la couverture…)
merci pour l’avertissement, comme ça, si je vois que je patine au début, je n’abandonnerai pas!
De rien je pense qu’il va te plaire ! Et l’écriture est magnifique et Le prix modique ( Poche)
Un thème qui ne m’attire pas du tout alors malgré le coup de cœur, je passe 😉
Pas de souci ! Je passe aussi mon tour chez toi
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