The Memory Police · Yōko Ogawa

par Electra
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Je le sais, on ne devrait pas vouloir acheter un livre uniquement par sa couverture. Mais on peut quand même avoué être attiré par celle-ci ? Je ne connaissais pas l’auteure Yōko Ogawa. J’ignorais tout d’elle lorsque j’ai voulu lire The Memory Police pour l’histoire et pour la très belle jeune femme en couverture.

En premier lieu, les romans japonais et moi, ça fait deux. Mes rares tentatives ont été des échecs. Kitchen de Banana Yoshimoto qui continue d’émouvoir des lecteurs, m’avait royalement ennuyé. Je ne suis pas sensible à la poésie japonaise. Ils ne sont pas assez terrestres pour moi. Si cela fait du sens. Leurs romans semblent toujours situés dans une sorte d’entre deux, entre ciel et terre. Les personnages me font penser à des coquilles vides.  Me lancer donc dans cette lecture était un risque.

Chapeau, ruban, oiseau, rose. Pour les habitants de cette île, une chose qui disparaissait a perdu toute signification, tout attachement personnel, symbolique. Elle peut être incinérée dans le jardin, jetée dans le fleuve ou donné à la Police de la Mémoire. Et très vite, l’île oublie qu’elle a jamais existé. La narratrice a accepté la disparition de ces objets, elle aussi ne ressent plus rien en tenant un ruban entre ses doigts. Jeune romancière, elle garde chez elle, secrètement, les traces de son passé. Sa mère, sculptrice, a été emmenée un jour par la police. Elle lui a laissé son studio, en bas, ses sculptures et un petit meuble où elle dissimulait des objets « disparus ». Elle les montrait à sa fille, alors enfant, mais cette dernière, en les touchant ne ressentait rien. Elle essayait, mais ne comprenait pas le chagrin de sa mère, qui pleurait la disparition de ces objets.

The island is stirred up after a disappearance. People gather in little groups out in the street to talk about their memories of the thing that’s been lost. There are regrets and a certain sadness, and we try to comfort one another. If it’s a physical object that has been disappeared, we gather the remnants up to burn, or bury, or toss into the river. But no one makes much of a fuss, and it’s over in a few days. Soon enough, things are back to normal, as though nothing has happened, and no one can even recall what it was that disappeared.

La jeune femme, comme le reste de la population, a appris à se passer de tout. La vie continue, les denrées se font rares, il faut marcher longtemps pour trouver encore des légumes. Elle profite de ses rares sorties pour rendre visite à son ami. Ce dernier était mécanicien à bord des navires. Mais ces derniers ont disparu. Un jour, elle apprend que son éditeur et sa famille sont menacés par la police. Elle décide alors de le cacher chez elle, dans un faux plafond qu’elle aménage de son mieux. Ce dernier est recherché car pour une raison inconnue, il se souvient des objets, de leur signification, du sens qu’on leur donne. Et la Police veut le faire disparaître.

Les trois amis s’organisent alors, tandis que les choses continuent de disparaître, comme le printemps, les bloquant à jamais en hiver, les privant une fois de plus de ressources. La police continue son oeuvre macabre en arrêtant des familles entières.

Ce récit m’a totalement envouté ! J’ai adoré. L’atmosphère est si différente de tous les romans que j’ai lus, ce récit m’a hanté. Cette fable sur le pouvoir de la mémoire, de notre attachement sentimental aux objets, et de la perte est magnifique.

Une dystopie qui m’a bouleversée, comme Station Eleven. On peut forcément penser à ce genre de récit, et même à 1984 sur ce système totalitaire. Un système que les habitants ont accepté. Coupés du reste du monde, ils voient peu à peu leur mode de vie disparaître, comme leurs libertés individuelles. Mais ils sont plus préoccupés par la recherche de nourriture que de leur mémoire. Malheureusement, les choses disparaissent de plus en plus vite …

Je suis tombée par hasard sur la vidéo d’une lectrice française qui n’a pas du tout accroché au roman. Elle ne comprenait pas comment on peut se souvenir d’un objet (exemple le chapeau) mais ne plus lui trouver de signification, au point de les brûler. Mais une dystopie n’a pas pour but de vous fournir une explication à tout. Station Eleven ne le fait pas. Les buveurs de lumière non plus. The Marrow Thieves non plus. On ne sait pas ce qui s’est passé, pourquoi c’est arrivé. Et qu’importe ! Et c’est pareil ici, si vous vous voulez une explication rationnelle, culturelle et factuelle, alors passez votre chemin.

