Lecture commencée en 2017, le jour de Noël et terminée le premier jour de 2018 ! Et je ne pouvais pas être en meilleure compagnie qu’avec Ali Smith ! A nouveau la magie a opéré. Deuxième volume de son quartet saisonnier, Winter est un roman plus centré sur les relations familiales tout en s’attaquant aux récentes évolutions politiques de la Grande-Bretagne.
Ali Smith possède le talent unique de créer à partir d’un arbre des centaines de branches, elle réussit à aborder mille et un sujets sans jamais perdre son lecteur et elle possède un humour féroce. J’ai eu des fous rires et j’en ai encore en repensant à ces extraits. Ali Smith aime les mots, elle joue avec – elle prend des libertés avec la syntaxe, elle respecte la grammaire et l’orthographe mais elle réussit à faire « chanter les mots » – j’adore sa mélodie.
Dans ce deuxième volume, qui se passe en hiver, on suit (plus ou moins) le personnage de Sophia, une sexagénaire qui depuis quelque temps partage sa vie quotidienne avec la tête d’un enfant. Oui, la tête d’un enfant, un enfant aux cheveux bruns, plein de feuilles mortes, un visage d’angelot, nous confie Sofia. Elle ne possède pas de corps mais suit Sophia absolument partout. Celle-ci s’est peu à peu habituée à cette étrange compagnie silencieuse. A Londres, Arthur, surnommé Art, ne se remet pas de rupture avec sa petite amie, Charlotte. Celle-ci est très sensible à l’actualité, aux combats sociaux et est effondrée depuis le Brexit et la liberté de ton des extrémistes. Arthur ne pense jamais à la politique, il vit « en dehors de ça » – il aime à se penser écrivain et publie ses textes sur un blog intitulé « Art et Nature » . Charlotte se venge en piratant son compte twitter et en mentant à ses lecteurs. Invité à fêter Noël chez sa mère, déprimé, il décide sur un coup de tête de payer une jeune femme inconnue pour qu’elle joue le rôle de Charlotte. Mais Lux est unique et va chambouler la vie d’Arthur, et de sa mère, qui n’est autre que Sophia.
Sophia est nostalgique, elle pense souvent à sa jeunesse, ses heures passées avec sa soeur, Iris – un électron libre. C’est elle qui l’a poussé à faire les quatre cent coups. Mais tout a un prix et Iris est partie très jeune de la maison et s’est engagée dans tous les combats possibles, de mai 1968 à la lutte anti-nucléaire. Les deux soeurs se sont éloignées et sont aujourd’hui aux antipodes l’une de l’autre. Sophie est plutôt conservatrice, embourgeoisée, elle vit dans une immense demeure dans les Cornwall. Iris, de son côté, continue de dormir à même le sol et à s’engager dans les nouveaux combats, comme les naufragés en Méditerranée. Vingt ans qu’elles ne se voient plus, mais ce Noël va tout changer.
And now for our entertainment when we want humiliation we »ve got reality TV instead, Iris says. And soon instead of reality TV we’ll have the President of the United States. She holds out an iPad to Art.
Thought you should see your latest tweet, she says. According to your feed you’ve just told 16,000 people that a bird that’s usually only resident in Canada’s been seen in a rare sighting today of the coast of Cornwall.
Ali Smith fait de ces quatre personnages des êtres extrêmement attachants, comme chez Tessa Hadley, on retrouve une profonde admiration pour l’esprit humain et ses qualités comme la résilience, la compassion ou la bonté tout en s’amusant de nos défauts. Cette lecture était tout simplement délicieuse, mais pas uniquement.
Ce que j’ai adoré ici c’est la montée en puissance, comme dans Autumn. Plus on tourne les pages, plus on se régale ! Et le final est grandiose. Et ici, on rit ! Et puis Ali Smith n’épargne personne, elle peut être féroce et en particulier envers les extrémistes, les pro-Brexit et le Président américain qui en prend pour son grade. Ces instants sont jouissifs. Les dialogues entre les deux soeurs sont de grands moments dans le roman. Leur relation ressemble aux montagnes russes.
