Cette lecture m’a été inspirée par Keisha dans le cadre d’une lecture commune, à laquelle participe également A girl. Je connais André Brink de nom mais je n’avais encore jamais lu une de ses œuvres. Le romancier sud-africain s’est inspiré d’un fait divers de la moitié du 18è S. comme trame de son roman. En avril 1749, l’explorateur suédois Erik Larsson, accompagné de son épouse Élisabeth (originaire du Cap) tourne au désastre. Le guide se suicide, les porteurs Hottentots s’enfuient, laissant seuls le couple de jeunes mariés au milieu du désert. La jeune femme avait épousé Erik Larsson sur un coup de tête, désireuse de quitter le Cap (petite ville bourgeoise isolée) pour le suivre dans ses explorations où son époux collecte plantes et animaux endémiques pour les envoyer à un ami en Suède. Mais très vite, la jeune épouse réalise son erreur. L’homme n’est passionné que par une chose : l’exploration. Il ne voit son épouse que comme un bagage de plus. Il n’accepte d’elle aucune aide, pourtant la jeune épouse est originaire de la région et sait lire une carte.
Larsson décide de laisser son épouse et s’embarque seule dans la nuit au milieu de l’immense veld après une énième dispute. Apparaît alors un homme noir, qui porte l’une des vestes de son époux. Il s’appelle Adam Mantoor. C’est un esclave en fuite qui suivait depuis plusieurs jours le convoi. Leur rencontre fortuite va leur permettre de survivre dans ces paysages rudes et peu accueillants et ils vont réussir à retrouver la civilisation, plus d’un an et demi après, en février 1751.
Elle a déjà vu des esclaves nus, dans sa vie ; elle y a autant prêté attention qu’aux animaux de la ménagerie. Qu’est-il d’autre, après tout, qu’un esclave ? Il n’a jamais été autant un esclave qu’aujourd’hui, avec son réseau hideux de cicatrices sur le dos. Alors pourquoi ce tremblement dans les jambes ? (p. 123)
Aucune trace ne subsiste dans les Archives sur cette longue période et ce qui s’est passé entre cette jeune femme blanche de la haute bourgeoisie et cet esclave en fuite. Un mystère que l’auteur sud-africain va s’attacher à combler en racontant leur rencontre et leur cheminement. Le lecteur connaît dès le départ (j’ai cru d’abord à un récit) l’issue de ce périple et même leur avenir. Mais finalement, connaître la fin ne m’a absolument pas gêné pour découvrir l’histoire inventée par André Brink.
Pourtant les débuts ont été difficiles, en premier lieu, l’auteur raconte le fait divers et les trouvailles dans les archives dont les carnets du défunt Larsson, que la jeune femme avait complétés avec une phrase mystérieuse qui porte tout le roman :
Ceci, personne ne peut nous l’enlever, pas même nous.
Puis, le narrateur change, on passe du « je » au « il » ou « elle » – ce jeu narratif m’a un peu compliqué la lecture. En fait, au fur et à mesure que l’intrigue se déroule – l’héroïne, abandonnée de tous dans une terre aride et infertile, se souvient de sa rencontre avec Larsson. Ces flashbacks avec ces fantômes du passé se font au « je » puis retour à « elle » lorsque l’esclave, Adam, est de retour. Lui-même repense à son histoire personnelle qui l’a menée ici dans l’arrière pays du Cap de Bonne Espérance auprès de cette jeune femme. Les deux protagonistes vont d’ailleurs se lancer dans une conversation muette où chacun se raconte, se confie et espère beaucoup de l’autre.
Une conversation muette, dis-je, car les conventions de l’époque font que chacun reste enfermé dans ses principes, dans son éducation.
Fort heureusement, le talent d’André Brink réussit à m’accrocher suffisamment pour que je laisse pas tomber ce roman et son talent se déploie peu à peu sous mes yeux. L’écriture nous transporte dans ces contrées lointaines qui m’ont toujours fait rêver. A l’époque, peu d’occidentaux ont foulé ces terres et André Brink réussit à nous communiquer la nature sauvage, l’apparition soudaine d’animaux comme cette antilope qui effraie la jeune femme qui se ressource dans une rivière ou ce vent qui souffle sur ces plaines.
Puis le vent se lève. Ils ne perçoivent d’abord qu’un simple rafraichissement de la température après cette insupportable chaleur : un peu de vie qui souffle sur leurs visages, sur leurs paumes; leur transpiration se glace et poisse leurs cheveux. (p. 133)
Brink aborde ici des sujets qui lui seront chers dans ses autres romans : l’humanité, la soif de liberté, l’amour, la place des femmes dans la société et surtout une condamnation ferme de l’esclavage, et par là-même de l’apartheid.
André Brink, grand ami de Mandela, nous a quitté en février l’an dernier. J’ai toujours voulu lire Une saison blanche et sèche (le film m’avait marqué) et dorénavant je n’ai plus peur de m’y attaquer.
