LaRose ∴ Louise Erdrich

par Electra
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Dakota du Nord, 1999. Un vent glacial souffle sur la plaine et le ciel, d’un gris acier, recouvre les champs nus d’un linceul. Ici, des coutumes immémoriales marquent le passage des saisons, et c’est la chasse au cerf qui annonce l’entrée dans l’automne. Landreaux Iron, un Indien Ojibwé, est impatient d’honorer la tradition. Sûr de son coup, il vise et tire. Et tandis que l’animal continue de courir sous ses yeux, un enfant s’effondre. Dusty, le fils de son ami et voisin Peter Ravich, avait cinq ans.

Ainsi débute le nouveau roman de Louise Erdrich – en l’espace de deux pages, la vie de deux familles est brisée et à jamais changée. Louise Erdrich rend ici un profond hommage à ses racines indiennes. Car c’est en partant des récits de ses aïeuls qu’elle a eu l’idée de ce roman, celle d’une ancienne coutume ancienne Ojibwé en vertu de laquelle Landreaux donne LaRose, son plus jeune fils, aux parents en deuil.

Une décision maladroite, profondément généreuse mais aux conséquences terribles. Nola, la mère du petit Dusty, ne sait que faire de ce petit garçon, qui jouait avec son fils (ils ont le même âge) mais qui ne lui ressemble pas. Emmeline, la mère de LaRose en veut profondément à son époux d’avoir fait ce choix. Et LaRose ? Le petit garçon n’a pas été consulté et vit comme une trahison et une déchirure la décision de ses parents. Il le vit très mal et déprime.  Maggie, la fille ainée des Ravich, une gamine de onze ans ne sait que faire de ce nouveau frère. Face à la douleur et la souffrance de LaRose, les Iron et les Ravich décident de se partager l’enfant – celui-ci ira chez les uns et les autres. Voisins, il sera « déposé » par ses parents ou ses frères et sœurs et ramené aussi discrètement par son nouveau « père ».

La première famille au complet – bébés, mères, oncles, enfants, tantes, grands-parents – avait transmis la tuberculose, la diphtérie, le chagrin, l’inévitable thé, les histoires magiques, grivoises, hilarantes et sacrées.

Mais LaRose n’est pas un enfant comme les autres – son prénom inhabituel, il le doit à ses aïeuls. Il est la sixième génération à porter ce nom, et le premier garçon. La première LaRose était une jeune indienne Ojibwé, élevée par une mère sauvage et mystique, tuée par son maître, un horrible trafiquant de fourrures. LaRose sera sauvée par un trappeur qui l’enverra dans un pensionnat tenu par des missionnaires. A son retour, la jeune femme, fera tomber le corset, les chaussures et épousera cet homme doux et aimant. Ils auront des enfants, dont une fille, une autre LaRose. Chaque génération est dotée d’un pouvoir unique : celui de voler. Se détacher de son corps et pouvoir voler et regarder autour de soi, mais aussi voir les anciens, les disparus.

Et le petit dernier n’y fait pas exception. Il sait que Dusty est toujours là, à ses côtés. Les années vont passer, les enfants grandissent et les plaies cicatrisent. Longtemps, Nola, dépressive, songera au suicide mais un jour quelque chose en elle changera. Idem pour Roméo, le père naturel de Hollis, adopté par Landreaux Iron, enfant. Roméo cultive depuis une haine envers son premier ami. En 1969, les deux garçons étaient envoyés au pensionnat comme tous les enfants indiens. Roméo, trouvé seul dans la réserve, n’avait aucune famille alors lorsque Landreaux devient son ami, il s’y accroche désespérément. Mais Landreaux hait le pensionnat , l’enfermement. Il veut pouvoir être libre et il persuade Roméo de le suivre dans sa fuite. Leur aventure finira mal et Roméo en sera toujours blessé. Lorsqu’il apprend que Landreaux a été exonéré de toute poursuite pour la mort du petit Dusty, toujours aigri et jaloux, il décide de s’employer à punir Landreaux.

Louise Erdrich dresse un portrait magnifique de l’ensemble des personnages, de ceux comme Landreaux, écrasé par la culpabilité, de ceux dévoré par la colère comme Nola, Roméo ou Maggie, de ceux qui se cherchent comme le Père Travis ou Peter Ravich. Des personnages magnifiques qui ressentent des sentiments universels et ploient parfois sous leurs poids.  Louise Erdrich décide d’explorer dans ce roman les notions de pardon, de justice. De rédemption. Et leurs pouvoirs.  Ses personnages ont été malmenés par la vie, par leur statut d’êtres inférieurs, « les sauvages » comme le disent les livres qu’ils ou elles lisent au pensionnat. La romancière cite Frank Baum (le créateur d’Alice au Pays des Merveilles) et ses textes encourageant à l’extinction de tous les indiens. Le racisme ambiant, les ravages de la drogue, de la misère et de l’alcool.

