Willy Vlautin – un nom que je croise depuis fort longtemps. J’ai emprunté l’un de ses romans il y a plus de trois ans, mais faute de temps je l’ai rendu sans le lire (pour les curieux, il s’agit de Cheyenne en automne). Puis ma copinaute Marie-Claude a lu Ballade pour Leroy en avril 2016, un énorme coup de coeur, et un deuxième il y a peu avec Motel Life.
Je n’avais pas attendue son deuxième coup de coeur pour me procurer ses romans, en anglais pour ma part. En sachant qu’ils ont été publiés et traduits en français par Albin Michel – Northline , devenu Plein Nord et The Free, Ballade pour Leroy. Je n’avais pas inscrit ce romancier dans mon programme de lecture, mais suite à une lecture particulièrement éprouvante (rageante), j’avais envie d’une lecture qui allait me réconcilier avec la littérature et au vu des chroniques de mon amie Marie-Claude, je me suis dit qu’il était temps que je m’attaque à cet auteur américain. Originaire de Reno, Nevada. La ville est un personnage phare de Northline.
J’avoue que la pression était forte, et Marie-Claude m’avait prévenue : si je n’aimais pas, la punition est toute trouvée : dormir sous une tente lors de mon voyage à Québec, l’hiver prochain ! (sous 2 mètres de neige et par -20°C !). Qu’elle soit rassurée : Willy m’a aussi séduite ! Même si le tout début m’a fait craindre quelques instants que non. J’ai aussi choisi de ne pas lire la quatrième de couverture, et j’ai ainsi remarqué que j’ignorais le prénom de l’héroïne pendant près de la moitié du livre, et que cela ne me gênait absolument pas.
Difficile de raconter cette histoire sans dénaturer la profonde humanité qui se dégage de ces personnages et en particulier de l’héroïne, jeune femme fragile qui tente de se reconstruire. Le roman commence par une scène assez brutale : une soirée qui dégénère, un jeune couple qui finit dans les toilettes – l’homme veut se faire sa copine, mais celle-ci est trop bourrée et se blesse en s’écroulant sur les toilettes. Il la ramène à l’appartement, violemment, et part toute la journée après l’avoir attachée avec des menottes au lit. La voici, notre héroïne. Alcoolique à 22 ans, en couple avec cet homme violent, xénophobe et qui, sans le savoir, l’a mise enceinte. Pourtant Allison a une famille, une mère et une soeur. Elles vivent chichement dans les quartiers pauvres du nord de Las Vegas, mais elles se soutiennent. Des « lowlifes » – des vauriens, des miséreux – cette jeunesse perdue qui se cherche dans la drogue, l’alcool et la haine.
Jimmy, son petit ami, l’aime mais la bat. Il la blâme elle et tous les étrangers (les Mexicains particulièrement) comme étant les seuls responsables de la décadence de la vie américaine, et de sa propre vie. Il n’est pas responsable de ses échecs, de sa violence. Il blâme les autres et fréquente les groupes néo fascistes où il entraine Allison dans ces soirées organisées par ces groupes suprémacistes. Jimmy boit et se lance dans ces grands discours sur la chute de l’empire américain, par la faute de ces Mexicains. Allison fuit dans l’alcool. Une nuit, elle se fait tatouer une croix gammée en ignorant de quoi il s’agit.
Mais cette journée, attachée au lit, a réveillé en elle cet instinct de survie. Elle fuit chez sa mère, et pendant la nuit décide de quitter la ville, de quitter Jimmy. Allison est une jeune femme très fragile. Stressée, elle est victime de crises de panique, des malaises vagales. Elle se déteste d’être aussi faible, de tomber amoureuse de ce genre de type, d’avoir arrêter l’école trop tôt. D’être bête (tout le monde a son bac de nos jours, mais pas elle..). Mais Allison Johnson sait aussi qu’elle est enceinte. Alors, une nuit, elle fuit.
Portrait désenchanté d’une Amérique violente, d’un pays peuplé d’âmes esseulées, j’ai été profondément émue par la solitude de cette jeune femme. Par son manque d’estime de soi, son manque d’amour. Elle ne s’aime pas, et se punit par de l’auto-mutilation. Elle déteste être faible et multiplie les crises de panique. Elle se réfugie dans l’oubli, la boisson. Son arrivée à Reno, dans la crainte d’être retrouvée ne va pas se passer comme prévu.
