Un de mes énormes coups de coeur de l’an dernier fut pour le premier roman de Lori Roy, Bent Road. J’y repensais l’autre jour – en préparant un billet sur mes auteurs préférés. C’est par hasard que j’ai trouvé son second roman en passant à la bibliothèque. Encore un livre hors programme, mais impossible pour moi de résister à Lori Roy ! Les bibliothécaires l’avaient mis sur leur présentoir, sans doute sachant que je ne pourrais résister ! Sur ce fait, je suis allée remettre une autre lecture dénichée auparavant car Lori Roy aura toujours ma priorité.
Detroit, 1958, à la fin du mois de juin. Dans le quartier ouvrier blanc d’Adler Avenue, l’atmosphère est pesante, l’air chargé de menaces. Les grandes usines où tous les hommes sont employés commencent à fermer et, plus inquiétant encore, des gens de couleur s’installent dans le quartier. Dans leurs maisons proprettes aux rideaux parfaitement tendus et aux pelouses bien entretenues, les femmes s’observent et se méfient. Les jours de paie, on a vu des femmes noires près de l’usine aguicher leurs maris en portant des tenues inappropriées. Des femmes de mauvaise vie.
Dans Adler Avenue, il y a Julia qui doit veiller sur ses nièces, les jumelles Arie et Izzy, son amie Grace, enceinte de huit mois et dont le poids du bébé commence à peser, et leur voisine Malina, toujours impeccable, qui donne le ton des discussions et orchestre d’une main de maître la vente de charité de la paroisse de St Alban’s, et puis il y a Elisabeth, la jeune fille un peu attardée, qui vit avec son vieux père. Depuis la mort d’Ewa, la mère d’Elizabeth, Grace veille sur la famille. Elizabeth vient déjeuner tous les jours chez Grace.
Chaque soir, presqu’à heure fixe, les hommes rentrent crasseux de l’usine, et tous les jours, leur épouses les attendent bien sagement à la maison. Mais un après-midi, Elisabeth disparaît. Alors que les hommes quadrillent le quartier dans l’espoir de la retrouver, la tension monte. Julia et Grace sont les dernières à avoir vu Elisabeth. Y a-t-il un lien avec le meurtre d’une jeune femme noire dans l’entrepôt à côté de l’usine ? Pour les parfaites épouses d’Adler Avenue, le mal a bien pris ses racines dans leur petit paradis.
En lisant cette présentation, on pense immédiatement à Wisteria Lane – mais soyez prévenues : Lori Roy installe en un rien de temps une ambiance vertigineuse – en choisissant de dérouler son roman sur une courte durée (7 jours), la romancière américaine réussit le pari de plonger ce quartier résidentiel paisible en un lieu sombre et menaçant. La plongée est saisissante.
L’air devient lourd, le temps semble se figer dans ce quartier où chaque jour, les épouses préparent le retour à la maison de leur travail. Ici, on suit au doigt et à la baguette les ordres de Malina ou de Sara – et quand Elizabeth disparait, les femmes organisent rapidement le ravitaillement pour leurs époux dans le sous-sol de l’église. Ces femmes vivent sous la coupe de leur voisinage – leurs allées et venues sont épiées et elles vivent en permanence dans la crainte du « on-dit ».
Julia a vécu un drame personnel il y a trois ans – sa fille, encore nourrisson, est décédée subitement. Depuis son époux ne la touche plus, et la jeune femme tente malgré de garder la tête haute. Elle envie sa meilleure amie, la douce et généreuse Grace, enceinte de huit mois dont le mari est aux petits soins. Mais les deux femmes sont les dernières à avoir vu Elizabeth et lorsqu’elle celle-ci disparait, leurs vies bien tranquilles basculent. Julia accueille pour l’été ses nièces, des jumelles bien délurées qui comptent retrouver leur chat disparu, malgré leur interdiction de sortir de la maison lorsque leur oncle et tante s’absentent. Les jumelles vont multiplier les bêtises mais surtout assister à des évènements qu’elles n’auraient pas du voir.
Que dire de Grace, qui un soir, en sortant les poubelles, va être brutalement agressée ? Cette scène m’a terriblement marquée. Comme son silence qui s’en suit – et l’enquête des policiers. Et le personnage de Malina, une femme battue et dont les mensonges et le comportement vont peu à basculer dans la folie ? Que dire de son époux dont elle soupçonne sans cesse le comportement volage ou l’intérêt un peu trop porté sur les jumelles ?
Lori Roy a un don particulier, dont elle avait brillamment joué dans son précédent roman : instiller chez le lecteur une sorte de malaise – pourtant impossible de relâcher le livre. Même si peu à peu, tout s’écroule. Son autre talent est de pouvoir pénétrer chaque pensée des personnages et de traduire tous leurs sentiments dont les moins avouables.
On s’inquiète rapidement pour les jumelles, pour Grace dont le bébé lui pèse de plus en plus, comme si, malgré la protection utérine, sentait peu à peu le mal envahir les rues du quartier.
