Ma première lecture en tant que jurée du challenge du Meilleur Polar de Points fut celle de l’histoire de Mary Bell, une petite anglaise, condamnée pour le meurtre en 1968 de deux petits garçons. Mary venait tout juste de fêter ses onze ans lorsqu’elle fut reconnue coupable et envoyée pour une période de temps indéterminée en prison.
Gitta Sereny avait découvert l’existence de cette petite fille lors de son arrestation, et avait assisté à son procès – avant de la rencontrer et de publier un premier livre à son sujet. Ce livre mettait en avant l’éducation de Mary, et en particulier le rôle néfaste de sa mère, Betty.
La journaliste a obtenu finalement de rencontrer à nouveau Mary – alors jeune maman d’une petite fille, libérée de prison depuis plus de dix ans ans et dont la mère vient de décéder récemment. C’est un long travail qui s’engage alors entre les deux femmes – celle-ci a vécu depuis sous une nouvelle identité, qu’elle a du changer à plusieurs reprises, les médias n’ayant cesse de la retrouver. Mary ne veut plus être poursuivie, et tente, avec son dernier compagnon (elle a quitté le père de sa fille) de mener une vie « normale ». Mais comment peut-on réussir quand on a été l’enfant la plus haïe du pays ? Surnommée l’enfant du Diable, l’Angleterre a découvert ce visage tout doux lors de son procès – à l’époque le juge avait non seulement jugé l’enfant apte à être jugée en tant qu’adulte, mais n’avait pas imposé le huit-clos, ni l’anonymat de l’accusée. Le résultat est effrayant : Mary est devenue la bête à abattre.
Où le travail de Gitta Sereny est passionnant, c’est que la journaliste réussit à recréer le puzzle de la vie de Mary Bell – la jeune femme apprendra ainsi les tentatives d’assassinat dont elle fut victime, sa mère ne voulant pas de cet enfant, né alors qu’elle n’avait pas dix-huit ans et dont elle refusera à vie de révéler le nom du père. Son beau-père, M.Bell, sera aimant mais ne viendra plus la voir une fois envoyée en prison pour majeurs.
Mary est l’ainée d’une famille de quatre enfants, qui vit chichement dans un quartier populaire de Newcastle Upon Tyne. A l’époque, les enfants sont délaissés par leur mère – Betty part en effet chaque matin pour Glasgow faire le trottoir et laisse seuls ses enfants. La petite Mary trouve en une autre petite fille, Norma Bell (pas de lien de parenté), la compagne parfaite de jeux. Les enfants passent leurs journées à courir les rues, aller de jardin en jardin, s’inviter chez leurs tantes et oncles – et surtout aiment s’aventurer dans ses propriétés délaissées, vouées à une prochaine démolition. Ainsi, les parents des deux futures victimes ne les surveillent pas, laissant le soin aux autres enfants du quartier de les « promener ». Chose impensable aujourd’hui (ils avaient 3 et 4 ans).
Mary est clairement une enfant délaissée – elle doit, du haut de ses dix ans, veiller sur ses frères et sœurs, tout en tenant de vivre une vie normale. Elle nourrit un certain ressentiment envers sa mère et les familles plus aimantes, dont celle de sa meilleure amie. Leur vie bascule lorsque le corps du petit Martin est retrouvé un matin. L’enfant de quatre ans a été étranglé et son corps a été mutilé. Le médecin légiste fait alors le lien avec un autre enfant, retrouvé mort dans les mêmes circonstances, à peine un mois plus tôt. Le livre raconte alors l’enquête menée par la police et l’arrestation de Mary et de Norma.
L’enquête, menée en 1968, ne s’attarde pas sur les conditions de vie ou l’enfance de Mary – les médias britanniques veulent sa tête, tant pis si elle a tout juste onze ans. Quand Mary, plus de vingt ans après les faits, tente de se réapproprier son histoire – elle ne souhaite en aucun cas s’exonérer de ses actes. Elle croyait fermement que les enfants n’étaient « pas morts pour de vrai » – elle ne mesurait en aucun cas la portée de ses actes.
