J’avais emporté quatre livres en Guadeloupe, et je me suis retrouvée à la fin de mon voyage sans aucune lecture. J’ai jeté mon dévolu sur ce livre de Poche, publié chez Babel. J’avais envie depuis fort longtemps de découvrir l’œuvre de Marilynne Robinson, et Gilead (traduit « Lila » en français) est souvent cité comme l’un de ses meilleurs romans.
Lila a été enlevée enfant à sa famille par Doll, une jeune vagabonde. Nous sommes en Amérique à l’époque où la Grande Dépression a jeté sur les routes des milliers d’indigents, familles ou individus solitaires. Doll s’attache à cet enfant chétif, peu bavard. Les deux rejoignent bientôt un groupe de vagabonds, dirigé par un homme autoritaire mais rassurant. Sur la route, la petite troupe trouve du travail en échange de quelques sous ou de nourriture. La vie est rude, la pauvreté est telle qu’elle a rendu tout le monde méfiant. Lila grandit tant bien que mal. Une année, les choses s’arrangent, Doll a trouvé un emploi et elles se sont installées dans un foyer. Lila va avoir la chance d’aller à l’école et apprendre à lire, mais Doll vit constamment dans la crainte d’être retrouvée par la famille biologique de Lila et préfère à nouveau fuir. Lila grandit et décide de prendre sa vie en main, Doll lui fait parfois peur, d’ailleurs cette dernière a de nouveau utilisée son couteau et tué un homme. Arrêtée par la police, Doll réussit à fuir, laissant Lila derrière elle. La jeune femme s’installe quelque temps dans une maison close mais se retrouve très vite déléguée à des tâches ménagères.
Elle arrive un soir à Gilead, une petite ville d’Iowa où elle fait la connaissance du révérend Ames. La jeune femme s’installe dans une maison abandonnée et retourne à l’église écouter les prêches. Le révérend la prend sous son aile et lui trouve des tâches à accomplir en échange de nourriture ou d’un peu d’argent. Lila a caché une belle somme d’argent sous les lattes du plancher de la maison abandonnée car elle a toujours le projet de prendre le train pour aller en Californie, après avoir retrouvé Doll, qu’elle espère toujours vivante. Mais quelque chose la retient : le Révérend.
Pourtant la jeune femme ne croit pas en Dieu, ses compagnons de voyage ont toujours nié son existence et les marques d’intérêt que le Révérend lui prodigue lui semblent suspectes. Toujours sur sa réserve, la jeune femme finit par accepter de dialoguer avec le vieil homme. Les mois passent et la jeune femme se laisse apprivoiser par ce veuf, dont l’épouse et l’enfant sont morts il y a fort longtemps.
Lila accepte alors d’épouser cet homme doux, mais austère, qui a l’âge d’être son père. Mais elle reste perpétuellement sur le qui-vive. Peu à peu, leurs dialogues délivrent la jeune femme silencieuse de cette peur qui la dévore et l’empêche de se poser depuis des années. Lila veut s’éduquer et leurs échanges tournent beaucoup autour des écrits religieux, de la Bible, et de certains thèmes comme le baptême, les limbes, les damnés …
Et peu à peu, Lila raconte son histoire à son époux et lui confie son inquiétude pour Doll. Celle-ci ayant tué un homme, sera-t-elle privée du paradis ?
Marilynne Robinson compose ici une très belle variation sur l’amour et la confiance. Elle démontre à quel point le dialogue peut désamorcer la majorité des conflits. Elle maîtrise parfaitement la langue, et si il ne passe pas grand chose dans la vie de Lila (excepté pour les années passées sur la route), elle crée à travers les dialogues de ces personnages, une sorte de monde parallèle où le lecteur est associé aux préoccupations spirituelles de la jeune femme. L’éditeur emploie le terme de « communion littéraire » et je suis d’accord.
Je dois être honnête sur un point : je ne suis pas croyante or ici la majorité de leurs échanges tourne autour de la spiritualité (le baptême, la culpabilité, l’enfer ..) et en particulier la religion protestante. Ce qui est formidable, c’est que le Révérend n’est pas dans une forme de prosélytisme à l’égard de son épouse, il tente de répondre à chacune de ses questions et sait avouer son ignorance ou ses propres questionnements quand il le faut.
