Sara Nović s’est fait connaître en France et à l’internationale avec son premier roman, La jeune fille et la guerre (The Girl at War) en 2017. J’avais emporté son roman avec moi lors d’un voyage professionnel à Rouen.
J’avais énormément aimé son premier roman et je n’ai pas résisté lorsque le deuxième, True Biz, est sorti. Je l’ai acheté en relié, pas vraiment mon habitude, dans cette édition précise, car j’aimais beaucoup la couverture, réalisée par une artiste choisie par l’auteure.
Sara Nović est sourde et utilise la langue des signes. Dans ce dernier roman, elle a voulu raconter la vie de ses semblables et les difficultés quotidiennes face à la culture du « normal », de la majorité entendante. Elle réussit à insérer au coeur de son histoire des essais sur l’histoire, la culture et les points forts qui entourent aujourd’hui cette communauté. J’ignorais ainsi que la langue des signes a été introduite aux Etats-Unis par deux hommes, l’un d’origine française, Thomas Gallaudet, et Laurent Clerc, un Français qui étudiait au premier institut pour les Sourds en France en 1860. Entre un cours très général sur la grammaire de la langue des signes, l’autrice pointe en avant toutes les tentatives, croyances, pour éradiquer cette « infirmité » depuis la Grèce Antique.
Elle revient sur les progrès de la science et les fameux implants cochléaires. Et sur l’interdiction pendant de nombreuses années aux USA et en Europe d’utiliser la langue des signes, suite à un mouvement politique qui déclarait que cette langue isolait les sourds et surtout les encourageait à se marier entre eux et donc à donner naissance à d’autres enfants sourds. Ainsi, j’ai appris que le fameux Graham Bell était l’un des instigateurs qui a souhaité la disparition des personnes sourdes.. en Europe également, avec le fameux congrès de Milan. Mais j’ai aussi appris l’histoire extraordinaire de Martha’s Vineyard, que je vous laisse découvrir.
Mais le roman, reste un véritable roman avec plusieurs histoires. Celle de February, la directrice d’un pensionnat pour enfants sourds, River Valley School (elle est entendante mais née de parents sourds), qui doit gérer la perte d’autonomie de sa mère, sa relation avec son épouse et une annonce choc concernant le pensionnat. Mais en premier, elle doit gérer la disparition inexpliquée de trois élèves.
Deux d’entre eux sont Austin, qui a grandi dans ce pensionnat, et dont les aïeuls, tous sourds, sont connus et respectés. Son père est entendant mais chez lui et à l’école, c’est le monde des sourds qui domine, jusqu’au jour où sa mère accouche d’une petite soeur, entendante …. Austin va rencontrer Charlie, une adolescente rebelle qui refuse de continuer à porter cet implant qui n’a jamais bien fonctionné et lui provoque des maux de tête. Ses parents, entendants, ont cru que cet implant serait la bonne solution et ont refusé de lui enseigner la langue des signes. Charlie est allée dans une école normale, jusqu’à cette année. Divorcés, ses parents ont désormais deux attitudes différentes : sa mère, qui veut que sa fille entende et fait tout pour qu’elle conserve son implant, et son père qui a décidé de prendre des cours de langue des signes et a inscrit sa fille à River Valley.
Pour Charlie, ce pensionnat est à la fois une issue de secours, mais aussi le choc, d’avoir toujours vécu dans le monde des entendants et de découvrir ici un autre monde où tout le monde signe plus vite que son ombre. Difficile de s’acclimater mais aussi un vrai soulagement de ne plus voir sa différence comme une infirmité. Sara Nović réussit à travers ces trois personnages à montrer la réalité de la surdité, du traitement des personnes sourdes et malentendantes dans nos sociétés. Du combat quotidien d’être différent et de cette société qui veut, à travers la recherche (implant avec Bluetooth), guérir cette « maladie ».
