J’ai écouté Florence Aubenas lors de son passage à La Grande Librairie au sujet de son dernier livre. Je ne pensais pas le lire, mais Le Caribou l’avait justement dans sa PAL, du coup pourquoi pas ?
La journaliste a rencontré à plusieurs reprises Gérald Thomassin, acteur et accusé principal du meurtre d’une postière à Montréal-La-Cluse – alors qu’il allait enfin être mis officiellement hors de cause, l’acteur s’est volatilisé. Dans ma ville.
Un matin, des clients de la poste retrouvent le corps lardé de coups de couteaux de la postière, Catherine Burgos. Elle avait 40 ans et attendait son premier enfant. Nous sommes dans une petite ville montagnarde. Très vite l’enquête s’oriente vers les marginaux qui enchaînent cures de désintoxication et séjours de prison. Gérald est venu là pour fuir Paris, fuir les tentations. Il habite dans un appartement prêté par un ami de la famille. Il fait la connaissance de Tintin et Rambouille, deux autres gars, malmenés par la vie et tous accros. Tous coupables. Il faut dire que Gérald aime parler, se vanter d’être acteur, et parfois ses propos dérapent et inquiètent. Il dit même entendre des voix. Ce sont ses dires au lendemain de la mort et lors de ses interrogatoires, qui vont orienter la police. Et ils ne vont plus le lâcher.
Même lorsque les tests ADN le dédouanent. Il y a de l’ADN d’un homme retrouvé sur le corps de la victime, mais les policiers décident d’écarter cette piste. La procureure ne va plus lâcher Gérald et Tintin et les trainer en justice. Gérald, instable, va alors connaître une véritable descente aux enfers. Jusqu’à la tentative de suicide. Il faudra le soutien de plusieurs personnes du show-biz pour lui trouver un avocat et faire éclater la vérité.
Florence Aubenas revient sur la vie de Gérald, il connaît la gloire à 13 ans lorsqu’il est choisi pour jouer dans le film « le petit criminel » mais Gérald, enfant de la DDASS, traîne déjà trop de casseroles. Sa mère et lui vivotent, et celle-ci décède une nuit à ses côtés dans un hôtel. Gérald enchaîne les cures, mais il replonge et surtout dépense l’argent de chaque film en quelques jours.
En quittant la capitale, il croit connaître enfin le repos, mais nous sommes dans un village oublié, où toute personne marginale est forcément suspecte.
L’enquête est minutieuse même si parfois l’autrice prend le parti de romancer le récit en inventant des pensées aux personnages (Catherine ou Gérald). Elle a interrogé des centaines de personnes et a lu toutes les pièces du procès mais j’ai trouvé qu’elle interprétait parfois leur comportement et pour moi cela ne relève plus du journalisme.
En 2019, à la veille de l’instruction, Gérald a disparu à Nantes. Nantaise, j’étais aussi forcément curieuse de connaître les dernières traces de Gérald dans ma ville. J’ai été surprise de savoir que son téléphone a borné dans la zone de la Beaujoire. Les zonards trainent dans le centre-ville, Gérald savait faire la manche, pas à des kilomètres près du stade. Ses proches croient à son décès à présent. Je le pense aussi, mais son corps aurait été retrouvé depuis, non ? Le parquet de Nantes a ouvert une enquête pour enlèvement et séquestration, ce qui leur donnait accès aux corps enterrés non réclamés. Le mystère demeure entier.
Mon principal énervement fut lié à la manière dont la juge d’instruction gère l’enquête, incapable d’avouer son erreur, elle continue de mettre en cause Gérald (et Tintin) alors que l’ADN (un énorme merci à la jeune femme d’avoir porter plainte) a trouvé le coupable. Ni Gérald, ni Tintin ne connaissaient l’accusé. Pourquoi continuer à les persécuter ?
Cela a – sans aucun doute – contribué à détruire Gérald et Tintin. Et Rambouille. Car les deux compères de Gérald sont décédés peu de temps après. Le destin s’acharne. Et puis je n’oublie pas Catherine, morte alors que la vie lui souriait de nouveau, pour quelques milliers d’euros. Comment peut-on poignarder une femme enceinte ? La menacer aurait suffit. Une tristesse s’empare de moi à la fin de ma lecture. Comme si cette ville était maudite.