J’ai écrit notre nom partout, dit LaRose à sa mère. LaRose, LaRose, LaRose à l’infini. J’ai écrit mon nom dans des endroits cachés que personne ne verra jamais. Je l’ai fait pour nous toutes.

Mais elle y oppose leur formidable instinct de survie, leur générosité, leur entraide, leurs facultés à guérir et à surmonter les obstacles. Landreaux et Emmeline se sont aimés sur fond de drogue et d’alcool, mais lorsque leur ainée, Josette est née, minuscule, ils ont tout arrêté et décidé de suivre les coutumes Ojibwé. En adoptant Hellis et en ayant trois autres enfants, ils ont su mêler modernité et coutumes. Ils ont enseigné à leurs enfants les croyances mais aussi le tissage, la chasse, la sculpture. Kinésithérapeute, Leandraux s’occupe des anciens de la réserve qui le soutiennent. J’adore les passages où il rend visite à ce vieux couple. J’ai eu l’impression d’être assise à leur table, une tasse de café brûlant à la main. Le Père Travis, vétéran de la guerre d’Irak, écoute Nola et Emmeline, sans jamais les juger, ni condamner leurs croyances païennes. Un homme d’une bonté profonde et qui va amplement participer à leur salut et au sien. J’ai pensé à eux tous ces jours où je lisais le roman, à la rage qui dévore Nola, à la tristesse d’Emmeline, à la quête existentielle de Roméo. Ils sont encore .

J’ai adoré ce roman et la puissance des mots et des sentiments que Louise Erdrich réussit à véhiculer. On souffre avec ses deux familles et leurs enfants. J’ai adoré les portraits très réalistes des adolescents, de leur cruauté mais aussi de leur profonde générosité. La fragilité de leurs parents, élevés dans des pensionnats, qui tentent d’inculquer à leurs enfants une culture dont ils ont été eux-même privés. Les personnages vous émeuvent, il est impossible d’en haïr un seul, car même leur haine est symbole de leur douleur. J’ai aimé la grâce qui se dégage de ces personnages et l’espoir que ce roman offre.

Louise Erdrich est une magnifique conteuse et ce roman est magistral. A lire d’urgence !

J’ai lu ce roman dans le cadre du challenge Nation Indienne en 12 lectures et du challenge 50 états 50 romans, Etat du Dakota du Nord.

 

♥♥♥♥♥

Editions Albin Michel, Coll.Terres d’Amérique, trad. Isabelle Reinbarez, 2018, 528 pages

Et pourquoi pas

36 commentaires

keisha 24 janvier 2018 - 8 h 43 min

Mais quelle histoire!!! j’ai lu pas mal de romans de l’auteur (elle a aussi écrit des nouvelles… ^_^)

Electra 24 janvier 2018 - 8 h 44 min

Oui et quel talent ! Impressionnant

Folavril 24 janvier 2018 - 12 h 14 min

Très envie de découvrir son nouveau roman!

Electra 24 janvier 2018 - 12 h 29 min

Il le faut !

Jerome 24 janvier 2018 - 13 h 29 min

Je suis en plein dedans et je suis (pour l’instant du moins) d’accord avec tout ce que tu en dis^^

Electra 24 janvier 2018 - 13 h 29 min

Ah ah ! Il est magnifique et la fin bref profites en bien

La Rousse Bouquine 24 janvier 2018 - 13 h 55 min

Shame on me, je n’ai toujours pas pris le temps de découvrir Louise Erdrich.
Mais j’avoue – lapide-moi si tu veux – que celui-ci ne me fait pas trop envie !

Electra 24 janvier 2018 - 16 h 00 min

alors je te lapide ! MDR dommage car cette histoire de famille transgénérationnelle te plairait bien je pense mais tu as sans doute déjà des lectures alléchantes qui t’attendent !

Fanny 24 janvier 2018 - 13 h 56 min

C’est une belle découverte pour moi! Ce petit garçon LaRose était tellement touchant!

Lequel me conseillerais-tu?

Electra 24 janvier 2018 - 16 h 03 min

Love Medecine (l’amour sorcier), j’ai commencé à lire « Dernier rapport sur les miracles à Little No Horse » et il m’a fait penser à LaRose si ça te tente !

athalie 24 janvier 2018 - 14 h 52 min

C’est une de mes auteures sures. certains de ses romans m’ont profondément marquée, la chorale des maitres bouchers ou Dans le silence du vent. Donc, ce titre va bientôt rejoindre les étagère, forcément !

Electra 24 janvier 2018 - 16 h 04 min

Si tu l’aimes déjà, alors tu vas être enchantée, j’ai vraiment aimé celui-ci, ils sont si touchants ces personnages !

Krol 24 janvier 2018 - 17 h 30 min

C’est noté !

