Je ne cessais de croiser ce livre un peu partout, Gallmeister me fait toujours de l’oeil mais quelque chose me retenait. J’avoue aussi que je lis très peu de livres d’anticipation ou post-apocalyptiques. Le temps a passé et le Festival America approchant, j’ai décidé qu’il était temps que je le lise. Et ce livre fut un drôle de voyage…
Je lis généralement un livre en moins de trois jours, surtout un livre de 242 pages – je croyais le lire en un week-end mais il m’aura fallu plus de dix jours ! Je venais de dévorer le récit d’investigation de Michelle McNamara et je pensais enchainer aussi vite. L’esprit préoccupé et la vague de chaleur auront eu raison de moi et j’avais beau le savoir tout proche, impossible de m’y mettre. Puis finalement, une nuit fraiche est arrivée et j’ai avalé 150 pages en une nuit et je l’ai finie dans la journée.
Eva, 18 ans et sa soeur Nell (narratrice), 17 ans, vivent en Californie du Nord. Les deux jeunes filles survivent seules dans la maison, isolées du monde. La guerre a éclaté peu après le décès de leur mère d’un cancer. Leurs parents avaient choisi de s’installer dans les bois, loin de la civilisation. Leurs filles ont été scolarisées à la maison. La forêt ? Un monde à la fois mystérieux et attirant. Si leur mère leur interdisait de quitter la clairière, les enfants avaient réussi à découvrir un lieu magique : la souche d’un arbre où elles s’amusaient à « prétendre ». Une enfance magique et deux soeurs fusionnelles, mais un jour Eva découvre la danse classique. Sa mère, ballerine, avait tout abandonné pour élever ses enfants. Eva réussit à persuader ses parents de l’inscrire dans une école. Nell le vit mal, son double, sa meilleure amie, lui préfère la musique classique et les tutus. La jeune fille s’ennuie. Sa mère tisse et fait de la poterie. Nell veut aller au lycée. Ses parents sont contre puis la maladie de la maman s’immisce. Hospitalisée, le père accepte que ses filles se fassent des amis en ville. Nell tombe amoureuse mais la guerre au loin, fait rage. Peu à peu, les coupures d’électricité se multiplient, l’essence se fait rare. Les magasins ne sont plus approvisionnés.
Et au moment où on découvre le journal intime de Nell, les deux jeunes filles vivent seules, après avoir enterré leur père. Elles sont totalement isolées du monde. Comment survit-on ? Sans électricité, sans essence, sans connaissance particulière. Leur père leur avait appris à cultiver le potager, à hacher du bois mais les hivers sont rudes et l’été, difficile de vivre sans réfrigérateur. Les voilà à la merci de tout ….
Comment ferions-nous ? Ce roman est formidable car l’auteur écrit magnifiquement bien et sait à perfection retranscrire l’absence. Nous sommes tellement habitués à avoir accès à tout (nourriture, eau, électricité) que nous serions bien incapables de nous débrouiller. Quand l’hiver détruit vos réserves, il est utile de savoir chasser, reconnaître les bonnes des mauvaises herbes, les plantes médicinales aux plantes vénéneuses. Mais elles en sont incapables. Grâce à une encyclopédie et un livre qui raconte comment les premiers habitants, les Indiens, se nourrissaient, les deux soeurs vont survivre. La relation sororale est un autre point majeur du roman, comment les deux soeurs s’aiment, puis s’éloignent avant de se retrouver. Comment ferions-nous si nous n’avions plus qu’une seule personne au monde ?
When she dances, you can see it. When she dances she is so certain, so alive, it enlivens whoever watches her. (…) I’m the one with the sour moods, the angry questions. I’m the one who doesn’t fit into my own skin, who can’t read my own face.
Eva continue de s’entrainer chaque jour, malgré l’absence de musique. Son père avait déniché un vieux métronome. Qu’importe les jours de famine, elle continue de danser, forçant l’admiration de sa soeur, tout en les maintenant séparées de manière invisible. J’ai adoré cette relation d’amour/haine/envie entre ces deux êtres. L’intimité, la proximité peut rendre fou. Mais elles sont toujours là l’une pour l’autre, qu’importe les épreuves qui les attendent.
Ce qui m’aussi profondément marqué c’est la manière dont elles vivent la fin de chaque chose, comme lorsqu’elles boivent leur dernière tasse de thé, celui de leur mère. Elles feront comme ces paysans chinois qui récoltent le thé mais n’ont pas les moyens de s’en offrir, et qui boivent de l’eau chaude à la place. Ce journal, elles boivent aussi du « white tea ».
But we know this is tea. And we know tomorrow there will be no more. Now it seems as though all of life is a series of lasts – this last cup of tea weaned to the clarity of water, the last quarter-spoonful of sugar rubbed between our tongues and the roofs of our mouths until each grain has dissolved and the syrup has seeped drop by drop down our throats. The last slivers of macaroni. The final lentil.
Peu à peu, elles vont devoir s’enfoncer de plus en plus dans la forêt, dans la Redwood, la forêt des Séquoias, à la recherche de nourriture, de plantes médicinales, peu à peu, elles vont retrouver en elles une part d’animalité. L’écriture de Jean Hegland m’a séduite et touchée. Il y a du lyrisme, de l’émotion dans les mots de Jean Hegland. La forêt est un lieu magique. Elle écrit avec les mots d’une poétesse et j’ai adoré sa description de la nature et du mode de vie des Pomas, les premiers habitants de ces lieux. Elle y célèbre la vie, notre lien à la nature, mais nous donne aussi à réfléchir à notre incapacité de survivre si on s’éloigne trop du monde végétal et animal.