Ici, il faut vous laisser guider et vous serez bientôt embarqué, comme je l’étais moi, aux côtés de ces trois personnages très attachants.  Finalement, j’ai découvert que je pouvais aimer la littérature japonaise.

Et c’est en voyant cette vidéo que j’ai compris que l’autrice était célèbre et traduite depuis des années en français par les éditions Actes Sud. Ce roman, publié en 1994, est donc disponible sous le titre Christallisation Secrète.

J’ai trouvé en bouquinerie deux de ses autres romans. Elle est prolixe. Par contre, ils sont en français. L’occasion de voir si la traduction vers le français est aussi bonne que celle vers l’anglais. Et si la magie opère toujours. La connaissez-vous ?

♥♥♥♥♥

Editions Vintage, 密やかな結晶,  trad. Stephen Snyder,  288 pages

Photo by Francesco Gallarotti on Unsplash

Et pourquoi pas

22 commentaires

Sunalee 22 juin 2020 - 7 h 40 min

J’ai lu quelques-uns de ses romans il y a bien une vingtaine d’années, ou plus, mais je me suis lassée et je n’ai plus du tout envie de lire cet auteur. J’ai toujours du mal quand il y a des éléments un peu irréels ou fantastiques, que ce soit dans la littérature japonaise ou ailleurs. Et pourtant, j’aime lire de temps en temps des romans japonais, j’ai par exemple adoré « La papeterie Tsubaki » d’Ogawa Ito (depuis, je rêve de retourner à Kamakura, d’y passer quelques semaines à chaque saison).

Electra 23 juin 2020 - 19 h 47 min

se lasser d’un auteur, c’est triste mais j’imagine que si elle reprend un peu la même chose dans chaque livre, ça peut tourner en rond. Pour ma part, j’ai adoré du coup je ne sais pas si tu as lu celui-ci ? et s’il se distingue ou non des autres. Je ne pense pas changer d’avis global sur la littérature japonaise, j’ai aimé celui-ci et je n’ai pas particulièrement envie de découvrir d’autres auteurs ou autrices.

Fabienne 22 juin 2020 - 8 h 49 min

C’est génial que tu aies adoré ce livre, c’était de loin pas gagné!
Je ne suis pas du tout attirée par la littérature japonaise et mes seules tentatives (avec Murakami) se sont soldées par des échecs cuisants! Malgré ton enthousiasme, je ne noterai donc pas celui-ci et ma pal te dit merci 😉

Electra 23 juin 2020 - 19 h 48 min

de rien ! je n’ai jamais lu Murakami et depuis j’ai beaucoup entendu parler de sa misogynie du coup j’hésite encore plus ! oui je suis ravie car je l’ai adoré mais je pense que ce sera mon unique incursion (avec un autre livre que j’ai en tête).

dan 22 juin 2020 - 9 h 08 min

Oui, j’ai lu ce roman , il y a des années, et il m’a glacée… Tout comme le roman d’Abé Kôbô, la femme des sables…

Electra 23 juin 2020 - 19 h 53 min

oui il marque vraiment ! je trouve que l’idée est vraiment intéressante, notre rapport aux objets, aux souvenirs … ça fait réfléchir pas mal !

Jerome 22 juin 2020 - 13 h 47 min

Je suis très fan de littérature japonaise quand elle ne donne pas dans l’onirisme (pour ça que je n’ai jamais accroché avec Murakami) alors je ne pense pas que ce roman soit pour moi.

Electra 23 juin 2020 - 19 h 50 min

Ici je ne pense pas que ce soit très onirique, bien plus post-apocalyptique – je n’ai jamais eu le sentiment que les personnages étaient en plein délire, et je ne pense pas non au plus fantastique ou réalisme magique. Non, pour moi c’est plus un roman post-apocalyptique si ça peut te rassurer.

krol 22 juin 2020 - 18 h 45 min

J’adore Yoko Ogawa et ce roman que j’ai lu en français ( je me disais aussi, en lisant le résumé que ça ressemblait étrangement à Cristallisation secrète, normal puisque c’est le même) est mon préféré de cette auteure !