♥♥♥
Editions de l’Olivier, 2021, 240 pages
14 commentaires
Je l’ai lu il y a peu de temps et pas commenté parce que j’étais un peu perplexe. Je n’ai pas trop compris le parti pris de l’auteure, qui ajoute des détails dont elle ne peut pas avoir eu connaissance (ce que les protagonistes regardaient à la télé à tel moment c’est un exemple qui me revient, mais pas le seul). Donc, pourquoi romancer, et s’effacer au point de ne jamais dire « je » : roman ou journalisme ?
Oui on se rejoint là-dessus, je l’ai dit car je lis beaucoup d’enquêtes d’investigation et les journalistes ne relatent jamais des paroles ou pensées s’ils n’ont pas une trace écrite ou visuelle, or là elle s’égare parfois dans la fiction et il n’y avait aucunement besoin de faire cela.
Je suis d’accord avec toi (et Kathel), ce côté romancé m’a agacée… Tu le dis bien:
« L’enquête est minutieuse même si parfois l’autrice prend le parti de romancer le récit en inventant des pensées aux personnages (Catherine ou Gérald). Elle a interrogé des centaines de personnes et a lu toutes les pièces du procès mais j’ai trouvé qu’elle interprétait parfois leur comportement et pour moi cela ne relève plus du journalisme. »
A propos de la gare en question, celle de ta ville, avant, on pouvait sauter dans un train, même sans billet (oui, c’est pas bien), maintenant il y a des barrières où on doit montrer patte blanche, et l’on ne peut plus feinter, OK c’est le but, mais comme il n’avait pas d’argent, sans ces barrières il aurait peut être pu effectuer le trajet prévu?
Tu veux dire aller jusqu’à Rochefort ? La gare de Nantes est effectivement composée de pas mal de quais, une fois à l’intérieur, il pouvait se déplacer de quai en quai mais à l’époque je ne pense pas qu’elles étaient en place partout. En fait, ce qui interroge la police c’est que son téléphone a ensuite borné du côté de la Beaujoire, qui est à une demi-heure de la gare .. du coup, qui aurait pris son téléphone ?
Pour la partie romancée, oui elle n’avait pas besoin de le faire – elle a fait une très longue enquête donc se permettre d’interpréter leurs pensées ne servait à rien. Je trouve ça dommage.
Moi aussi, je l’ai vue à LGA et elle m’a donné envie, d’autant plus que « Le quai de Ouistreham », lu cette année, a été un coup de cœur. Je note vos bémols sur cet apport pas toujours pertinent de la fiction au récit… j’avais surtout retenu, suite aux billets déjà lus, qu’elle dressait avec ce titre un intéressant portrait de petite ville de province ?
oh oui là-dessus, elle dresse un bon portrait et a vraiment travaillé le sujet. Et rend un bel hommage à la victime. Il devrait te plaire !
J’avais vu l’émission et cela m’avait donné envie de lire. Mais le temps passant, je l’ai un peu oublié.
Le bémol que tu relèves suffirait à ne pas me faire apprécier ma lecture. Je l’avais offert à mon père, il faut que je pense à lui demander son avis.
Oui demande-lui ! Ce bémol n’arrive pas tout au long du roman mais à quelques instants précis où je me suis dit comment peut-elle connaître les pensées et les mots de ces personnes ? Pourquoi sort-elle du genre journalistique ? Le reste est très bien cependant et puis il te permet de penser à Thomassin et à ses proches.
Les images avec les couvertures des livres sont revenues !
Oui ! mon éditeur de thème a fait une mise à jour, ça ne venait pas de moi 🙂 J’avais cherché partout ! Youpi !
C’est bien vrai: les couvertures des livres sont revenues !
Sinon, j’étais toute fraîche pour cette lecture, n’ayant jamais entendu parler de ce cas. J’ai été époustouflée, comparativement à toi. J’aime sa façon de raconter et de s’immerger dans ses écrits.
Oui 🙌 je cherchais l’explication mais ça venait de l’éditeur et une mise à jour a tout réparé
J’adore le journalisme d’investigation (j’en lis beaucoup tu le sais) du coup j’ai aussi aimé le travail et le style mais pour moi il y a une limite à respecter et elle l’a franchi mais sinon c’est minime !
Je n’ai pas vu l’émission, mais j’ai une telle admiration pour Florence Aubenas que j’ai lu ce titre dès sa sortie. Le côté romancé ne m’a pas gêné, en fait, je l’ai à peine remarqué tant l’aspect sociologique m’a passionné.
oui il n’occupe pas tout le livre, juste certains passages et moi fan de journalisme d’investigation, j’ai tiqué mais sinon oui elle fait un formidable boulot et rend un très bel hommage à toutes ces personnes disparues !
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