Lori Roy n’enjolive pas la réalité – la vie monotone, presque monacale de ses femmes, dépendantes de leurs époux, ou la crainte de l’arrivée des premiers habitants noirs dans leur quartier – d’ailleurs, ils envisagent rapidement de remonter plus au nord de la ville, au-delà de Eight Mile Road (devenue célèbre avec Eminem!). Le racisme ordinaire, me direz-vous, mais n’allez pas croire que les femmes noires sont enjolivées par la romancière. Chaque personnage est travaillé au couteau, ciselé et leurs paroles sonnent comme des gifles !
Un coup de coeur pour ce roman. Dans son précédent roman, Lori Roy faisait peu à peu monter la tension, ici elle l’installe très rapidement et celle-ci ne vous quitte plus. J’ai eu l’impression de mettre la main dans un panier de serpents !
Un roman noir au suspense étouffant qui prouve une nouvelle tout le talent de la romancière. J’ignore où elle va chercher ses idées, mais qu’elle continue, moi je la suis les yeux fermés.
♥♥♥♥♥
Editions du Masque, Until she comes home, trad. Valérie Bourgeois, 314 pages
25 commentaires
bien tentant, tout ça !
Oui ! j’aime beaucoup son style et sa manière de très vite apporter une atmosphère particulière au roman 🙂
Connais pas l’auteur (jamais lue). Bon, il va falloir s’y intéresser.
ah oui ! Commence par Bent Road !
Comme Keisha, auteur totalement inconnue. Mais tu le vends tellement bien que ça donne envie de se pencher sur son cas 😉
lis mon billet sur Bent Road et tu seras convaincu ! Il est dans ma liste d’auteurs préférés <3 et je pense que l'ambiance te plaira bien 🙂
j’avais vaguement entendu parler de l’auteur, mais je n’ai encore rien lu d’elle, je note !
Oui ! Je pense que tu aimeras les deux romans – Marie-Claude avait aussi adoré Bent Road. Lis mon autre billet et tu vas craquer 🙂
Bon bon bon, c’est reparti pour les billets en rafale?! J’ai adoré «Bent Road», moi??? Pas encore lu! Mais j’ai lu «De si parfaites épouses». Mon enthousiasme est un ti-peu moins fort que le tien, mais j’ai bien aimé, surtout l’atmosphère. «Bent Road» est noté depuis un bout. Je le cherchais en bouquinerie, mais je ne l’ai pas trouvé. Par contre, j’ai trouvé plein d’autres bouquins!!!
On reprend le rythme? Pas trop sur les rotules?
Oui ! J’ai vu Bent Road en bouquinerie une ou deux fois (Poche et broché). Un peu sur les rotules la faute au décalage gros coup de barre à des heures normales mais ça va !!! Super ton billet ton bouquin n’est pas arrivé par contre (enfin tu sais le recueil). Mais ils disent quinze jours. Je file !
Je ne connais pas l’auteur je vais lire l’avis sur Bent road
okay ! si ça peut te donner envie 🙂
je suis ton conseil et je vas commencer par Ben Road , billet très tentateur les photos sont parfaites!
Super ! Je pense qu’il va beaucoup te plaire – un gros coup de coeur pour moi 🙂
Je l’ai eu dans les mains mais j’avais lu des avis qui le décrivait comme très lent et sans action. Ca m’avait refroidie. Ton billet semble dire tout le contraire.
ah oui ? Très lent et sans action ? Elle joue beaucoup sur l’ambiance, l’atmosphère c’est vrai – on est loin du thriller, ici il y a une disparition (et une attaque) mais peu « d’actions » mais elle joue sur nos nerfs, la tension monte de suite, et on ne sait pas ce qui est arrivé à la jeune fille puis après .. Moi, j’ai tout de suite accrochée – mais c’est vrai que si tu aimes les courses poursuite, passe ton chemin !
Un auteur que je ne connais pas, mais ta chronique me donne vraiment envie de lire ce roman (et donc de découvrir la plume et le style de l’auteur) 🙂
oh merci ! J’espère que tu vas aimer – après certains l’ont trouvé apparemment lent et sans action – mais moi c’est l’atmosphère oppressante qui a fonctionné.
La couverture de l’édition française est plus intéressante que celle de l’édition originale. Sans elle et sans ton billet très tentant, je ne sais pas si j’aurais noté ce titre. (Je viens de voir que Lori Roy était de Manhattan, KS où j’étais assistante. Ca me donne une troisième raison de l’ajouter.)
Ah oui ? je trouve souvent les couvertures originales mieux choisies, mais celle-ci est très belle effectivement ! J’espère qu’il te plaira 😉
Je ne connais pas l’auteur, mais je suis très tentée !
Tu peux la trouver en bibli (ce qui est mon cas) ou en Poche pour Bent Road 🙂
Super, encore un livre de plus dans la wishlist…
ah la wishlist, la mienne grandit sans cesse .. 🙂
[…] atmosphère étouffante. Dans Bent Road, nous étions dans le Michigan dans les années 60 et dans De si parfaites épouses, nous étions en ville à Détroit en 1958. Nous voici cette fois-ci dans le Kentucky, à la […]
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