J’ai découvert Christoph Hein avec Le noyau blanc et j’avais beaucoup aimé son écriture et son sens de l’introspection. J’ai eu de découvrir son nouveau roman, qui vous fait traverser, tout simplement, soixante ans d’histoire allemande !
Ce roman est vraiment atypique : un premier chapitre qui vous présente rapidement le narrateur, Konstantin, directeur d’école à la retraite. Puis ensuite viennent plus de 370 pages d’un long monologue, où Konstantin raconte sa vie.
Konstantin s’occupe de sa deuxième épouse, malade. Ses journées sont très simples, il va faire les courses et prépare les repas. Lorsqu’une jeune journaliste vient le voir pour écrire un article sur lui, il refuse. L’école dont il était directeur a entièrement reconstruite et une grande fête est organisée avec la présence des anciens directeurs. Konstantin refuse d’y participer. Au même moment, sa femme lui demande de s’expliquer sur son nom de famille, lorsqu’une facture impayée arrive à un nom différent. Konstantin a toujours refusé d’en parler. Son père, Gunther Muller, était un nazi notoire et un criminel de guerre. Il fut arrêté et exécuté avant la naissance de Konstantin.
Les Russes forcèrent sa mère, enceinte de huit mois, à aller voir la construction d’un camp de la mort que son époux dirigeait. L’homme d’affaires avait immédiatement adhéré au parti nazi et avait vu ses affaires fleurir avec le temps. Directeur de l’usine locale, il menait une vie de nanti et avait obtenu ce contrat juteux avant que la situation bascule. Les Américains et les Russes reprenaient le dessus. Leur mère effondrée par l’oeuvre funeste de son époux, réussit à faire changer le nom de famille de ses fils. Interdite d’enseignement par le pouvoir soviétique, elle devint femme de ménage. Les enfants grandirent modestement. Ce n’est qu’à l’âge de huit ans que l’existence de ce père revint sur le devant de la scène. Son frère ainé avait contacté son oncle paternel, en cachette, et celui-ci maintenait que leur père était un héros et les Soviétiques des menteurs. Installé à l’Ouest, il promettait d’embaucher le jeune homme à sa majorité. Konstantin croyait sa mère mais il comprit que son avenir était menacé si on apprenait qui son était son géniteur.
Lorsque son passage au lycée fut refusé, alors qu’il était le meilleur élève de sa promotion, Konstantin comprit que ses origines le condamnait à une vie de subalterne. Rêvant secrètement de la Légion Etrangère, il décida de passer à l’Ouest à l’âge de 14 ans et continua son chemin jusqu’à Marseille. Là il obtint un petit boulot auprès d’un ancien résistant. Konstantin cachera ainsi pendant plusieurs ses origines, honteux de savoir que son père avait indirectement participé aux horreurs de la guerre, à la mort des proches de ces hommes, à leur internement.
Mais Konstantin rêve de son pays et décide finalement de retourner au pays. Nous sommes au début des années 60 et du jour au lendemain le mur est érigé. A nouveau, le jeune homme devra faire preuve de courage pour cette fois-ci, passer à l’Est. Y arrivera-t-il ?
Comment vivre avec un père monstrueux ? Comment exister lorsque l’Etat vous refuse tout avenir au nom de vos origines ? Comment créer sa propre histoire ? Se libérer de ce joug. Konstantin va passer plus de soixante ans à se battre, et Christoph Hein dresse ici un formidable parallèle avec son pays, l’Allemagne. Pendant des décennies, les Allemands étaient les fils « des Boches » – il leur aura fallu attendre une troisième génération et le rapprochement européen pour effacer cette réaction épidermique.
La mémoire historique est importante mais elle ne doit pas faire porter un fardeau sur tout un peuple. Réflexion bouleversante sur un pays dévasté puis divisé et enfin réunifié, L’ombre d’un père, a été une lecture passionnante mais éprouvante ! Puisque je vous le rappelle, plus de chapitre, uniquement la parole de Konstantin, qui dans un flot de paroles, se libère de tout ce poids. Un formidable roman d’apprentissage, ses années à Marseille, ses espoirs, ses déceptions, on marche dans les pas de Konstantin.
Impossible de ne pas faire un parallèle avec un autre roman lu récemment, où en Corée du Nord, vous êtes envoyé dans un camp si vos parents ou grand-parents ont un jour été jugés traites à la nation. Certains enfants et petits-enfants de nazis célèbres ont choisi de cacher leurs origines, d’autres à l’inverse ont choisi de faire la promotion de la tolérance, ressentant une forme de culpabilité pour les actes de leurs aïeux. J’ignore comment j’aurais réagi si j’avais appris que mon grand-père est un Pétainiste.
En tout cas, une fois que vous êtes pris dans les filets de ce roman, vous ne le lâcherez plus. On en ressort un peu secoué mais au final ravi du voyage. Le Tagesspiegel a dit » Un de ces romans d’aventures qu’on ne peut plus lâcher. » . Ils n’ont pas tort.
♥♥♥
Editions Métailié, BB allemande, trad.Nicole Bary, 2019, 400 pages
4 commentaires
Il me tentait bien celui-ci ! mais je suis déjà en retard pour indridason ! alors, après, peut-être !
Oui, j’espère ! Il est un peu à part dans cette rentrée, avec son histoire mais il est vraiment unique dans sa forme et la puissance de ses mots. Indridason est aussi très bien !
un de mes repérages de cette RL !
Il peut faire peur mais en fait il est très prenant et l’écriture est limpide ! Je serais curieuse d’avoir ton avis
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