L’esprit ailleurs, j’ai eu peur de m’engager dans ce roman, peur d’être déçue. Les premiers avis sont dithyrambiques et j’avais peur de ne pas faire partie de ce groupe. Certains le préfèrent au premier volume. Pour moi, les deux se complètent. J’apprécie que contrairement à d’autres auteurs, Ali Smith réussit à maintenir le rythme et à nous embarquer à nouveau dans son univers, si particulier. Ali Smith n’appartient à aucun cercle d’auteurs, en y repensant, il a d’Ali chez les deux femmes, Sophia pour son côté fou qu’elle cache à tous (avec une verve incroyable) et Iris, pour son côté, esprit libre et ludique.
There will soon almost always be holes in the fence, as many holes as there are new songs coined and sung by the protesters.(…) There’s a hole in your fence, dear Major, dear Major. Then fix it, dear Private. But the women are cutting it, dear Major, dear Major. Then arrest them, dear Private. But that doesn’t stop them, dear Major, dear Major. Then shoot them, dear Private. But the women are singing, dear Major, dear Major.
Si dans son premier roman, Ali Smith se montrait à l’écoute du peuple britannique, pro ou anti Brexit – ici elle est beaucoup plus acide dans ses propos (à travers la voix d’Iris) et elle est très proche de l’actualité, puisqu’elle évoque cette tour en feu et ce nombre effrayant de victimes. Il s’agit de la tour Grenfell qui a fait 79 victimes le 14 juin 2017. Elle ne laisse jamais le lecteur se reposer, comme dans Autumn, nous sommes acteurs de ce livre. J’aime beaucoup la manière subtile de dénoncer notre protectionisme en montrant le regard de Sophia évolué à propos de Lux/Charlotte, en apprenant que la jeune femme n’est pas Anglaise. Comment une étrangère peut-elle s’exprimer dans un anglais presque parfait ? et comment peut-elle en savoir autant sur Shakespeare ?
Mais au final, Ali Smith nous prouve que 4 personnes, étrangères (d’un jour ou de vingt ans) peuvent finalement passer Noël ensemble et entonner une chanson étrange. L’auteur rend hommage dans son premier chapitre au Christmas Carol de Charles Dickens et elle le fait magnifiquement.
J’aime beaucoup la critique du journal anglais, The Observer : « Un roman d’une grande férocité, de tendresse, d’une colère juste et d’une générosité d’esprit dans laquelle Dickens se serait sans aucun doute reconnu. Winter est d’une beauté lumineuse, spécialement lorsque les infos se mélangent à l’histoire récente et ancienne, un rappel que tout dans nos vies est cyclique. Il y a du pardon, des chants, et des semblants de solution comiques, mais l’image persistante est celle de la nature et de la lumière, immuables ».
J’espère que les éditions L’Olivier, qui ont publié déjà 5 de ses romans, sont à la tâche pour traduire ce quartet 😉
♥♥♥♥♥
Editions Hamish Hamilton, 2017, 336 pages
6 commentaires
Tu t’en doutes bien, j’attends les traductions! Contrairement à Ferrante, je veux absolument lire ce quartet!
Oui, elle va te plaire ! ça n’a rien à voir avec Ferrante – Ali Smith est une magicienne des mots, elle les fait chanter et nous met surtout de bonne humeur et nous fait rire ! Je ne peux pas imaginer qu’ils ne soient pas traduits rapidement !
Les romans sont assez indépendants? (pour les deux sortis)
Oui ! Il n’y pas de personnages communs. Tu peux les lire indépendamment
J’entends souvent parler de cette auteur et je n’ai jamais pris le temps de la découvrir. Je ne sais vraiment pas ce que j’attends !
Mais oui ? Qu’attends-tu ?! J’achète tous ses livres
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