1961 – après avoir vu La vérité de Clouzot, inspiré de sa vie et dans lequel Brigitte Bardot incarne son rôle de meurtrière, Pauline Dubuisson fuit la France et s’exile au Maroc sous un faux nom. Lorsque Jean la demande en mariage, il ne sait rien de son passé. Il ne sait pas non plus que le destin oblige Pauline à revivre la même situation qui, dix ans plus tôt, l’avait conduite au crime. Choisira-t-elle de se taire ou de dire la vérité ?
C’est en voyant un reportage (sur Arte sans doute) que j’ai eu très envie de lire la biographie d’une jeune femme, qui dans sa courte existence, fut condamnée à mort à trois reprises et dont un film condamna définitivement la jeune femme à l’exclusion à perpétuité.
Jean-Luc Seigle livre ici un roman à la première personne passionnant et passionné. Pauline Dubuisson avait entrepris à son arrivée à Essaouira de tenir un journal et d’y raconter par bribes sa vie. Une écriture petite et serrée nous dit-il, des milliers de mots posés à plat sur des feuilles. Ces témoignages intimes, retrouvés à sa mort, ont malheureusement disparu et Seigle a décidé ici de les réécrire et de redonner une voix à une jeune femme les plus méprisées et haïes de France.
Je connaissais l’adaptation cinématographique d’Henri-Georges Clouzot avec dans le rôle de Pauline, la très belle Brigitte Bardot. Le film sorti en 1960 revenait sur un des faits divers les plus marquants de l’après-guerre : une jeune étudiante en médecine, âgée de 20 ans, avait tué son ex fiancé, Félix Bailly au petit matin puis avait tenté, sans succès de se suicider. Arrêtée, emprisonnée, elle avait toujours refusé de témoigner sur ce qui s’était passé cette nuit-là et avait uniquement pris la parole au procès, lasse de toute cette comédie, pour dire que c’était un acte prémédité. Son suicide l’était, mais pas le meurtre de Félix. Le Procureur avait réclamé la peine de mort. Elle n’aura la vie sauve qu’à une voix contre douze.
Seigle vous ramène alors à Dunkerque, où la petite Pauline grandit, entourée de trois frères et d’un père qu’elle vénère et d’une mère, très pieuse, qui lui fait peur. Pauline est en totale admiration devant son père, et même lorsque celui-ci l’emmène à la chasse dès ses sept ans, alors qu’elle est choquée par tout ce sang et cette violence, ne dit rien de peur de perdre l’admiration de cet anciens héros de guerre, grand patron qui montre peu de sentiments. Celui-ci devient un fervent admirateur de Pétain lors de l’invasion allemande, même avec la mort soudaine de ses deux fils ainés. Sa mère, pieuse, s’enferme dans une douleur immense et ne quitte plus sa chambre. Le père ne voit qu’au travers des yeux de sa femme et Pauline n’est qu’un jouet qui devient infréquentable lorsqu’elle a ses règles à l’âge de onze ans. La jeune fille, déboussolée et en manque d’amour découvre alors le sexe, à peine âgée de quatorze ans et est renvoyée de l’école. Ce père, si strict et froid va alors lui faire cours à domicile pendant un an, lui permettant d’obtenir l’équivalent du bac à l’âge de seize ans. Mais sa mère refuse de laisser partir sa fille à Lille, en faculté de médecine. Le père, qui fricote avec l’ennemi, lui trouve alors un poste d’infirmière à l’hôpital de Dunkerque auprès des allemands. Il signe là, sans le savoir, l’arrêt de mort de sa fille, et le sien.
Pauline, jeune femme timide, mais très belle, à la sexualité déjà épanouie ne laissera pas indifférente le médecin-chef allemand et deviendra sa maitresse en échange de viande et de laitages. La libération en août 1944 signera alors son arrêt de mort. Arrêtée par « ces tous nouveaux résistants », ceux qui se sont soudain réveillés une fois la ville libérée, elle est battue, tondue, jetée en pâture aux civils enragés, puis jugée et condamnée à mort. Elle subit alors un viol collectif et n’aura la vie sauve que grâce à ce père, toujours lui.
Pauline est jeune, et déjà une coquille vide – pourtant la vie lui sourit à nouveau, lorsque quatre ans plus tard, à la faculté de médecine, elle croise le chemin d’un bel étudiant en médecine, Félix Bailly. Fils d’une famille bourgeoise catholique, il ignore tout du passé de la jeune étudiante protestante. Pauline n’a jamais osé parler de ces années terribles qu’elle veut oublier. Pauline choisit de lui raconter. Et la vérité viendra ici tout briser, et viendra à nouveau tout briser encore et encore.
Octobre 1945. Je quittai Dunkerque et ma famille pour Lille, où personne ne me connaissait et où je ne connaissais que les fantômes d’une autre guerre. Aucun sentiment de liberté pour autant, parce qu’on ne peut pas être libre quand on est tout entière enfermée dans le secret et la honte. Mes études de médecine étaient devenues une obsession. Seule ma réussite m’apparut comme une preuve incontestable de ma rédemption.
