Le chaos ne produit pas de chefs d’oeuvre · Julia Kerninon

par Electra
2,8K vues

Retrouvailles avec Julia Kerninon, mon écrivaine française préférée dans cet essai sur les écrivains, le travail et la légende. La romancière a choisi de partager avec nous un morceau de sa thèse sur la littérature américaine, et plus particulièrement l’image de l’écrivain ancrée dans l’imaginaire collectif. Qu’en est-il réellement ?

Julia Kerninon avait un tout autre sujet de thèse lorsqu’elle a entamé ses recherches. Elle souhaitait comprendre comment on devient écrivain, comment, des auteurs célèbres, sans avoir suivi de cours de creative writing on réussi à sortir de leur chapeau Sur la route ou Le bruit et la fureur. Se sont-ils tous simplement assis à une table un crayon et un carnet à la main ou une machine à écrire posés là, et l’inspiration les a saisis soudainement ? Julia décide de se pencher sur les interviews données par des figure mythiques de la littérature américaine pour y trouver réponse. Mais en lisant le magazine littéraire Paris Review, elle découvre que les auteurs esquivent toute question sur leur méthode d’apprentissage. Soit ils restent silencieux, soit ils s’accrochent à un moment clé de leur enfance ou jeunesse où ils auraient été comme frappés par la foudre et le talent serait apparu ainsi…

Mais ce qui perturbe soudainement la thésarde c’est de réaliser que la revue littéraire a choisi de laisser l’auteur corriger, amender, remanier et même abonder l’entretien de sa propre prose. L’auteur a la main pour ajouter des questions ou modifier ses réponses. Les journalistes acceptent cette digression. Résultat : l’auteur a toute l’amplitude pour créer sa propre image. Sa propre légende. Et en matière de légende, le premier a en créé une fut sûrement Kerouac dont l’image est la plus répandue : il a écrit son roman d’une traite, sans retouche, une bouteille d’alcool à la main. Faulkner, Hemingway aimaient également être accompagnés d’un verre de whisky. Ils ne considéraient pas l’écriture comme un métier.  Alors ont-ils été vraiment honnêtes dans leurs interviews ? Ou ont-ils profité pour retoucher leur parcours et leur propre identité ? Sommes-nous réellement nous-mêmes lorsque nous sommes interrogés ?

Jack Kerouac fait ainsi le choix d’adopter la posture de l’artisan ou de l’amateur par opposition à celle de l’artiste, de l’homme de lettres. (…) exerçant son art comme s’il s’agissait d’une activité manuelle, physique éventuellement, mais jamais comme un métier.

En s’attardant sur trois écrivains « monstres » de la littérature américaine : Faulkner, Hemingway et Steinbeck, Julia Kerninon va a la pêche aux infos et lève le voile sur une autre réalité. Mais elle reste toute aussi passionnante ! Ainsi l’autrice nous explique la tension entre la personne de l’écrivain et le personnage de l’auteur. Je n’en dirais pas plus, mais j’ai été épatée par l’image que Faulkner a réussi à créer ou à tenter de créer, en s’imposant comme un « fermier qui écrit » et en refusant d’être catalogué intellectuel.  Hemingway n’avait pas de souci d’ego, je crois qu’il s’est toujours amusé avec la presse. Quand à Steinbeck, j’ai découvert le rôle de son épouse dont j’ignorais absolument tout et j’ai été fascinée par une anecdote, la seule que je vais citer ici. L’auteur égara le manuscrit d’un roman court et ne le retrouva que quelques mois plus tard. Entre temps, son épouse, lui avait dit qu’il n’avait qu’à l’oublier et réécrire l’histoire. Le couple désormais en possession des deux manuscrits les compara et au total seuls 7 mots divergeaient ! Il y a bien une part de génie…

N’oubliez pas que l’autrice est romancière et thésarde et qu’elle-même s’amuse aussi à créer sa propre légende … Pour ma part, j’aime ce jeu du chat et de la souris, cette part de mystère qui reste, le fait que les écrivains nous fassent rêver. J’ai toujours préféré un McEnroe colérique à un Lendl méthodique et ennuyeux à mourir.