Il y a plein d’autres sujets traités, comme la BASL – la langue des signes utilisés par les Noirs américains .. J’ai appris tellement. Et le roman reste passionnant, et touchant. L’autrice sait très bien traduire la difficulté que connaissent tous les adolescents, particulièrement ces jeunes gens. J’ai beaucoup aimé ma lecture et découvrir cette communauté. J’ai toujours voulu apprendre la langue des signes mais trouver un cours dans ma ville n’a jamais été possible (uniquement lorsque je vivais à l’étranger).
Il a été sélectionné pour la longue liste du Women’s Prize et je suis presque certaines qu’il sera traduit en français.
♥♥♦♥
Editions Little Brown , 2022, 400 pages
Photo by Jo Hilton on Unsplash
14 commentaires
Décidément le sujet me poursuit! J’ai enchainé deux romans graphiques non fiction sur le sujet , ma bibli propose une rencontre de sensibilisation à la langue des signes, etc.
ah bon ? tu as parlé de ces romans graphiques sur ton blog ? j’aimerais les lire ! ta bibi a une super idée – j’aimerais beaucoup qu’elle fasse ici pareil 🙂
Je te donne les références, ce sera plus sûr : Super sourde de Cece Bell, pour public jeune et adulte, l’auteure est sourde, elle raconte jusqu’à ses 10 ans en gros. J’ai préféré Tombé dans l’oreille d’un sourd de Gregory Mahieux, auteur père de jumeaux dont l’un sourd, qui raconte aussi le parcours du combattant avec l’administration, c’est ubuesque,
J’espère que tu pourras les trouver en bibli?
ah merci ! je file voir s’ils sont disponibles
Je le note pour une future traduction en français, pour le sujet et parce que j’avais aimé La jeune fille et la guerre.
Super ! Elle écrit bien et m’a permis de pénétrer ce monde. J’imagine qu’il va être traduit prochainement, il a été listé pour le Women’s Prize 2022
Différence, handicap, validisme… forcément, ça me parle. Au départ, j’ai cru qu’il s’agissait d’un témoignage. Aussi, tu as bien fait de préciser qu’il s’agit bien d’un roman… qui paraît très riche en informations. Je vais aller regarder ça de plus près car je ne connais pas l’autrice.
ah son premier roman très différent abordait la guerre en Croatie et était aussi excellent . Celui-ci est très différent, mais l’autrice est elle-même sourde – je crois que j’ai oublié de le dire dans mon billet.
Voilà donc ce fameux True Biz. Ca a l’air d’être un roman à la fois passionnant, et qui soulève des questions utiles (c’est anecdotique mais je m’aperçois que je n’ai jamais eu aucun échange avec une personne sourde). J’allais te demander si tu avais entendu parler du film CODA (ou eu l’occasion de le voir), dont j’apprends via Wikipedia que c’est un remake d’un film franco-belge dont j’avais oublié l’existence – La famille Bélier. (Rouen est une belle ville – j’espère qu’on peut en profiter même en mode voyage professionnel)
Oui, j’ai vu la famille Belier et j’ai entendu parler de CODA. Je ne l’ai pas dit mais l’autrice est sourde (j’ignore si ça compte) mais du coup elle parle en connaissance de cause. Pour ton anecdote, c’est le cas pour beaucoup de personnes. J’ai eu la chance d’aller dans une école primaire et d’être en classe mixte avec des sourds et malentendants. J’avais donc fait un pas dans leur monde, malheureusement je n’y suis pas retournée depuis.
Ce roman a l’air très riche et intéressant, je note!
Oui, je pense qu’il te plairait ! l’histoire est prenante et le livre reste instructif 🙂
Mais ce billet s’intègre parfaitement à l’activité « Lire autour du handicap » (https://bookin-ingannmic.blogspot.com/2021/04/lectures-autour-du-handicap-le.html) !
Je récupère ton lien.
mais oui ! je n’y ai même pas pensé en le rédigeant pourtant je connais ce challenge ! merci
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