J’ai dévoré ce roman à la première personne, plongeant avec Pauline dans ces années troubles, au milieu de cette famille dysfonctionnelle et de cette France qui ne veut pas pardonner. Et puis j’ai repensé au film qui viendra porter le coup de grâce presque dix ans après. Clouzot y reprenait la hargne, la haine déversée par l’avocat des parties civiles en qualifiant Pauline « d’infâme, d’orgueilleuse sanguinaire« . Le refus de Pauline de témoigner, d’expliquer pourquoi elle n’avait pas failli devant les cadavres à la faculté (n’avait-elle pas travaillé un an dans un hôpital allemand ?) ou pourquoi elle avait tiré sur l’homme de sa vie, celui auquel elle avait tout donné et qui lui avait tout repris en une nuit, en une phrase. Un témoignage bouleversant.
J’ai eu si peur de ce procès que j’ai pensé pouvoir m’y soustraire en faisant une nouvelle tentative de suicide la veille de son ouverture. Ma troisième tentative. J’ai été sauvée de justesse. Je ne suis donc apparue à mon procès que le deuxième jour, et maître Floriot, (…) m’a lancé la phrase que tous les journaux ont célébré le lendemain : « Alors, si je comprends bien mademoiselle Dubuisson, vous ratez tous vos suicides et ne vous réussissez que vos meurtres! ».
Pourtant, je dois avouer, que rendue à la moitié du livre, j’ai eu une pensée pour la victime – il n’y est que légèrement abordé, sait-on juste son nom – puis fort heureusement Seigle revient alors sur cette nuit terrible où tout bascula. Sur cette culpabilité, son père s’est suicidé en apprenant son arrestation et sur le pardon impossible à demander. Puis Seigle reviendra sur la libération et l’horreur, l’indescriptible.
Et la solitude de cette jeune femme, abandonnée de tous, sauf par sa mère – dont le film la pousse à l’exil – jamais n’aura-t-elle droit, même après avoir purgé une peine de prison, à une seconde chance. Poursuivie, Pauline se retranchera loin des hommes qui lui auront tout pris.
Seigle livre ici un journal intime où se mêlent les « silences, rêves et souffrances » de Pauline. L’émotion est palpable à chaque page. Le lecteur se glisse ainsi dans la tête de cette femme, très jeune, symbole d’une autre France d’après-guerre qui broyait toute velléité ou toute tentative d’émancipation. Un très beau livre.
♥♥♥♥♥
Jean-Luc Seigle, je vous écris dans le noir, Flammarion, 233 pages
14 commentaires
Oui c’est un très beau roman… J’avais été frappée par le fait qu’on s’est acharné sur Pauline aussi parce qu’elle était une femme, l’opinion publique aurait été eauxoup plus indulgente si elle avait été un homme.
Je suis curieuse de lire ce que Jaenada a fait de la même histoire.
Oui, je pense aussi comme toi qu’être une femme « aux moeurs légères » et « attirante » lui a été fatale. Ce n’est pas un hasard si Clouzot a choisi BB pour son côté sulfureux …
Moi aussi je suis curieuse de lire « La petite femelle » de Jaenada – mais j’attends un peu car pour l’instant j’ai encore en tête les mots de Seigle.
Je veux le lire celui là ! Il est sur ma LAL, tu me le remets en mémoire.
De rien ! Il est très beau 😉 Bonne lecture !
C’est un très beau livre, je te conseille La petite femelle de Philippe Jaenada sur la même femme mais avec une approche différente 🙂
Oui mais dans quelque temps car j’ai encore une image très précise 😉
j’ai toujours détesté et le mot n’est pas assez fort, l’épisode des femmes tondues, si elles étaient coupables de collaboration elles méritaient un procès, je peux même comprends même le geste de colère qui va jusqu’au meurtre , mais la tonte des femmes s’apparente aux mœurs de Daesh qui nous choquent tant aujourd’hui.
Et pour son cas, suivi d’un viol ! Et elle avait 16 ans à peine … La vie ne lui aura rien épargné.
Beaucoup d’avis très positifs sur ce texte, je vais finir par craquer.
Craque !
Je ne peux que te le conseiller 😉
J’en ai lu beaucoup de bien sur les blogs et j’avais aimé « En vieillissant les hommes pleurent », du même auteur. Je pense lire ce titre aussi, ce destin de femme a l’air terrible !
Oui il est terrible – la vie ne lui a offert aucun repos. C’est même difficile de croire que ça peut arriver. Un très beau roman. Je vais me renseigner sur le roman que tu cites car j’ai bien aimé son style d’écriture.
Il doit être vraiment très intéressant ce roman, mais je ne sais s’il est fait pour moi…
Je viens de lire ton billet sur « réparer les vivants » que j’avais adoré !
Je pense que tu aimerais ce livre, il est très bien écrit et avec suffisamment de « distance » pour ne pas tomber dans le pathos, ce qui serait aisé vu la vie de l’héroïne. Il fait réfléchir à sa propre vie, aurait-on eu la force de recommencer ? de repartir à zéro ?
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