Le nom de Tina Fontaine ne vous rappelle peut-être rien, mais ce nom fut à la une de toute la presse canadienne lorsque son corps fut retrouvé dans le fleuve de Winnipeg. Tina avait tout juste 15 ans.
Tina n’était qu’une parmi les nombreuses femmes et jeunes filles victimes autochtones et son nom aurait pu ne jamais faire la une. Mais le sergeant en charge de l’enquête, né Irlandais, John O’Donovan en décida autrement. Il fut le premier à choisir d’utiliser son prénom et à lui donner une véritable identité et de la dignité. En faisant la lumière sur son meurtre, il fit la lumière sur les milliers d’autres victimes très vite oubliées. Les manquements des services sociaux, de la police aussi, poussèrent le candidat Trudeau à la promesse d’une commission d’enquête qui allait mettre le jour sur le racisme prépondérant au sein des forces de police, et sur une politique de retrait de l’enfant autochtone trop développée au sein des service sociaux. Tina ne sera peut-être pas finalement morte pour rien.
J’ai dévoré cette lecture en une seule journée. Joanna Jolly est une journaliste britannique qui a mené une enquête exemplaire sur la mort de Tina. Très proche de la famille de Tina, elle a convaincu la police de lui ouvrir ses portes. Savoir ce qui est arrivée à Tina les dernières heures de sa vie. Recouper de multiples témoignages, entre le jour où on l’a vue pour la dernière fois, et la découverte de son corps (l’autopsie situe à une semaine le délai).
L’histoire de Tina illustre, avec celle de ses parents, de sa tante Thelma, celles de milliers d’enfants autochtones. Arrachés à leurs parents, ou avec des parents défaillants, eux-même brisés par le système canadien. Tina est née de parents accros, à l’alcool, à la drogue. Elle ira vivre à l’âge de 6 ans chez sa tante dans une réserve et y sera à l’abri quelques années. Restée très proche de son père, elle sera définitivement brisée à sa mort alors qu’elle n’avait que 11 ans. Le tatouage dans son dos, représentant deux ailes avec le nom et les dates de naissance et de décès de son père permettront de l’identifier.
Tina avait une famille dans la réserve, une petite soeur, mais elle rêvait de se rapprocher de sa mère qui vivait à Winnipeg. Sa mère, âgée de 14 ans quand elle avait mis au monde Tina, ne cessait de faire des rechutes et leurs retrouvailles ne sont pas bien passées. Tina a fini à la rue. Protégée un temps par un petit ami autochtone, hélas de passage, Tina n’aura pas eu la chance de pouvoir retourner chez elle, dans la réserve de la Première Nation Saskeeng de Fort Alexander, comme elle en avait émis le souhait.
Un récit coup de poing. L’enquête a désigné un suspect, qui a été traduit en justice mais le jury l’a acquitté. A la lecture de ce récit détaillé, j’aurais fait de même. Pour moi, son meurtrier court encore.
Pour ceux que ça intéresse, une émission appelée Taken, mettant en avant une quarantaine de femmes, jeunes femmes et quelques hommes autochtones assassinés ou disparus est rediffusée sur Youtube. C’est en anglais. Mais elle redonne un visage à ces personnes trop tôt disparues et dont souvent les enquêtes ont été bâclées. Tristement, Tina et sa cousine en font partie.
♥♥♥♥
Editions Virago, 2020, 293 pages
12 commentaires
On sent bien ton émotion!
Oui ! impossible de passer à côté – elle symbolise toute la violence envers ces femmes
Je passe pour l’instant, parce que sur ce sujet, j’ai déjà « Sœur volées » à lire (noté chez Le Caribou), et je m’attends à ce que ce soit difficile…
Soeurs volées je l’ai lu aussi. Avant le Caribou d’ailleurs ! C’est moi qui lui en ai parlé 😉 tu trouveras ma chronique
l’un des premiers lus, et j’ai toujours en tête le visage de ces deux jeunes filles disparues …
C’est noté ! Là, je passe par ici pour récupérer le lien de ton article sur Sourde colère de Stan Grant (je viens de finir de rédiger ma note…).
super ! hâte de te lire
je me fais discrète mais je vais essayer aujourd’hui de faire un tour sur vos blogs 🙂 et je vais publier 3 billets (et pour de vrai LOL) dont un est déjà en ligne
Un livre dur je n’en doute pas mais nécessaire, encore et toujours. Malheureusement.
Comme Keisha, je suis touchée par ton ressenti sur ce témoignage. Heureusement la littérature s’empare de ce sujet pour dénoncer.
Oui ! et la police doit suivre des formations mais les prédateurs eux sont toujours là, et restent souvent impunis
Le sujet est intéressant, en effet, et si l’enquête est intelligemment et rondement menée par cette journaliste, la lecture de ce drame doit être vraiment prenante.
Oui et on voit ici tout ce qui a été fait (chose rare) pour trouver le meurtrier. Les grandes villes sont vraiment dangereuses pour ces jeunes femmes.
ça a l’air fort ! J’espère qu’une traduction viendra.
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