Electra 24 janvier 2018 - 17 h 43 min

Excellente décision 🙂

Virginie 24 janvier 2018 - 17 h 40 min

Superbe chronique, très complète ! et comme moi, tu as été touchée par ces personnages pas ordinaires !

Electra 24 janvier 2018 - 17 h 43 min

Merci 🙂 Je suis toujours inspirée quand j’ai un coup de cœur, j’ai du mal à synthétiser ! Oui, j’ai été très touchée par l’ensemble des personnages, honnêtement j’ai eu l’impression de marcher à leurs côtés. Quel bonheur 🙂

Tiphanie 24 janvier 2018 - 18 h 28 min

C’est vraiment tentant, j’avais plutôt accroché à La chorale des maîtres bouchers donc pourquoi pas!

Electra 24 janvier 2018 - 19 h 23 min

Je dois le lire je les ai tous ! Celui-ci est magnifique

Titezef 24 janvier 2018 - 21 h 52 min

Non non synthétise pas tes billets…! Comme ca j’ai l’impression d’avoir lu une partie du roman tellement tu met dans l’ambiance.
Je vais peut être me lancer dans cette lecture un de ces jours.

Electra 24 janvier 2018 - 21 h 59 min

Ah ! Merci j’ai souvent l’impression d’en dire trop. Tu me rassures ! J’espère que cette immersion t’aura suffisamment plu !

Marie-Claude 24 janvier 2018 - 22 h 36 min

Je n’ai rien lu. J’ai seulement regardé le nombre de coeur!
Je repasserai, promis!
Je l’attends bientôt et compte en faire ma lecture de février pour le challenge indien.

Electra 24 janvier 2018 - 22 h 37 min

Mdr je comprends. Tu vas passer un excellent moment ! J’attendrais ton avis

gambadou 25 janvier 2018 - 20 h 32 min

Tu donnes très envie de le lire

Electra 2 février 2018 - 11 h 44 min

Gambadou ! ton message était parti dans mes SPAM … et j’espère que tu vas le lire ! un énorme coup de cœur de mon côté

Autist Reading 26 janvier 2018 - 15 h 51 min

Plus je lis de billets sur ce roman, plus je suis convaincu qu’il pourrait être celui qui va me réconcilier avec Louise Erdrich.

Electra 26 janvier 2018 - 16 h 18 min

J’espère ! Je n’ai pas lu tous ses romans et j’ai entendu des avis mitigés sur son précédent mais celui-ci est magnifique ! J’espère que ca fonctionnera

Tasha 28 janvier 2018 - 21 h 47 min

Ah c’est malin, après avoir lu ton billet, je n’ai pu résister et je l’ai acheté… 😉

Electra 28 janvier 2018 - 21 h 49 min

Ah oui c’est malin génial

Eva 30 janvier 2018 - 17 h 00 min

Une de mes prochaines lectures et je suis ravie de te voir aussi enthousiaste, d’autant plus que Le Pique Nique des Orphelins ne m’avait pas vraiment convaincue…(mais je ne comptais pas en rester là avec cette auteure)

Electra 30 janvier 2018 - 17 h 32 min

Je pense qu’elle est assez inégale dans ses écrits. Ici c’est du pur plaisir

Nelfe 5 février 2018 - 16 h 57 min

J’ai lu ton billet « en crabe » parce que c’est un roman que je ne vais pas tarder à lire moi aussi. Je pense qu’il va bien me plaire à moi aussi, d’autant plus que j’ai déjà lu des ouvrages de cette auteure et que j’ai été conquise 🙂

Electra 5 février 2018 - 19 h 40 min

Tu as raison sur tout ! Tu vas adorer et passer un excellent moment, le sujet est grave mais j’étais bien en compagnie de ces gens-là. Bon « voyage » 🙂

Sonia 18 février 2018 - 13 h 06 min

je viens de le terminer. Ce roman me laisse une drôle de sensation. Sa lecture, très dense, m’a semblé d’une longueur insoutenable, mais je ne pouvais pas, toutefois, l’abandonner. Les esprits indiens qui flottaient au-dessus de moi?

Electra 18 février 2018 - 14 h 19 min

Peut-être ! Eva a trouvé quelques longueurs au roman, pas moi. Je ne sais pas comment l’expliquer, peut-être le sujet aussi, très compliqué. Un billet intéressant à rédiger !

Lili 19 février 2018 - 15 h 07 min

Ce n’est pas mon préféré de l’auteure, j’avoue y avoir trouvé quelques longueurs aussi, mais j’en garde malgré tout une belle impression lumineuse et suis toujours très impressionnée par la capacité de Louise Erdrich a maintenir si justement en équilibre la noirceur et l’espoir.

Electra 19 février 2018 - 19 h 10 min

Oui elle est très douée, moi ce fut un vrai coup de coeur mais ça ne se choisit pas ! J’ai retrouvé tout un univers qui m’inspire 🙂

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