Il était temps pour moi de retourner dans l’Ouest sauvage ! Et c’est chose faite avec ce western crépusculaire qu’est Animaux solitaires. Ce roman était dans ma pile à lire depuis fort longtemps. Nous ne sommes pas tout à fait à l’époque où l’Ouest est encore sauvage puisque l’action se déroule en 1932 et les premières automobiles se fraient plusieurs fois un chemin dans ce roman mais le comté d’Okanogan, dans l’état de Washington, demeure encore profondément sauvage et lorsque la dépouille d’un Indien, affreusement mutilée, est retrouvée, les vieux démons réapparaissent.
La traque de ce tueur d’Indiens sera celle de Russell Strawl, un ancien officier de police, lui-même soupçonné de ces atrocités mais la police a besoin d’un homme qui connaît les lieux et surtout connaît ces vallées sauvages et ces hommes et femmes, indiens, qui les peuplent. Ces vallées où les progrès du 20ème siècle n’ont pas encore réussi à venir bousculer leur mode de vie, malgré la construction d’un grand barrage sur la Columbia, promesse non tenue du New Deal. Des hommes et femmes longtemps pourchassés par l’homme blanc, installés dans ces réserves comme les Nez Percé ou comme cet Indien, L’homme Chien qui vit seul loin de tout. Russell doit partir à leur rencontre afin de comprendre d’où vient cet assassin qui mutile atrocement ses victimes avant de disséminer leurs membres comme des trophées.
Les limites des propriétés et les frontières entre comtés ou contrées restaient des rumeurs. Personne ne savait où le Nord commençait ni où il finissait, mais tout le monde était sûr qu’on y trouvait tout ce que les Blancs redoutaient et le peu qu’il leur restait encore à comprendre
Dans sa quête, Russell croise de vieux fantômes, de sa vie passée – celle d’un homme violent, d’un homme qui tuait sans sourciller. Et peu à peu, on découvre les secrets qui entourent son passé et sa famille. Ici se croisent les hors-la-loi, les anciens chercheurs d’or, les Indiens qui après des années de christianisation forcées ont perdu leurs repères, et continuent malgré les interdictions, à prier leurs dieux. Et Russell ne cesse de croiser ces âmes perdues, ces animaux solitaires. N’en fait-il pas lui même partie ?
Un roman noir où le héros n’a rien d’un héros, mais tout l’inverse. En reprenant cette enquête, il remonte le temps, lui ancien officier pour l’armée américaine, Indien métis qui a trahi les siens, et qui n’a jamais eu peur d’utiliser son arme. Un tableau de chasse impressionnant. Et des cadavres, il va encore en semer. A force de côtoyer la grande faucheuse, il sait que celle-ci attend son heure. Elle l’accompagne, nuit et jour. Dans ses rêves, dans son corps meurtri, vieillissant. Elle attend sagement son heure.
Bruce Holbert signe un premier roman puissant mais terriblement sombre, qui prend parfois des allures de conte mystique, comme autour du personnage de L’homme Chien, où les croyances indiennes reprennent vie comme pour les Stick Indians (croyance indienne répandue chez les tribus du Nord-Ouest à propos de ces esprits malveillants et parfois anthropophages).
L’auteur américain nous offre ici « un monde où il n’y a pas de justice mais des châtiments » , un monde qui parfois apparaît comme peuplé de zombies – ces Indiens à qui on a absolument tout pris et qui errent sur Terre, âmes esseulées en quête de rédemption. Cette série de crimes vient soudainement réveiller en eux ces croyances enfouies.
J’ai aimé ce roman noir, très proche du western, même si j’avoue : il faut avoir les nerfs solides car la violence est particulièrement présente, sordide et jamais l’auteur ne cherche à l’atténuer ou à éviter au lecteur d’entrer dans le vif du sujet.
J’ai au début quelques difficultés avec le style de l’auteur, je m’y suis habituée, mais ce lyrisme a failli j’avoue, me détourner de l’histoire. Or pour moi le style doit servir l’histoire, et non l’inverse. Certains lecteurs lui reprochent certaines longueurs, ce ne fut pas mon cas. Autre « bémol » : j’ai deviné assez vite l’identité de l’assassin, mais ce n’est pas tant un thriller qu’une quête personnelle, identitaire pour le héros aussi ce n’est pas très grave.
L’auteur a grandi dans ces montagnes et s’est inspiré de son propre passé. Son arrière-grand-père, Indien métis était un éclaireur pour l’armée américaine respecté, jusqu’au jour où il assassina son gendre, le grand-père maternel de Bruce Holbert.
J’ai à présent envie de découvrir son deuxième roman, L’heure de plomb.
♥♥♥♥♥
Editions Gallmeister, Lonesome Animals, trad.Jean-Paul Gratias, 360 pages
10 commentaires
Je crois l’avoir abandonné en cours de route à cause de son côté sombre, si je me souviens bien !
oui son côté sombre peut rebuter effectivement
Contrairement à toi, j’ai commencé par « L’Heure de plomb » et je ne vais pas te surprendre en disant qu’il n’est pas trop optimiste non plus. C’est une voix singulière mais puissante, amplifiée pour moi par le fait que j’ai rencontré Bruce Holbert et que j’ai pu poser beaucoup de questions…et obtenu beaucoup de réponses. Il a été particulièrement surpris par l’écho de ses romans en France et s’en est vraiment réjoui ! Il évoque d’ailleurs Camus dans le roman…
Je venais de lire « Le Bon frère » de Chris Offutt ( Totem, Gallmeister) et trouvais une certaine proximité avec « L’Heure de plomb ». Ils se connaissent du reste assez bien.
J’ai aimé aussi qu’il évoque Emily Dickinson, ses poèmes sont en permanence sur ma table !
Voilà…il me reste à lire « Animaux solitaires » mais je sais déjà à quoi m’en tenir !
Oui, j’ai rencontré plusieurs auteurs américains, souvent originaires de l’Ouest qui sont surpris de l’accueil réservé en France – ils sont totalement inconnus chez eux et reconnus ici 🙂
J’ai aussi Offutt dans ma PàL … qui déborde ! Effectivement c’est sombre, moins lumineux que d’autres auteurs mais la part accordée aux croyances indiennes vaut son pesant d’or !
Il a tout pour me plaire mais tu as quand même de sacrés bémols je trouve.
oui mais mes bémols n’en sont pas pour toi, si tu as aimé Illska ! je pense qu’il te conviendra !
Violence? Hum. Je retourne à mes englisheries grand teint.
ah oui, on est loin de la porcelaine des tasses de thé ! Violence, pas vraiment – une ou deux scènes, c’est surtout dans la description des sévices infligées aux victimes, mais ça n’occupe pas tout le roman.
Il m’attends dans ma pal, de même que « L’heure de plomb ». Ils attendront un peu plus longtemps!
c’est vrai ? je pense que je vais préférer « l’heure de plomb » vu le sujet, si je m’en souviens bien. Il a un style à part des autres auteurs. Dur noir, mais sans l’humour qui parfois permet à la pression de s’échapper.
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