Les écrivains associent leur venue à l’écriture à leur parcours davantage qu’à leur pratique : c’est la somme de ce qu’ils sont, de ce qu’ils ont fait qui les a menés à écrire. Mais qu’est-ce exactement qu’écrire ? Le mystère demeure.

En tout cas, j’ai juste eu très envie de me jeter sur les romans de ces auteurs à la fin de ma lecture ! Si vous aimez la littérature, et plus spécialement la littérature américaine, si vous êtes un peu curieux , alors n’hésitez à vous procurer ce livre.

♥♥♥♥

Editions PUF, 2021, 200 pages

Et pourquoi pas

11 commentaires

Mes échappées livresques 8 juin 2021 - 9 h 49 min

Parce que c’est Julia Kerninon, je suis tentée d’autant plus que le contenu doit être passionnant. Mais j’aimerais d’abord lire ses précédents écrits comme Buvard ou encore Une activité respectable avant de me pencher sur cet essai.

Electra 8 juin 2021 - 10 h 07 min

oui alors je te conseille vivement de lire Une activité respectable où elle raconte comment elle est devenue écrivaine et la place des livres dans sa famille !

Lune Depassage 8 juin 2021 - 10 h 26 min

Je l’ai lu en avril, j’ai adoré, c’est très très riche et hyper intéressant. Mon premier roman de Fa(u)lkner m’attend dans ma PAL, de lui et d’Hemingway je n’ai lu que des nouvelles. Si jamais tu n’as pas lu Au Dieu Inconnu de Steinbeck, c’est un gros coup de cœur pour moi, je le trouve merveilleux (même si beaucoup pensent qu’il n’arrive pas à la cheville de ses autres succès, je trouve qu’il mériterait plus d’attention!)

Electra 8 juin 2021 - 10 h 44 min

Je n’ai pas lu celui-ci de Steinbeck, du coup je le note ! J’ai déjà lu Faulkner et Hemingway – j’ai du coup acheté un autre de ses romans après ma lecture de cet essai car Julia Kerninon m’a évidemment donné envie de continuer à les lire !!! As-tu lu Une activité respectable ? quand on aime lire c’est un incontournable 🙂

Ingannmic 8 juin 2021 - 13 h 27 min

Je vais d’abord commencer par ses romans. En tous, suite à ton billet sur « Liv Maria », je l’ai offert à ma fille et à une amie, et il a fait mouche à chaque fois. Je n’ai plus qu’à le leur emprunter…

Electra 8 juin 2021 - 18 h 02 min

oh super ! Je suis ravie. Je pense que tu vas aimer son style d’écriture et ensuite tu pourras si tu veux te lancer sur ses autres écrits 🙂

Marie-Claude 9 juin 2021 - 5 h 20 min

Non mais, dis-moi donc comment je pourrais passer à côté?!

Electra 9 juin 2021 - 13 h 56 min

alors là tu ne peux clairement pas !!!!

uneviedevantsoi 9 juin 2021 - 22 h 00 min

Tu me donnes très envie ! Et de temps en temps, ça fait du bien de lire autre chose que de la fiction.
Kerninon, je l’aime beaucoup. J’en ai lu plusieurs et jamais déçue mais figure-toi que Liv Maria se trouve toujours dans ma PAL alors que je l’ai acheté à sa sortie!! Mais je l’ai tant vu passer que j’ai eu peur d’être déçue. Maintenant, je suis prête !

Electra 9 juin 2021 - 22 h 14 min

tu ne le seras pas si tu aimes son écriture ! et pour celui-ci, elle transmet si bien sa passion pour les livres 🙂

Eva 26 juillet 2021 - 16 h 24 min

j’avais beaucoup aimé « Une activité respectable » ! je note celui-ci que j’ai peu vu passer, à part chez toi !

Les commentaires sont fermés