Petite digression par rapport au roman, un petit coup d’œil au peuple des Hottentots, qu’il convient en fait d’appel les Khoïkhoï . Ce mot signifie « homme des hommes » par opposition à une autre tribu, les chasseurs cueilleurs Bochimans. Originaire d’Afrique australe, ils doivent leur sobriquet d’Hottentots aux Afrikaners qui face aux claquements de la langue (sorte de clic) caractéristique de leur langue, ont pris ça pour une forme de bégaiement.
La femme Khoïkhoï la plus connue est Saartjie Baartman, surnommée la Vénus hottentote dont le fessier plantureux lui valut une renommée célèbre en son temps.
♥♥♥♥♥
Éditions Stock, trad. Robert Fouques Duparc, 351 pages.
22 commentaires
Jamais lu non plus mais tu attises ma curiosité !
Tu me rassures – un auteur célèbre et puis me voilà de retour en Afrique 😉
ah , une lectrice plus romantique que Keisha moi j’avais adoré quand j’avais 15 ans et j’avais été très émue par leur histoire, je suis contente que ce roman plaise encore, alors que l’Afrique du Sud nous est plus familière car pour moi , c’était totalement exotique.
Lu à 15 ans ? je comprends que ta lecture soit « plus romantique » – moi je l’ai lu avec le prologue en tête et une image différente de l’Afrique du Sud. 😉
Bien, bien! A girl est plus enthousiaste, moi je suis carrément passée à côté… Même si la découverte de ces contrées sauvages (à l’époque en tout cas) m’a plu. Il ne me faut pas de sentimental!!! Pas trop en tout cas.
Oui, elle l’est ! Je suis rassurée : j’ai eu vraiment du mal (je le dis d’ailleurs) avec le style narratif, les changements de « Je », les dialogues silencieux .. j’ai comme toi beaucoup aimé la partie dans le désert et tout ce qui touche à la nature et au vent, parce qu’il est quand même très doué pour décrire la nature. Pour l’histoire d’amour, rassure-toi, je n’aime pas ça non plus (je n’en lis quasiment jamais, c’est grâce à toi) et j’ai détesté Les Hauts de Hurlevent (lu l’an dernier, j’étais aussi bien trop vieille) !!!! Ou alors, il faut déjà un couple existant comme ceux de Dennis Lehane ou bref, autre chose ! Et puis, Brink extrapole cette histoire qui n’a jamais été prouvée. Seuls ces mots mystérieux et leur disparition pendant presque deux ans sont avérés.
Hein, tu n’as pas aimé Les hauts de Hurlevent? Ben moi pareil, lu il y a très peu. Non, j’ai aimé le style, j’ai aimé comment c’est raconté, j’ai aimé l’humour, les différents narrateurs, mais pas l’histoire d’amour impossible…
Pour en revenir à Brink, le côté documentaire et la vie dans ce coin là, et la topologie, tout a l’air vrai. Les hottentots, les détails historiques. Ce qui coince ce sont les deux, là, ce qui est gênant. Adam, ça pourrait aller, mais Elisabeth, pfff!
Non, je t’invite à lire mon billet sur les Hauts de H. ! Mais je l’ai lu adulte aussi.
Et le style ne m’a pas emballé non plus. Pourtant j’aime les œuvres des sœurs Brontë.
J’ai trouvé ça trop noir, too much.. Mais à l’âge de 12 ans, j’aurais peut-être succombé à cette histoire rocambolesque ?
Oui, Brink a du talent lorsqu’il raconte la partie voyage, enfin survie, les animaux, le désert, le vent, j’ai trouvé ça magnifique mais je suis restée plutôt impassible face à ces deux êtres qui tiennent des propos très durs et restent sur leurs positions. Leur attirance est pour moi purement physique et une réaction à leurs sentiments d’être perdus à jamais. Une fois rentrés au Cap, tu connais la fin, rien ne change !
Entre vos trois avis j’avoue que je ne sais trop quoi penser…!
Disons que si tu aimes les histoires d’amour (impossibles), les grands paysages, tu devrais bien aimer. Je suis contente d’avoir lu André Brink même si je pense que j’aurais préféré lire autre chose de lui n’étant pas du tout portée sur les histoires d’amour (même si celle-là reste à part compte tenu des deux protagonistes que tout oppose). J’ignore si ça t’aide !
Je me rappelle surtout de l’aspect sentimental dégoulinant, je l’ai lu tôt comme Luocine ceci explique peut-être cela !
Dégoulinant ? Oh tu fais fort 😉 Moi ce qui m’a perturbé, c’est de connaître la fin, enfin leurs destins.
Ouf, j’ai réussi à publier mon billet et je suis contente de voir que je ne suis pas la seule à avoir été gênée par le style narratif. Je sais que j’ai les neurones pas tous à la bonne place en ce moment mais alors là, je me suis complètement perdue dans le première partie. Et bon, la deuxième partie à l’eau de rose, pas trop mon truc. Une rencontre un peu ratée de mon côté.