Une fois sortie de prison, son secret (son identité a été changée et la loi autorisant ce type de procédure est appelé « Loi Mary Bell« ) ne sera pas gardé bien longtemps, sa mère revendant sa nouvelle adresse contre quelques billets. Car chose étrange, Mary est retournée chez Betty rapidement après sa sortie de prison – la jeune femme est perdue dans ce monde où elle ne peut plus porter son nom. Sa mère lui demande d’ailleurs de prétendre être une amie ou la fille d’une amie mais en aucun cas sa fille, car « faute à elle, sa vie est devenue un enfer ».
Le témoignage de Mary dans ce récit est pour moi essentiel, car il montre le très long cheminement qu’il a fallu à cette femme pour assumer ses actes et plus récemment son identité (désormais âgée de 58 ans, elle a refusé un énième changement de nom).
Le récit détaillé de ses actes, le sourire de cet enfant au policier le jour de l’enterrement d’une des victimes, peut à certains moments être effrayant mais on s’attache ici à rappeler son âge : dix ans, et à l’incapacité pour elle de comprendre la globalité de ses actes et leur finalité. Enfin, ce récit est un procès cinglant pour la justice britannique et démontre ici l’impossibilité pour les accusés mineurs de retrouver une vie normale une fois leur photo et identité données en pâture aux médias. Enfin, point positif : si le récit rappelle sans cesse que si Mary fut une « victime » du système judiciaire britannique, de sa mère qui l’a abusée de mille manières, il n’oublie jamais les deux petits garçons : Martin Brown (4 ans), et Brian Howe (3 ans).
♥♥♥
Editions Points, Policier, trad. Géraldine Barbe, 497 pages
12 commentaires
Quelle histoire ! tu m’as donné envie d’en savoir plus !
Elle en vaut la peine ! oui – une histoire troublante mais passionnante et une réflexion très pertinente sur le système judiciaire 🙂
Pfffffiouuu, sujet très marrant, dis donc…
J’avais déjà vu ce titre sur le blog d’une amie qui est aussi jurée du challenge du Meilleur Polar de Points et son avis m’avait séduite. (http://www.maghily.be/2016/07/prix-polar-points-2016-premiere-fournee/)
À voir!
oui pas très marrant ! et même un peu glaçant au départ mais ensuite on est dans une véritable investigation journalistique et là ça marche ! 🙂
Et dire que j’ai eu droit à ce billet en live! Et dire qu’il est au chaud dans ma bibliothèque. Je le vois quand je tourne la tête… Je vais peut-être le changer de place?!
ah oui c’est vrai que tu m’as regardé l’écrire … tu es la seule à m’avoir jamais vue écrire une chronique ! à toi de voir …. tu es prévenue !
Waouh, quelle affaire ! Je n’en avais jamais entendu parler avant aujourd’hui…
A défaut de lire le livre, j’aurais au moins découvert cette affaire bien affreuse !
oui ! moi aussi, je connaissais l’histoire des 2 garçons plus récente mais pas celle-ci…
C’est un roman qui pourrait très certainement me plaire, et ton avis me donne encore plus envie de le découvrir ! 🙂
ah super ! il se lit très bien et c’est vrai que le sujet est vraiment passionnant !
Vu comment Mary Bell a été délaissée et maltraitée, je ne comprends pas le titre français (comme toujours). Je me souviens d’en avoir « entendu » parler parce que son affaire avait inspiré un épisode de Law & Order. En tout cas je note. Peut-être un jour.
le titre français a un sens au contraire – tout le monde en la voyant était étonné qu’une « si jolie petite fille » ait pu commettre quelque chose d’aussi atroce … ce n’est pas lié à son passé (traumatisant) …
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