Mais je dois avouer cependant que j’ai parfois accéléré ma lecture à certains passages que j’ai trouvés trop long et un peu ennuyeux – je crois qu’entendre parler exclusivement de Dieu a fini par me lasser. Reste un style littéraire extraordinaire, une lumière qui vous accompagne, une sensation d’être dans une bulle – un travail d’orfèvre réalisé par la romancière américaine. Un intense moment de lecture.
♥♥♥♥♥
Éditions Babel, Gilead, trad. Simon Baril, 368 pages
14 commentaires
ça fait longtemps que je veux lire cet auteur (c’est une trilogie non ?) mais si ça cause bcp de Dieu, je risque de ne pas trop aimer…
J’ignore si c’est une trilogie, je vais aller voir ça ! Effectivement, ça parle de Dieu mais l’auteur revient aussi longuement sur le parcours de Lila, qui se souvient de ces années sur la route, puis à cette école et enfin tout son passage dans la maison close, donc ça varie un peu mais oui, Dieu est très présent et comme toi, ce n’est pas ma tasse de thé – en même temps, j’aime beaucoup le postulat : mon amie ira-t-elle en enfer ? le Révérend est confronté à la réalité.
C’était mon deuxième de l’auteur, oui, c’est particulier, mais que c’est beau
Exactement ! Particulier mais très beau, elle écrit magnifiquement et on a vraiment l’impression d’être très proche de Lila. Je comprends mieux son succès !
Je connais l’oeuvre de Maryline Robinson et suis en accord avec ton analyse. L’omniprésence de la religion est quelques fois pesante comme souvent dans la littérature (et la vie !) américaine. Je ne suis pas croyante également mais on peut en faire abstraction à la lecture, une fois qu’on est habitué !
Oui, cela peut être pesant – ici c’est évidemment un des sujets du livre, fort heureusement il est traité avec subtilité – mais il vaux mieux être prévenu !
Magnifique billet, tant pour les yeux (ah, ces photos) que pour l’esprit.
Je suis prévenue et passe mon tour. J’avais déjà tenté le coup (les éditions Alto avait fait paraître la trilogie dans une très belle édition), mais n’avais pas pu faire abstraction de l’omniprésence de la religion…
Dis-moi, peut-il arrêter de neiger sur ton sublime blogue?! Je me prépare au pire ici, alors, si en plus il neige chez toi, je vais mourir étouffée! T’ai-je par ailleurs dit à quel point j’aime ton nouveau espace (sauf pour l’en-tête!)?! J’avais oublié de te dire que j’adore aussi l’espace Commentaires.
Tu n’aimes pas mes flocons ??? Ma pauvre … Ici, il a neigé partout sauf par chez moi (ouf!) – je trouve ça joli sur mon blog. Promis, une fois Noël passé, je l’enlèverai ! Merci encore pour tous tes compliments (bizarre votre obsession avec mon en-tête, si tu as des idées je suis preneuse, je sèche un peu..). Pour les photos, j’avoue que les photos en noir et blanc sont particulièrement belles sur ce thème, alors j’en profite !
Pour revenir au roman, je suis étonnée que tu passes ton tour, toi qui lis Oates – je pensais que tu avais déjà tout lu de Robinson 😉 Mais tu as raison sur l’omniprésence de la religion. Si cela domine tous ces romans, effectivement je vais hésiter à lire les autres…
Il est dans ma PAl depuis X time…
Je pense qu’il te plairait !
Merci pour la découverte, je ne connaissais pas l’auteure. Mais elle devra attendre… que je retrouve ma foi?? 😉
Ton commentaire me fait vraiment sourire 😉 Étant non croyante, je te comprends mais j’ai bien aimé le voir lui même se dépêtrer un peu dans ses croyances 🙂
Joli billet, mais moi aussi une trop forte présence de religion me gâche ma lecture. Je passe donc.
Oui, je pense qu’il peut dérouter par son discours – même s’il est bien tempéré par l’histoire de Lila.
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