Rassure-toi la fin n’est plus du tout à l’eau de rose ! Je vais finir mon commentaire sur ton blog, mais tu me fais sourire avec ton « Harlequin » – et je te rejoins sur le style narratif, très perturbant et moi je n’avais pas d’autre lecture en cours 🙂
Décidément, ce style narratif nous aura toutes donné du mal.:-) Pour ma part, et après réflexion, je vois cette construction narrative passant du je tu il elle, comme choisie pour essayer de restituer la difficulté qu’ils ont malgré tous à se dévoiler vraiment. Il y a beaucoup de conversations non oralisées, beaucoup de non-dits entre eux au final. Sinon je vois que beaucoup qualifient cette romance de « à l’eau de rose ». Je trouve ça un peu excessif. C’est la sortir totalement de son contexte. Rien de romantique ici, du genre qui veut faire rêver ou soupirer après le héros (Jane Austen fait plus fort si on va dans ce sens-là^^). Il y a une histoire d’amour entre un homme noir et une femme blanche, c’est peut-être plus ça qui a du mal à passer, comme à l’époque. J’ai trouvé que c’était une fiction bien imaginée et plutôt subtilement développée, si on veut bien regarder au-delà de leurs rapports physiques. Dans leur tête, psychologiquement, c’est tellement plus complexe, c’est ce que j’ai trouvé intéressant. C’est une fiction qui met en lumière tous les préjugés de leur époque, ou de toute époque, car aujourd’hui, on n’est pas encore sorti du racisme primaire et/ou social.
Tu as du mal aussi avec le style narratif même si on peut lui trouver une explication (bien entendu) il a néanmoins pas mal compliqué ma lecture (et le plaisir) au début du roman, ensuite cet exercice de style diminue puisque les deux protagonistes finissent par parler.
Pour l’eau de rose, je n’ai pas trouvé cette histoire d’amour « cul-cul la praline », je ne le dis pas – simplement, je n’ai pas cru à cette histoire d’amour. Ce sont deux êtres désespérés, seuls pour diverses raisons (5 ans seul dans le désert pour l’un et l’autre dans un mariage sans amour et sans avenir) qui vont unir leurs forces et leurs destins le temps d’affronter cette situation difficile. Une fois rentrées au Cap, ils reprennent leurs rôles et la femme ne fera absolument rien pour essayer de sauver la vie de son compagnon. Elle aurait pu témoigner en sa faveur.
Comme, je ne sais plus qui, j’ai trouvé l’ensemble trop didactique, Brink a toujours lutté contre l’apartheid et le racisme mais là c’est trop alambiqué pour moi et pas si complexe que ça. Je retiens pour ma part la seconde partie sur leur survie dans le désert et le talent de Brink à poser des mots sur la nature, magnifique !
C’est justement là que j’ai trouvé ça réaliste et plus complexe qu’il n’y paraît. Ils seraient rentrés au Cap, « auraient vécu heureux et eu beaucoup d’enfants », ç’aurait été douteux.:-) Le « elle aurait pu témoigner en sa faveur » aurait pour le coup été très romantique, moraliste, ce que justement n’est pas ce roman (à mon sens). Loin de la civilisation, ils arrivent à vivre une histoire, loin des jugements, des préjugés, du carcan social, malgré le fait qu’ils soient eux-même très lourdement conditionnés par leur statut et éducation (pour la femme) au départ. Et ce n’est pas anodin qu’une fois arrivés au Cap, le monde « civilisé, l’auteur soulève bien des questions à travers le dénouement, justement sur l’authenticité de leurs rapports, ou la difficulté/impossibilité d’assumer leur relation dans la société de l’époque.
(je pourrais discuter des heures sur ce livre mais ce serait vain. 😉 Je suis quand même contente de cette LC qui a permis quelques échanges un poil plus élaborés que j’ai aimé/je n’ai pas aimé.)
Oh génial, j’adore les gens qui défendent leurs lectures 🙂
Oh non pas romantique – je n’ai jamais cru une seconde qu’ils allaient finir heureux ! Pas d’eau de rose pour moi, mais c’est pour ça que je doute de toute cette histoire (née de l’imagination de l’auteur puisque rien ne permet de dire qu’ils ont vécu quoique ce soit); mais elle était d’une famille respectée, notable et elle aurait pu, dire que cet « ‘esclave » lui avait sauvé la vie et demander qu’il soit envoyé dans un camp mais éviter la pendaison; Mais comme je ne crois pas à l’historie d’amour, je pense qu’une fois au Cap, elle a tourné la page et l’a totalement zappé !
Et perso, je déteste les « aimé/pas aimé » également 😉
Merci Keisha !
J’ai vu les avis de tes collègues de LC et je persiste à me dire que je n’en ferai pas une priorité.
Je ne t’en tiendrais pas rigueur 😉
Je ne le connais que de nom … jamais lu
Il écrit très bien, après .. je pense que j’aurais du commencer par une autre de ses oeuvres.
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