Mais Allison est forte, même si elle l’ignore. La jeune femme travaille dur, jamais elle ne rechigne à la tâche. Une qualité qu’elle ignore avoir. Pour éviter de trop « penser » et de ressasser, elle préfère travailler la nuit. Elle a été prise en charge à son arrivée par une agence d’adoption, et épargne chaque dollar. Elle souffre dans le silence, et dans la solitude.Le monde est injuste, violent et peuplé de femmes et d’hommes seuls mais parfois, ils se croisent et le miracle arrive.
Il prend la forme d’une amitié féminine, puis d’une amitié masculine. Petit à petit, comme ces levers de soleil dans le désert, une lueur d’espoir apparaît. Et il faut s’y accrocher.
Allison a un allié secret : Paul Newman. Oui l’acteur. Sa mère est fan de lui et Allison a grandi en regardant tous ses films, d’ailleurs ce soir-là, elles regardent ensemble le marathon télévisé qui lui est consacré. Alors quand Paul lui dit de tenir le coup, de ne pas se laisser abattre – même après des coups extrêmement durs, Allison l’écoute et leurs conversations imaginaires vont énormément l’aider à ne pas sombrer.
Un portrait magnifique et émouvant d’une jeune femme – des femmes en général. Chose assez rare chez un auteur masculin. J’aime la manière dont Willy Vlautin défend ces laissés pour compte, en montrant qu’à la faveur d’un évènement, d’une rencontre, on peut prendre une autre voie. Willy laisse simplement au lecteur la possibilité de tenir la main d’Allison, de l’accompagner un bout de chemin lors de ce voyage initiatique et je l’en remercie.
Et encore un auteur américain de plus dans ma bibliothèque et dans mes américains « coup de coeur ». La faute à qui ? 🙂
♥♥♥♥♥
Editions Faber and Faber, 2008, 192 pages
10 commentaires
Dis donc, tu l’as échappé belle! Tu auras droit à mon lit royal plutôt qu’à la tente!
Pas encore lu celui-là, mais à te lire, ce sera encore un coup de coeur. Ce que je ne cesse de remarquer et ce qui me plaît autant avec Willy, c’est son immense humanité.
Bienvenue dans la famille wilienne!
Tu me dis ce qu’est un malaise vagale?
Ouf ! j’ai eu chaud ! la tente en plein hiver, très peu pour moi 😉
Plein Nord, mais tu l’as dans ta pal, oui ? Oui, l’humanité c’est le bon mot et j’ai beaucoup aimé le portrait de cette femme par un homme.
Un malaise vagal est lié au nerf vagal, la pression sanguine chute car ralentissement du coeur : les symptômes : perte de connaissance, sueurs, acouphènes. J’en ai fait ..
Absolument d’accord avec vous deux pour le choix de Willy Vlautin. Un grand auteur, de ceux qui vous font connaître le revers du rêve américain et les difficultés dans lesquelles se débattent ceux qui ont voté pour DT. Willy Vautlin, qui était présent au festival de Vincennes l’automne dernier est un écrivain d’une grand humanité et d’une grande modestie. Il est aussi musicien et se produit régulièrement avec son groupe sous le nom de Richmond Fontaine.
Oui ! Une grande humanité qui me rappelle Thomas King. J’ai hâte de lire ses autres romans !
J’ai lu avec grand plaisir Motel Life et Cheyenne en automne, c’est vraiment un auteur que j’apprécie.
Pareil ! J’ai un autre (en anglais) dans ma PàL, je veux aussi lire Motel Life et Cheyenne (dispo à la BM).
décidément, entre Marie-Claude et toi, je ne vais pas pouvoir échapper à Willy Vlautin! déjà à la conférence du Festival America à laquelle j’avais assisté, ce qu’il disait de sa vie m’avait interpellée mais ses écrits semblent être vraiment denses et passionnants… ça va pas arranger ma PAL ^^
Désolée ! Je pensais que tu l’avais déjà lu ! Bon allez dis-toi que c’est pour la bonne cause
Je sens que je devrais faire connaissance avec l’auteur!
(et il existe des sacs de couchage permettant de dormir dehors, tu sais, au cas où)
Oui mais par moins 35 ?? Euh non … bon sinon oui Willy serait ravi de faire ta connaissance !
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