Electra 23 juin 2020 - 19 h 51 min

ah super ! Bon, donc j’ai commencé sans le savoir par le meilleur ? zut alors ! Mais j’ai beaucoup aimé et il mérite amplement une nouvelle traduction

keisha 23 juin 2020 - 16 h 47 min

Cristallisation secrète dit être noté dans un coin, je pense! J’en ai lu plusieurs romans, et aimé en règle générale

Electra 23 juin 2020 - 19 h 51 min

j’étais la seule à ne pas l’avoir lue mais bon je ne vais pas devenir fan de littérature japonaise non plus …

Eva 25 juin 2020 - 11 h 43 min

j’avais lu Cristallisation Secrète l’an dernier dans le cadre de Bibliomaniacs : j’étais un peu moins enthousiaste que mes camarades, car je lui ai trouvé des longueurs, mais j’ai quand même beaucoup aimé. (il faudra que je le chronique un jour :D)
Je te conseille son recueil de nouvelles, « La Mer », j’avais adoré !

Electra 25 juin 2020 - 22 h 27 min

Je note ! Je n’ai pas trouvé de longueurs. Tu me devances toujours 😂

Lili 25 juin 2020 - 17 h 06 min

Mais je suis ravie de lire que tu as finalement apprécié un titre japonais contemporain !
J’ai une histoire un peu étrange avec Yoko Ogawa : au départ, je lui ai trouvé une fadeur ennuyeuse et je pensais ne pas l’avoir aimée. Et puis, pour une raison que j’ignore depuis, je reviens régulièrement à elle, comme si, au-delà de sa fadeur, il y avait quelque chose de fascinant et d’indescriptible. En l’occurrence, Cristallisation secrète est mon préféré d’elle à ce jour.

Electra 25 juin 2020 - 22 h 29 min

Merci 😊 oui je pense que son style peut dérouter. Et j’ai aimé son esprit un peu tordu. J’espère retrouver le même enthousiasme en la lisant

Mes échappées livresques 26 juin 2020 - 9 h 07 min

Je viens justement de mettre la main sur La marche de Mina de cette auteure que je n’ai encore jamais lu. Si l’essai est concluant je lirai celui-ci par la suite.

Electra 27 juin 2020 - 10 h 59 min

ah joli coïncidence ! Elle en a écrit de très nombreux, du coup je suis incapable de me rappeler des deux que j’ai achetés récemment ! J’espère que tu vas aimer

Nicole 86 30 juin 2020 - 10 h 25 min

Bonjour, ceci est ma première visite sur votre blog. Je suis cette autrice depuis longtemps grâce à un cadeau, certains livres comme « La marche de Mina » me mettent mal à l’aise par contre deux livres avoisinent pour moi le chef d’oeuvre : « la Formule préférée du professeur » et « Le petit joueur d’échecs », ils parlent de la relation d’un enfant avec une personne différente, de transmission et d’amour. Je prends note de ce titre d’autant plus que la mémoire est un thème central dans les ouvrages que j’ai préférés

Electra 30 juin 2020 - 19 h 51 min

Merci ! Je lis peu de littérature japonaise aussi je suis ravie de trouver de nouvelles lectrices ! Je vais de ce pas regarder les deux livres que j’ai achetés d’occasion pour voir s’il s’agit de ceux que vous citez. J’ai le « Le petit joueur d’échecs” ! et « Le parfum de glace » – du coup je note ce titre à lire très vite. Pour le roman que j’ai lu, oui la mémoire est le thème majeure et j’aime beaucoup la manière dont elle nous fait prendre conscience de son importance !

Kathel 2 juillet 2020 - 20 h 01 min

J’en ai lu plusieurs de l’auteure avec des avis très divers, mais il faut dire qu’elle aime à changer de genre… parfois elle verse plus dans le feel-good à sa manière toutefois, et j’accroche moins (La marche de Mina, La formule préférée du professeur). Mes préférés sont Cristallisation secrète, Les tendres plaintes, Les lectures des otages et ses recueils de nouvelles.

Electra 2 juillet 2020 - 21 h 44 min

Décidément, tout le monde l’a déjà lue ! ton avis diverge des autres, c’est intéressant ! je vais lire ceux que je possède déjà et on verra bien si j’ai envie de persévérer !! Je n’aime pas les auteurs qui se répètent.

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