Le livre est disponible en français, Dans la forêt, et publié chez Gallmeister.
♥♥♥♥
Editions Dial Press Trade Paperbacks, Bantam (original editions), 1998, 242 pages
27 commentaires
Je me le reserve pour mes vacances!
J’espère être aussi touchée que toi par écriture et par ses descriptions !
J’espère que tu le seras ! Moi ce fut le cas 😉
En fait je n’ai pas trop de doutes 😀
Il peut dérouter, car le rythme est lent
Oh un joli coup de coeur! Mon avis est plus mitigé… je ne sais déjà plus trop pourquoi ça a coincé, mais je me rappelle de la lenteur extrême du récit, de certaines scènes qui m’ont agacée (surtout avec Eva qui m’énervait parfois beaucoup!!). Mais je suis d’accord avec toi pour les descriptions et la mise en avant d’un lieu aussi magique qu’effrayant, comme l’est la forêt.
T’inquiète – c’est vrai que le rythme est lent et les personnages, quand ça ne passe pas (je me souviens de certains)… oui la forêt est un lieu tellement puissant !
Il est dans ma pal, j’ai craqué sur la version poche !
Elle existe ? Je suis à la ramasse. Tant mieux !
Oui et la couverture est superbe! 🙂 (je suis fan des Totems!)
Oh avec les nouvelles couvertures ? Je note car le mien est un emprunt
Coup de coeur pour moi ce roman. Encore plus avec le temps… Tu en parles tres bien. Grâce à ton billet j’ai replongé dans cette forêt magnifique et tellement anxiogène parfois.
Bon retour parmi les lecteurs…😂
Merci ! Bon aujourd’hui, encore plus de 30 degrés donc rien à espérer mais oui un très beau roman. Un monde mystérieux et puis la force de l’être humain, et des filles en plus 😉
Une de mes lectures les plus marquantes de 2017! j’ai hâte de rencontrer l’auteure au Festival America… le roman a été adapté en film avec Ellen Page et Evan Rachel Wood, le film est dispo sur Netflix…
Je savais qu’il avait été adapté mais j’ignorais avec qui, j’ignore si j’ai envie de le voir – je suis encore dans le « livre ». Oui, elle sera au Festival – j’ai bien fait de le lire du coup !
J’ai du retard, là! Oui, l’auteur sera à Vincennes (avec tellement d’auteurs aussi, et je me demande si ce n’est pas encore plus ‘riche’ que d’habitude)
Une première, Keisha en retard ! Oui, j’ai publié un billet sur les auteurs présents, ça va être la folie !
Je ne partage pas autant d’enthousiasme (la soeur ballerine et la scène de baise entre soeurs m’ont exaspérée). N’empêche que pour le style et l’atmosphère d’ensemble, c’était très réussi. (Mieux que Une histoire des loups et My absolute darling!!!)
MDR pour tes bémols – tu as les même qu’une autre personne sur la soeur – elle ne m’a pas du tout exaspérée car je crois qu »on réagit tous différemment quand notre monde s’écroule et s’accrocher à sa passion, je pourrais faire de même – pour ton autre bémol, j’ai trouvé ça étrange mais si elles sont seules au monde… Une histoire des loups est mon livre chouchou ! Mais oui, mieux que MAD !
Le livre a fait l’objet de multiples commentaires en général très élogieux, je me réserve le prochain Totem !
Excellent idée !
Il ne m’attire pas (plus en fait) depuis que j’ai vu le film. Ça m’a suffit.
Je pense que ce qui m’aurait plu dans ce livre n’est peut-être pas l’idée que je m’en faisais.
Je ne crois pas le lire pour ça. L’histoire des deux sœurs en fait, ne me dit rien…
Evidemment si tu as vu le film – moi ça serait différent, voir le film après, généralement on apprécie moins car j’ai ma propre vision des deux soeurs. J’ai adoré ce roman, dommage que tu passes à côté ! Je refuse de voir le film d’un autre roman car je veux le lire absolument avant.
[…] J’attends beaucoup de ce roman (peut-être un peu trop) mais le récent billet d’Electra me fait dire que je vais l’apprécier à sa juste valeur. Je le lirai en lecture commune avec […]
Un superbe roman, même si j’ai trouvé la toute fin « too much » 😉
Ah oui, amusant ton avis mais oui un superbe roman – l’écriture, l’atmosphère … la forêt – très beau !
Absolument tout me tente dans ce roman : la nature, la solitude, la rudesse, le deuil et le style de l’auteure qui a l’air magnifique. Je vais enfin pouvoir craquer maintenant qu’il est sorti en poche (j’évite toujours d’acheter des grands formats car ils finissent par attendre si longtemps dans ma PAL que le poche est sorti avant que je ne les ais lus aha.).
Oui, j’achète souvent des Poche – surtout pour des romans que j’ai croisés très souvent mais jamais eu le temps de lire .. sinon j’emprunte. Vu ce qui te tente, tu devrais beaucoup aimer ce roman ! Il y a tout ce que tu cites ! Je te conseille aussi un autre roman qui sortira à la rentrée et dont je ne peux pas parler maintenant (mais je peux donner le titre : Manuel de survie à l’usage des jeunes filles) mais moins de solitude dans ce dernier (mais la nature et la rudesse, oui)
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